Le jour où l'Etat me donne 10 000 fois ce qu’il donne à l’université, je supprime complètement les droit de scolarité : complètement.

Richard Descoings, ancien directeur de Science Po Paris

Entretien avec Marc Champesme


19 janvier 2012 - SNESup



Marc Champesme est directeur du Syndicat National de l'Enseignement Supérieur


Comment réagissez-vous aux propositions de Terra Nova des dernières grandes vacances où ils proposent le triplement des droits de scolarité pour l'université notamment, et en parallèle des allocations d'autonomie pour les étudiants ?

 

Alors nous on est absolument opposés à toute augmentation des frais d'inscriptions, on est favorables à la gratuité complète. Pour nous ça passera déjà de manière immédiate par une diminution des frais d'inscription, pour aller vers la gratuité. C'est d'ailleurs un principe constitutionnel, la gratuité, il existe un passage dans le préambule de la Constitution :
« La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. » Nous on est tout à fait sur cette position là et on aimerait bien que parmi ces principes qui sont au plus haut niveau d'importance dans la République, la gratuité soit respectée. En ce qui concerne la déclaration de Terra Nova, si il y a une chose pour laquelle on est favorable c'est l'allocation d'autonomie. L'absence de droits d'inscription n'est pas équivalente à la gratuité. Pour des jeunes qui poursuivent des études, le fait que les droits d'inscription soient éventuellement nuls ne règlent pas le problème de la gratuité. Il faut aussi que les étudiants aient des moyens de faire leurs études sans avoir besoin d'exercer une activité salariée à côté, car dans la majorité des cas elle nuit aux études. Il faut que les jeunes aient les moyens de subsistance qui leur permettent de se consacrer entièrement à leurs études pendant la totalité de leurs études.

 

Du coup de ce fait vous réagissez négativement à l'augmentation des droits de scolarité effectués à Sciences Po et à Dauphine.

 

Oui, nous sommes opposés à ce principe, même au principe consistant à moduler les frais en fonction des revenus familiaux. Pour nous c'est contraire à la gratuité parce qu'en fait c'est un principe qui individualise la charge financière des études. Pour nous l'éducation de manière générale y compris l'enseignement supérieur est un service public, et comme tous les services publics il doit être offert à l'ensemble de la population aux mêmes conditions indépendamment de leurs revenus. Bon c'est vrai qu'il y a de moins en moins de service publics mais prenez par exemple l'hôpital, on n'envisage pas (du moins pas encore) de moduler les coûts en fonction des ressources des patients.

 

Pour les transports publics par exemple, autre service public, il y a une partie qui est supportée par l’État et une autre par l'usager.

 

Oui, oui oui. Bon on peut distinguer plusieurs formes de services publics avec pour certains une participation financière de l'usager envisageable. Encore que si on prend le cas des transports publics, si on voulait vraiment inciter les gens à les utiliser, la gratuité serait plutôt une bonne mesure pour aller dans cette direction. Bon ça supposerait qu'on développe énormément les réseaux de transports publics... Si dans la Constitution l’Éducation est mentionnée explicitement pour dire qu'elle doit être gratuite c'est aussi que c'est une mission particulière de l’État.

 

Seriez-vous hostile à un impôt ou une cotisation similaire au système des retraites payés par les actifs pour ceux qui font leurs études?

 

Comme pour tous les services publics il faut financer tout cela. Pour nous, le principe c'est qu'il y a l'impôt qui doit servir à collecter les fonds de la Nation, en particulier l'impôt sur le revenu qui a l'avantage d'être redistributif. Il ne l'est peut-être pas assez actuellement mais qui permet justement de différencier la charge des dépenses en fonction des revenus.

 

Et justement à propos de cet impôt qui est plus ou moins progressif, les Grandes Écoles sont monopolisées par les enfants issus de familles de catégories favorisées. Elle sont financées par les impôts payés par tout le monde. N'y aurait-il pas un problème de justice sociale ?

 

Non c'est à dire que nous on souhaite en même temps démocratiser l'accès à l'enseignement supérieur. De toute façon même dans l'ensemble de l'enseignement supérieur il y a surreprésentation des enfants de foyers aisés, c'est le cas général dans tout le système. Bon c'est vrai qu'il y a des secteurs particuliers, les grandes écoles par exemple, où les choses sont encore plus accentuées. Nous ce qu'on c'est que l'ensemble de l'enseignement supérieur se démocratise y compris les grandes écoles. On réfléchit aussi à rapprocher les grandes écoles des universités parce qu'on considère qu'avoir ce dualisme entre grandes écoles et universités c'est pas quelque chose de satisfaisant. Au lieu de partir du fait que l'enseignement supérieur est ségrégatif dans le sens où il y a des classes sociales qui sont surreprésentées. On part de ce fait là constaté pour en tirer les conséquences en terme de droits d'inscription. Ce qu'on souhaite au contraire c'est remettre en cause justement cette ségrégation sociale dans l'enseignement supérieur pour que l'ensemble des couches de la société puissent accéder à l'enseignement supérieur et qu'il n'y ait pas d'école réservée, même de fait, à certaines catégories sociales.

