L’historique des réformes a permis de montrer que le privé a eu un rôle à jouer dans ces dernières. Nous allons ici nous concentrer ici sur les lien entre consultants issus du privé et membres de la fonction publique.
« Mélanger » les expertises
En juillet 2005, la création de la Direction Générale de la Modernisation de l’État (DGME), qui dépend du ministère en charge du budget, signe le début d’une époque où la réforme d’Etat sera principalement entre les mains du ministère de l’Économie et des Finances. Dans ce cadre, le ministre du budget lance une vague d’audits de modernisation, mis en place par la circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2005, sous contrôle de la DGME pour utiliser plus efficacement l’argent public. Ces audits seront menés par des équipes composées à la fois de fonctionnaires et de consultants issus du privé, avec des cadences rapides. Pour la première fois en France, on associe des acteurs publics et privé (La cour des compte, les audits de modernisation :
un dispositif novateur aux effets limités ). Ces audits sont arrêtés avant leur terme avec la mise en place de la RGPP.
Certains acteurs de ces audits, membres des ministères et consultants, en tirent un très bon bilan : même après leur arrêt prématuré, ils serviront de base pour la RGPP qui suivra. Edward Arkwright, ancien conseiller en charge de la réforme de l’État, explique ainsi :
“On n’aurait pas pu faire la RGPP d’un coup, d’un seul. Nous y avions déjà réfléchi en 2002, mais l’État n’était pas doté de la technologie nécessaire”, relève pour sa part, qui dit conserver de très bons souvenirs de son expérience de 2005 à 2007 : “Vous avez une impression d’utilité, d’un travail qui va déboucher sur des réalisations concrètes. » (Berthier, L., 2015)
Mais ce n’est pas le cas de tous. Un inspecteur des finances de l’époque raconte ainsi que des frictions fortes étaient apparues lors de ces audits. (Chavane, L., 2007)
Ainsi, la RGPP, mise en place à partir de 2007, apparaît comme le prolongement et la systématisation des vagues d’audits de modernisation mis en place à partir d’octobre 2005, la direction du budget et la Direction Générale de la Modernisation de l’État, devenant les copilotes de la réforme de l’État. C’est d’ailleurs à partir des données obtenues par la première vague d’audits (2005-2007) que seront décidées les premières mesures.
De nouvelles commissions sont mises sur pied, associant à nouveau cabinets de conseil et fonctionnaires, la DGME considérant qu’une alchimie avait été trouvée après deux ans de travail commun, bien que le choc des cultures soit toujours présent. (Chavane, L., 2007)
Ces commissions d’audits, réutilisant des modèles issus du privé, menaient systématiquement à des réformes visant à restructurer l’administration, à accroître ses performances et à réduire les dépenses publiques. Des rapporteurs de ces commissions ont été nommés à des postes éminents au sein du cabinet du Président à l’Élysée et du cabinet du ministre du budget, des comptes publics, de la réforme de l’État et de la fonction publique. (Bezes, P., 2010)
Des critiques sur le fond et la forme
Tous les rapports ainsi réalisés restaient privés, et les fonctionnaires n’étaient pas directement consultés. Fabien Gélédan y voit principalement deux raisons. D’un côté, les rapports préconisant systématiquement des réductions d’effectifs, il semblait approprié de ne pas en discuter au préalable avec les principaux concernés, puisque ces derniers ne voudraient pas voir leur poste supprimé :
« on ne va pas dire à un mouton qu’on va lui couper la tête »[1]
De l’autre, les ministères étant très forts pour déconcerter les acteurs lors des négociations afin d’obtenir des résultats plus intéressants pour eux, il semblait plus efficace d’éviter ces négociations.
Durant la RGPP, les auditeurs présents dans les ministères se renseignaient sur le fonctionnement de ces derniers en questionnant régulièrement les fonctionnaires présents sur leurs activités. C’est en particulier une des raisons pour lesquelles ces inspections des ministères n’ont pas très bien été vécues par les fonctionnaires y travaillant.[1]
De plus, l’influence croissante des cabinets d’audits dérange les hauts fonctionnaires et réciproquement, comme le résume cette citation d’un consultant d’Accenture :
«Une des raisons pour lesquelles notre chiffre d’affaires est bien plus bas en France, c’est parce qu’on doit sans cesse ramer pour convaincre, rassurer, expliquer et se justifier d’exister face à des hauts fonctionnaires, bourrés d’a priori sur les consultants, qui sont sur leurs chasses gardées […] et qui nous mettent des bâtons dans les roues !»[2]
Ces derniers regrettent de plus de ne pas être totalement libres dans leurs actions : les groupes d’audits constitués restent toujours dirigés par des membres de la fonction publique. De plus, les fortes contraintes limitent les actions d’amélioration possibles : « Avec une telle inertie, nous sommes souvent conduits à proposer des solutions peu spectaculaires, qui peuvent amener l’État à se demander pourquoi il nous paie aussi cher » raconte un professionnel dans les Echos (Rouffy J-F., 2008).
C’est en effet une question qui se pose aussi du côté des fonctionnaires. En 2008, le recours à des cabinets privés représentait plus de 350 millions d’euro de dépenses. Les consultants doivent donc sans cesse convaincre les décideurs politiques de leur utilité (Rouffy J-F., 2008). Cela fait aussi partie des critiques formulées par la cour des comptes : selon elle, les dépenses ne seraient pas suffisamment encadrées. Elle regrette de plus un surplus de consultants venus du privé, alors que les compétences de l’administration ne sont pas employées à leur plein potentiel. Enfin, elle regrette que l’expérience venue du privé ne soit pas plus profitable aux membres de l’administration, qui auraient pu à terme devenir des consultants publiques. (La cour des comptes, « LE RECOURS PAR L’ÉTAT AUX CONSEILS EXTÉRIEURS Communication à la commission des finances du Sénat », 2015)
Des clubs sont créés afin de mettre en relation des acteurs du public et du privé et contribuent à l’essor des cabinets de conseil dans le public. En effet, de véritables appels d’offre sont passés du public vers le privés. Ceux qui les remportent notent que le plus souvent, le fait d’avoir travaillé dans la fonction publique par le passé est un plus.
Cependant, l’opposition privé-public n’est peut-être pas la bonne :
« la RGPP oppose moins secteurs public et privé qu’élites d’un côté, fonctionnaires subordonnés et « usagers » de l’autre. En effet, loin de se conformer aux signes, vocabulaire et pratiques de la « modernité » managériale, soi-disant spécifiques au secteur privé, une fraction de l’élite de l’État produit savoirs et pratiques ad hoc et s’appuie, pour la mise en œuvre des réformes et le contournement des résistances qu’elles soulèvent, sur le savoir-faire des grands cabinets de conseil. Si le poids de ces derniers se trouve renforcé au sein de l’État, les experts sont cependant maintenus dans une position subordonnée vis-à-vis des élites administrative et politique. »[3]
En effet, les cabinets de conseil restent au service des grandes instances de l’État.
Ainsi, si le débat sur l’importance des cabinets de conseil dans l’administration reste confiné aux plus hauts niveaux de l’État, la question du rapport utilité / coût pose encore problème. La baisse des effectifs a en effet entraîné un recours plus fréquent aux contractuels.
[1] Entretien réalisé avec Fabien Gélédan
[2] Les sommets très privés de l’Etat «Le Club des acteurs de la modernisation et l’hybridation des élites », Julie Gervais
[3] Les consultants et la réforme des services publics, Odile Henry, Frédéric Pierru