Le jour où l'Etat me donne 10 000 fois ce qu’il donne à l’université, je supprime complètement les droit de scolarité : complètement.
Richard Descoings, ancien directeur de Science Po Paris
Sélection académique
Les établissements du supérieur se séparent en deux catégories, les établissements sélectifs et les universités. Les universités, non sélectives, présentent cependant un enseignement de qualité bien moindre. Est-ce légitime?
Dessin de G Mathieu
Le statut de service publique de l'enseignement supérieur ne devrait-il pas garantir un enseignement de même qualité pour tous?
La position de Nicolas Cheimanoff est assez originale sur le sujet, voici son raisonnement:
Si les étudiants payent leurs études, dans une logique du capital humain, un étudiant dans une école de qualité moindre (toutes les écoles ne se valent pas en France) payera pour un investissement pauvre, car ses chances d'obtenir un emploi bien rémunéré sont faibles. Il y a donc une sélection sur le niveau académique. Un étudiant peu brillant renoncera à payer des études qui ne s'avèrent pas rentable. L'Etat devant assurer le service public qu'est l'enseignement supérieur, doit donc en priorité s'attacher à financer les écoles de moindre rang.
«L’État ne donne pas un centime au MIT, l’État ne donne pas un centime à Oxford, en revanche l’État britannique donne de l'argent à la fac de New Castle. Mais la-bas on ne fait pas croire que ce sont les mêmes formations. Il y a le droit à l'éducation servi par la fac de New Castle. Et ceux qui vont un peu plus vite ou un peu mieux et se payent Oxford, et remboursent après. Et en revanche ce qu'on doit garder comme notion de service public c'est que ça ne crée pas d'inégalité. [...] Certains sont mis de côté pour des causes purement financières. D'où le système de frais de scolarité mais pas n'importe comment.»
Nicolas Cheimanoff
Cette démarche est exactement l'inverse de la démarche actuelle en France. L’État donne beaucoup plus pour les formations d'excellences qu'aux universités. Mais on remarquera que Cheimanoff reste dans un modèle élitiste de l'enseignement supérieur, mais il se sert des frais de scolarité pour compenser la sélection académique. Ceux qui passent cette sélection peuvent se permettre de payer leurs études (avec un système de PARC pour leurs permettre de choisir leurs orientation sans préoccupation financière), il faut par contre garantir un accès une éducation supérieure de qualité à ceux qui ne passe pas cette sélection.
Alain Trannoy au contraire se sert des frais d'inscription comme d'une sélection académique.
«L'idée est la suivante: pour bénéficier de l’enseignement supérieur il faut sans doute avoir des capacités cognitives dépassant un certain niveau. Il y a deux façons pour sélectionner les individus concernant leurs capacités cognitives : soit vous avez un système d’examen utilisé par les grandes écoles où on va vous faire révéler votre talent à travers des épreuves. L’autre système est un système de prix où l’on va vous faire payer, et en supposant qu’il n’y ait pas d’inégalité entre les différents milieux d’origine, à ce moment-là, seuls les gens qui ont confiance en eux, qui ont une bonne prescience de leur talent futur, vont effectivement faire ces études supérieures. Je dirai donc qu’il y a une incertitude sur ce que vous donnerez après sur le marché du travail. A 17 ans, on ne sait pas toujours si on sera très bon dans tel métier ou tel autre. On a une certaine incertitude, on peut avoir des craintes, et si vous mettez des droits d’inscription, à ce moment-là, toujours dans un système où il n’y a pas d’inégalités familiales, seuls les gens qui ont le plus conscience de leur talent vont accepter de payer des droits d’inscription. Quelque part, c’est donc révélateur d’une information privée qui est : quelle est l’opinion que vous avez vous-mêmes de votre talent. Soit c’est l’examen qui dit : vous êtes talentueux ou vous n’êtes pas talentueux, soit vous dites : moi je pense que j’ai les aptitudes pour.»
Alain Trannoy
L'accès aux études supérieures des étudiants moins brillants serait donc freiné par ces droits de scolarité, au lieu d'être facilité comme c'était le cas avec le modèle proposé par Nicolas Cheimanoff. Mais il est évident qu'une telle sélection sur la confiance ne correspond pas exactement à une sélection académique, c'est une autre information qui peut être jugée aussi intéressante. Les frais d'inscription introduisent alors un nouveau critère de sélection.