 

On va maintenant passer à quelque chose qui vous concerne plus particulièrement. La question se pose pour le financement de l'enseignement supérieur, qui en terme de pourcentage de PIB est inférieur à celui dans d'autres pays comparables à la France. Mais en partant du constat que l'enseignement supérieur manque d'argent, on a en parallèle de l'argument des ressources supplémentaires provenant d'une hausse des frais de scolarité, celui d'un investissement éventuellement plus fort. Un élève sachant qu'il paye une somme non négligeable pour sa scolarité, ne serait-il pas plus attentif et plus regardant en ce qui concerne la qualité des cours et des professeurs ? Pour appuyer cet argument, une étude italienne a montré le fait qu'à situation financière similaire, un étudiant qui paye plus de frais redouble moins et donc réussit mieux.

 

Alors effectivement de toute manière ce qu'on sait c'est que la motivation est un facteur essentiel dans la réussite. On peut réfléchir à comment augmenter cette motivation. Vous parlez des frais de scolarité mais on entend aussi l'histoire de la sélection. Si les établissements sont sélectifs les étudiants sont plus motivés donc réussissent mieux. Il existe d'autres manières pour motiver les étudiants, ça peut consister en une qualité d'encadrement des étudiants. Cela peut être aussi de faire en sorte de proposer aux jeunes des formations qui correspondent plus à leurs aspirations. Ce qu'on constate c'est qu'un grand nombre d'étudiants veulent poursuivre leurs études mais ne trouvent pas de filières qui leur correspondent. C'est aussi un facteur d'échec important. Ensuite sur la prétendue motivation due aux frais d'inscription. C'est un argument qui ne joue pas de la même manière pour tout le monde. Il est évident que quelqu'un qui a des parents qui ont énormément d'argent, quelque soit la somme qu'il paye ça n'aura pas d'influence sur sa motivation. Il aura fait aucun sacrifice personnel. C'est un argument qui peut éventuellement jouer pour les catégories modestes. En même temps celles-ci seront le plus victimes de pouvoir poursuivre les études. Parce que comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a d'autres frais... Les frais d'inscription sont une petite partie du problème.

 

Ne pensez-vous pas que comme les études profitent à l'ensemble de la communauté puisque les gens vont ensuite travailler et être au service de la société, et qu'il y a à la clef un gain salariale, il soit normal que ce retour soit en fait un retour sur investissement ?

 

C'est un principe qui s'oppose pour moi à la notion de service public. C'est quelque chose qui bénéficie à l'ensemble de la société. Avec ce type de raisonnement on tend à changer le principe du service public. On individualise le coût en fonction des bénéfices que chaque personne individuellement va retirer de sa formation. On considère que l'ensemble des citoyens doit pouvoir bénéficier du service public dans son entier. C'est une question de principe.

 

Si on prend l'exemple de Sciences Po, ils proposent des frais de scolarité allant de 0€ à 12k€ pour les plus aisés. Ce n'est pas la même logique ?

 

Non pas tout à fait puisque là on se place sur un type de formation. Il n'y a pas de différenciation a priori entre les étudiants concernés.

 

Énormément d'établissements font le choix d'entrer dans un modèle de compétition internationale, à l'image de Sciences Po qui a réussit a augmenté ses frais de scolarité. On observe dans les établissements qui ne le font pas qu'il sont vidés de leurs meilleurs professeurs car il est évident que ceux-ci ne peuvent pas les payer aussi cher vu qu'il ne disposent pas de ressources provenant de frais de scolarité élevés. Quelle est la solution ? Car en effet ceux qui peuvent payer Sciences Po le feront parce qu'il y aura les meilleurs professeurs, alors que les établissements gardant la traditionnelle idée du service public seront lésés.

