Influence des cabinets d’audit

« Mélanger » les expertises

En juillet 2005, la création de la Direction Générale de la Modernisation de l’État (DGME), qui dépend du ministère en charge du budget, signe le début d’une époque où la réforme d’État sera principalement entre les mains du ministère de l’Économie et des Finances. Dans ce cadre, le ministre du budget lance une vague d’audits de modernisation, mis en place par la circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2005, sous contrôle de la DGME pour utiliser plus efficacement l’argent public.

La RGPP, mise en place à partir de 2007, apparaît comme le prolongement et la systématisation des vagues d’audits de modernisation mis en place à partir d’octobre 2005, la direction du budget et la Direction Générale de la Modernisation de l’État, devenant les copilotes de la réforme de l’État. C’est d’ailleurs à partir des données obtenues par la première vague d’audits (2005-2007) que seront décidées les premières mesures.

Ces commissions d’audits menaient systématiquement à des réformes visant à restructurer l’administration, à accroitre ses performances et à réduire les dépenses publiques. Des rapporteurs de ces commissions ont été nommés à des postes éminents au sein du cabinet du Président à l’Élysée et du cabinet du ministre du budget, des comptes publics, de la réforme de l’État et de la fonction publique.

Des critiques sur le fond et la forme

Tous les rapports ainsi réalisés restaient privés, et les fonctionnaires n’étaient pas directement consultés. Fabien Gélédan y voit principalement deux raisons. D’un côté, les rapports préconisant systématiquement des réductions d’effectifs, il semblait approprié de ne pas en discuter au préalable avec les principaux concernés, puisque ces derniers ne voudraient pas voir leurs postes supprimés :

« on ne va pas dire à un mouton qu’on va lui couper la tête »[1]

De l’autre, les ministères étant très forts pour déconcerter les acteurs lors des négociations afin d’obtenir des résultats plus intéressants pour eux, il semblait plus efficace d’éviter ces négociations.

Durant la RGPP, les auditeurs présents dans les ministères se renseignaient sur le fonctionnement de ces derniers en questionnant régulièrement les fonctionnaires présents sur leurs activités. C’est en particulier une des raisons pour lesquelles ces inspections des ministères n’ont pas été très bien vécues par les fonctionnaires y travaillant.[1]

De plus, l’influence croissante des cabinets d’audit dérange les hauts fonctionnaires et réciproquement, comme le résume cette citation d’un consultant d’Accenture :

« Une des raisons pour lesquelles notre chiffre d’affaires est bien plus bas en France, c’est parce qu’on doit sans cesse ramer pour convaincre, rassurer, expliquer et se justifier d’exister face à des hauts fonctionnaires, bourrés d’a priori sur les consultants, qui sont sur leurs chasses gardées […] et qui nous mettent des bâtons dans les roues !»[2]

Des clubs sont créés afin de mettre en relation des acteurs du public et du privé et contribuent à l’essor des cabinets de conseil dans le public. En effet, de véritables appels d’offre sont passés du public vers le privé. Ceux qui les remportent notent que le plus souvent, le fait d’avoir travaillé dans la fonction publique par le passé est un plus.

Cependant, l’opposition privé-public n’est peut-être pas la bonne :

« la RGPP oppose moins secteurs public et privé qu’élites d’un côté, fonctionnaires subordonnés et « usagers » de l’autre. En effet, loin de se conformer aux signes, vocabulaire et pratiques de la « modernité » managériale, soi-disant spécifiques au secteur privé, une fraction de l’élite de l’État produit savoirs et pratiques ad hoc et s’appuie, pour la mise en œuvre des réformes et le contournement des résistances qu’elles soulèvent, sur le savoir-faire des grands cabinets de conseil. Si le poids de ces derniers se trouve renforcé au sein de l’État, les experts sont cependant maintenus dans une position subordonnée vis-à-vis des élites administrative et politique.[3]

En effet, les cabinets de conseil restent au service des grandes instances de l’État.

[1] Entretien réalisé avec Fabien Gélédan

[2]Les sommets très privés de l’Etat  «Le Club des acteurs de la modernisation  et l’hybridation des élites », Julie Gervais

[3] Les consultants et la réforme des services publics, Odile Henry, Frédéric Pierru