 

C'est aussi quelque chose contre quoi on se bat : le principe d'attirer par le salaire des enseignants de « très haut niveau ». On voudrait que l'ensemble des personnels enseignants soient des fonctionnaires et aient des salaires comparables, en fonction de leur ancienneté, avec des systèmes de primes éventuellement. La voie suivie par le gouvernement est la multiplication des possibilités d'obtention de promotions aux enseignants ou chercheurs avec des montants complètement variables, et d'engager des professeurs en CDI sans aucune limitation de niveau de salaire. Tout cela conduit à la situation que vous décrivez. On embauche des super personnalités en les payant beaucoup, ce qui représente un coût. Ils espèrent monter dans les classements internationaux et attirer des élèves. Cela pose la question de la motivation de l'enseignant-chercheur quand il cherche du travail uniquement pour l'argent. En France on est quand même dans un système où on a beaucoup de candidats enseignants-chercheurs de très haut niveau qui pour l'instant ne courent pas après des salaires mirobolants. Nous d'ailleurs on milite parce qu'on trouve que leurs salaires ne correspondent pas à leur niveau de qualification. Prenez mon cas je suis informaticien, je suis maître de conférence, j'ai 17 ans d'ancienneté et je gagne 3 000 €. Quand je vois mes étudiants qui au bout d'un master touchent autant que moi voire plus... Il y a quand même un problème. On est dans une situation où on ne manque pas d'enseignants-chercheurs de qualité pour occuper les emplois. On peut donc se poser la question de savoir si c'est bon de recruter des gens à des hauts salaires qui vont un an plus tard aller ailleurs à l'autre bout de la planète pour toucher deux fois plus ? Il n'est pas évident qu'elle s'implique vraiment dans la formation qu'il assure.

 

Est-ce que de toute manière ne sommes-nous pas déjà rentrés dans un système où les professeurs sont poussés à aller à l'étranger non seulement pour le salaire mais aussi pour les conditions de travail ? En France par exemple, non seulement on investit un point de PIB en moins dans l'enseignement supérieur par rapport aux États-Unis, mais en plus nous avons un financement privé quasiment nul (la faute en particulier à la faiblesse des frais de scolarité). Les professeurs vont à l'étranger car les établissements là-bas ont beaucoup plus de moyens.

 

Il serait important de moduler cet argument. Dans quelle mesure est-ce réellement vrai ? On pense tout de suite aux super-universités type Harvard, Cambridge... Est-ce la majorité ? C'est à voir. Indépendamment de ça, les conditions de travail des enseignants sont assez déplorables dans un certain nombre d'établissements. Il y a une charge de travail résultant notamment du fait que les enseignants sont obligés d'accomplir le travail qui devrait être fait par du personnel administratif et technique, trop peu nombreux. On est très loin du compte. On peut concevoir que certains collègues partent pour avoir de meilleurs conditions de travail. La réponse c'est d'améliorer les conditions de travail, et donc le financement, mais pas d'une hausse des frais de scolarité. Il faut réussir à ce que l’État fournisse les financements nécessaires. La question sort un peu de notre débat ce n'est pas à nous de chercher où prendre l'argent pour financer l'enseignement supérieur. Il y a quand même un certain nombre de constats, où va l'argent dans notre société aujourd'hui, les dividendes versés par les sociétés à leurs actionnaires atteignent des montants énormes... enfin nous ne sommes pas une organisation politique, on ne va pas proposer un programme. Les financements seraient possibles si on changeait certaines orientations politiques, en terme de fiscalité par exemple. C'est à la Nation de choisir quel niveau de service public on veut et puis de trouver les moyens d'assurer les financements.

 

Est-ce que vous pensez que les Français accepteraient la gratuité des frais de scolarité ce qui impliquerait une légère hausse des impôts de tous les Français. Et ceux qui ne font pas d'études ne verraient pas pourquoi ils paieraient la scolarité de ceux dont la scolarité coûte énormément. Que ceux qui veulent faire des études brillantes payent le prix plutôt que toute la société ait à supporter cette charge.

 

Augmenter les ressources par l'impôt, je veux parler surtout de l'impôt sur le revenu, qui est le plus redistributif, ne veut pas dire que chacun contribuerait pareillement à ce financement. Ensuite, il y a un certain nombre de questions qui se posent puisque il y a des ménages qui ont des hauts revenus mais reçoivent des allègements fiscaux pour pouvoir aider leurs enfants à faire des études. Ces avantages ne bénéficient qu'aux foyers les plus fortunés, peut-être qu'on pourrait penser à revoir tout cela.

 

Et ne pensez-vous pas, surtout du point de vue de la frange fortunée, les gens ne préfèrent pas investir dans un enseignement supérieur qui serait privatisé plutôt que de continuer à faire confiance dans l’État vu le système de l'enseignement supérieur et du secondaire. En supprimant les frais de scolarité, on accorde une confiance accrue dans l’État. L’État est-il apte à gérer l'enseignement supérieur dans son ensemble ?

 

Nous ne voyons pas d'incompatibilité entre le fait que l'enseignement soit géré par l'Etat et le fait qu'il soit efficace. On a effectivement cette image du service public qui coûte cher et qui ne sert à pas grand chose. Maintenant quand on considère les dépenses faites par les établissements privés dans les campagnes de publicité et de communication, on peut se demander si il s'agit d'argent bien dépensé. On préférerait nous que tout cet argent soit alloué aux missions d'enseignement et à la recherche. D'autre part, à partir du moment où on confie un secteur au privé, l’État renonce à un droit de regard sur ce qui va être fait : programmes, façons de procéder, qualité, types d'enseignements qui peuvent exister... C'est déjà une question qui naît suite aux réformes sur l'autonomie des universités. Certains enseignements disparaissent car ils sont considérés « non rentables », car difficiles à mettre en œuvre et n'intéressent pas forcément les universités. Un exemple typique est la formation de professeurs d'enseignements technologiques et professionnels. Si on laisse faire le marché, ces formations sont supprimées par manque de soutien fort de l’État.

 

Dans l'hypothèse où on applique une gratuité totale, est-ce normal que personne ne paye alors que les différentes formations ne coûtent absolument pas la même somme par élève ?

 

Actuellement il n'y a pas de différences entre disciplines en ce qui concerne les droits de scolarité. Le problème c'est plutôt le financement que reçoivent les établissements. Il faut qu'ils puissent assurer les formations dans de bonnes conditions quelque soit la filière. Effectivement c'est plus coûteux en science / technologie qu'en philosophie, encore qu'en philo il y ait quand même besoin de certains équipements documentaires. Ce qui me choque plus c'est qu'il y ait des différenciations dans les frais d'inscriptions en fonction du niveau d'étude. Cela correspond un peu à la logique du retour sur investissement, entre licence, master, formation d'ingénieur... On est absolument pas d'accord car ça ne correspond pas forcément au coût de la formation mais plus au retour sur investissement.

 

Sur le lien entre étudiants et professeurs. Pensez-vous qu'une modification de la législation aurait des conséquences sur le comportement des professeurs relativement aux élèves et vice-versa ?

 

Effectivement à partir du moment où les frais d'inscription sont augmentés de manière significative, l'étudiant se sent passer du statut d'usager à celui de client, et de ce fait en droit d'en vouloir pour son argent. C'est une question sur laquelle on doit se pencher. Cela peut avoir comme effet également d'induire au niveau d'un établissement des privilèges pour les formations qui rapportent et coûtent plus. Notamment si par exemple les masters prennent plus d'importance, on peut penser que l'université puisse diminuer encore plus qu'elle ne l'est à ce jour, l'attention qu'elle porte à la licence.

 

Si au contraire on les mettait à 0, ne passerait-on pas du statut d'usager à celui d'usager occasionnel... ?

 

Effectivement dans une formation très sélective et avec des droits d'inscription élevés, les étudiants qui y arrivent se sont donnés du mal. A priori ils avaient une forte motivation pour être là. Maintenant il y a dans les filières peu sélectives des étudiants qui ont aussi une forte motivation. Que fait-on des étudiants qui avaient une motivation pour un certain type d'étude mais qui n'ont pas réussi à obtenir ce qu'ils espéraient ? Peut-être par manque d'argent, d'information... la motivation c'est quelque chose que les étudiants doivent acquérir petit à petit. Beaucoup de lycéens n'ont pas de motivation forte pour un cursus particulier, et donc leur motivation doit se construire en première année d'étude. On se retrouve en particulier en licence avec un public très diversifié d'étudiants, aux motivations diverses. Ce sont des considérations à prendre en compte en dehors de la seule évocation d'un effet d'une modification des frais d'inscription. On a un droit de poursuite d'étude que nous défendons pour tous les bacheliers. Il doit le faire avec un projet qu'on lui propose qui correspond à ses motivations, ses goûts, ses acquis... Or actuellement, il y a un certain nombre de formations qui existent, et l'étudiant qui n'arrive pas à entrer dans la formation qui lui correspondrait se retrouve en licence 1. Il faut trouver un moyen de permettre aux étudiants de pouvoir avoir accès à quelque chose qui leur correspond mieux.

 

Vous proposez la gratuité de l'université pour une question de principe et vous évoquez assez peu l'argument social d'une gratuité qui permet à tous d'accès à l'enseignement supérieur.

 

De toute manière, la condition financière des étudiants est un obstacle très important à la poursuite des études. Ce que je dis juste c'est qu'actuellement les frais d'inscription dans le public sont vraiment modestes comparés à ce qui se fait dans le privé mais c'est encore un frein important, qui n'est pas le seul. Les problèmes de bourse, de logement doivent être résolus aussi. Passer à la gratuité ne serait pas un si grand saut que ça en ce qui concerne la licence. Au niveau master et ingénieur, ça le serait déjà plus.

 

[Question s'éloignant un peu du sujet]

On a une nécessité de sélection dans certaines filières, il n'y a pas forcément la place pour tout le monde en terme de débouché professionnel. Vous êtes donc contre une sélection par l'argent, êtes-vous quand même pour une sélection par le niveau ?

 

Le problème de la sélection c'est que ça se fait de manière générale sur des critères qu'on maîtrise très mal. On a pas forcément de garantie que tous les gens qu'on rejette étaient incapables de réussir. La sélection ne garantit pas non plus la réussite. Ce qui est évident c'est que les établissements ne peuvent pas accueillir non plus un nombre d'étudiants illimité. Ce qu'il faut faire c'est réfléchir aux adaptations quant aux possibilités d'accueils des établissements. En particulier, les jeunes qui ont un bac pro n'ont que très peu d'options pour poursuivre leurs études en relation avec les connaissances qu'ils ont acquises au lycée. Il faut probablement développer de nouvelles filières de formations, si ils ont une motivation ils devraient pouvoir poursuivre.

 

L’État doit adapter les infrastructures en fonction de ce que les étudiants veulent faire, mais se doit aussi de regarder quels sont les besoins à la sortie.

 

Est-ce qu'on imagine que la finalité est uniquement le débouché professionnel ? Il est vrai qu'il faut prendre en compte les besoins de la Nation pour son propre développement. Maintenant est-ce qu'on doit nécessairement calibrer les flux pour qu'ils correspondent aux besoins, ce n'est pas forcément une bonne idée. Par exemple, pour des formations dont on dit souvent qu'elles ne préparent à aucun avenir professionnel - ex : la philo – ce qu'on observe c'est que les jeunes qui en sont diplômés arrivent plutôt bien à s'insérer professionnellement. Les entreprises ont développé des projets qui valorisent les étudiants venant des cursus de lettres et sciences humaines qui n'avaient a priori pas de finalité professionnelle avérée claire. D'autre part, ce qu'on observe aussi c'est qu'un étudiant titulaire d'un diplôme donné, leur insertion réelle dans l'emploi est souvent absolument autre que celle initialement prévue par le diplôme. C'est une erreur de concevoir une filière de formation en fonction des besoins du marché qu'on pressent à un instant t. De plus les choses peuvent évoluer très rapidement, en particulier pour certains champs professionnels. Les prévisions peuvent êtres faites à quelques années mais si on crée une filière les premiers diplômés ne sortiront pas avant 5 ans.

 

En Australie, il existe les prêts à remboursement contingent. Chaque étudiant choisit sa formation et ne paye pas tout de suite ses études mais rembourse une partie après avoir trouvé un métier au salaire suffisant.

 

C'est toujours la même chose, ça repose sur le principe du retour sur investissement individuel. C'est une conception assez perverse puisqu'elle tend à faire dire « j'ai payé ma formation et je ne dois rien à la société, j'estime avoir payé le prix ». De toute façon quand on diplôme des étudiants, je considère qu'on a un bénéfice pour l'ensemble de la société. Les gens seront plus instruits, plus capables de réagir aux problèmes auxquels la Nation fait face, ils paieront des impôts. La rétribution est là quoiqu'il arrive.

 

Pouvez-vous nous donner quelques informations sur le SNESUP ? Sur la question des droits de scolarité, diriez-vous que votre position est partagée ?

 

On syndique tous les enseignants du supérieur public, on a quelques syndiqués privés mais c'est marginal. Nous avons environ 40% de représentativité. Cela dit en terme de pourcentage vis-à-vis des effectifs ce n'est pas énorme. Pour la question des droits d'inscription, ce qui est sûr c'est que l'idée de les augmenter est massivement rejetée.

 

Concernant notre situation à l’École des Mines ? Le budget total est de 85 millions d'euros pour 3,5 promotions et nous ne payons que 800€ de frais d'inscription.

 

Ce qu'on pourrait souhaiter ce serait que les universités puissent disposer de financements comparables...

 

Avez-vous une idée chiffrée de ce que ça coûterait ?

 

Ce qui est sûr c'est que la gratuité coûterait peu car les frais d'inscriptions sont déjà bas. L'allocation d'autonomie serait déjà plus chère.

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