Le jour où l'Etat me donne 10 000 fois ce qu’il donne à l’université, je supprime complètement les droit de scolarité : complètement.
Richard Descoings, ancien directeur de Science Po Paris
Dans quelle mesure peut-on adopter une lecture économique de ce problème?
Nombre d'acteurs de notre controverse sont des économistes. En effet, on peut voir dans la problématique du financement de l'enseignement supérieur un problème d'optimisation qu'on peut tenter de résoudre via un modèle. Mais derrière ces modèles se cachent souvent des idées qui sortent du domaines de l'économie: quel critère doit-on chercher à optimiser dans notre modèle de financement? Comment modéliser le comportement d'un étudiant ?
On ne peut répondre à ces questions sans avancer quelques convictions. Dans quelle mesure alors peut-on adopter une lecture économique du problème?
Le capital humain, clé de toute lecture économique
Une idée clé de toutes les modélisations économiques vues dans le cadre de la controverse est celle de capital humain. Un individu possède un capital humain qui peut correspondre par exemple a son salaire potentiel future. L'enseignement supérieur entre alors en jeu puisqu'il permet de faire croître ce capital.
«Le cadre très général ça va être Le Capital humain, [...] qui est un peu la façon dont est compris […] le rôle économique de l’éducation, dans le modèle classique. Ça va être la référence que vous allez trouver dans tous les articles, le paradigme de base sur lequel vont se greffer des dizaines d’articles en économie de l’éducation.»
entretien avec Hugo Harari Kermadec
C'est l'outil qui permet de quantifier l'apport des études supérieures, il permet de traduire le suivi d'un cursus de l'enseignement supérieur en un investissement. L'économiste peut, grâce au capital humain associer une valeur aux années d'études et travailler avec. Sans cet outil, comment modéliser l'apport de l'enseignement supérieur? comment modéliser le problème d'un point de vue économique?
Refuser de raisonner en fonction de ce capital humain c'est donc se fermer toute modélisation économique du problème.
«j’ai la conviction que l’enseignement supérieur n’est pas uniquement un service personnel et individuel, mais bien le service de la société, d’une collectivité, à destination de tous. »
entretien avec Bruno Julliard, décembre 2011
Ainsi Bruno Julliard refuse d'utiliser le capital humain car les étude d'un individu profitent à toutes la société.
Le capital humain le seul outil jusqu'à présent qui permet de quantifier l'apport de l'enseignement supérieur à un individu. Son utilisation est donc un passage forcé pour tous les économistes qui s'attaquent au problème du financement des universités.
Différents point de vue pour différentes approches économiques
Plusieurs points de vue sont adoptés dans les modèles économiques par les différents économistes, reflétant différentes préoccupations.
Certains se placent d'un point de vue global,en quelque sorte du point de vue de l'état, cherchant à améliorer la rentabilité de l'enseignement supérieur en regardant les rapports entre échec scolaire et coût de l'enseignement:
«Nous adoptons la perspective de pouvoirs publics cherchant à améliorer l'efficacité économique,sous la contrainte de ne pas rendre plus inéquitable l'accès à l'enseignement supérieur »
Robert Gary Bobo et Alain Trannoy Faut-il augmenter les frais de scolarité
Notons que ces économistes tiennent quand même compte de l'accessibilité à l'enseignement supérieur. Il s'agit là d'un critère vérifiable statistiquement, en gardant un point de vue global. Ces économistes ont plutôt une approche macro économique.
D'un point de vue plus local, de celui de l'étudiant en quelque sorte, on se préoccupe plus des relations étudiants-professeurs, de la qualité de l'enseignement, avec une approche plus microéconomique:
«L’étudiant qui subit, qui n’a aucun choix, qui ne peut pas parler à ses professeurs, qui se sent complétement éloigné est condamné à rester passif. Tout ce qui peut encourager la responsabilisation et le côté acteur de l’étudiant, je pense que c’est important.»
Angèle Malâtre de l'Institut Montaigne lors d'un entretien
Ces deux point de vue très différents amène bien évidemment à des conclusions différentes.
Les modélisations du comportement de l'étudiant
C'est assurément un point clé de toute modélisation économique, et c'est aussi la principale limite des modèles économiques. Le comportement d'un étudiant est bien évidemment impossible à modéliser de manière précise. Pour pouvoir faire tourner un modèle, il faut un comportement relativement simple de l'étudiant. Chaque économiste insiste alors sur un comportement qu'il souhaite mettre en jeu. C'est la que se trouve la majeure partie de la controverse entre les économistes.
Par exemple, Robert Gary Bobo et Alain Trannoy considère que les étudiants connaissent leur potentiel académique et calculent ainsi la "rentabilité" de leur étude.
« tous les étudiants choisissent la qualité haute si et seulement si leur talent est supérieur au niveau seuil »
Modèle remis en cause par Hugo Harari Kermadec et David Flacher:
«Ambition therefore is relative to the individual's social starting point: children from higher social origins will then stay in the educational system longer than their lower class counterparts with equal talents»
Les étudiants n'ont pas tous la même conscience de leurs capacités en fonction de leurs capacités. Là où le modèle de Trannoy et Gary Bobo recommandait une augmentation des frais d'inscription le modèle de Harari Kermadec prévoit une diminution de ceux-ci.
Cette difficulté de construire un modèle proche de la réalité est bien résumé par Sandrine Garcia Payer:
« Mais le constat qui s'impose [] est qu'il s'agit d'une politique d'affichage et que l'apparente rationalité du raisonnement économique masque le fait que les élements quantitatifs qui semblent les plus objectifs sont réalité les plus aléatoires »
L'institut Montaigne, conscient de cette difficulté choisit de reporter la responsabilité du choix des frais d'inscriptions sur les universités. Celle-ci tiennent mieux compte de la diversité des étudiants, car elles ne recrutent pas toutes le même profil d'élève. Cela peut, en quelque sorte, correspondre à une approximation locale des comportements des étudiants, plutôt qu'une approximation globale:
«une pluralité de paramètres interviennent : sa localisation géographique, le bassin social dans lequel elle est plongée, le rendement des formations qu’elle dispense… Les montants des frais de scolarité doivent être fixés par les universités, notamment afin de financer un système de bourses adaptées aux étudiants.»
Mais l'Institut Montaigne ne propose alors pas de système de financement précis, et ne fait que décaler le problème au niveau des université qui se retrouve confrontée au même choix que nos économistes précédents.
Devant la diversité des systèmes de financements proposés par les différents économistes, tous soutenus par des modèles économiques poussées, on peut s'interroger sur la démarche de tels articles...
Les enjeux de la démarche économique
Hugo Harari Kermadec a attiré notre attention sur les rôles que jouent les publications économiques sur la question. Des travaux scientifiques sont retranscrits dans ces documents qui sont, certes, le relais d'un raisonnement rigoureux et méthodique venant enrichir le débat dans la communauté scientifique mais qui permettent également l'expression affirmée d'un point de vue dans le débat public.
«Je pense que c’est un outil de légitimation purement symbolique. C’est-à-dire qu’on est capable de faire des maths et à partir de là on a un avis qui est un peu plus légitime. En particulier dans cette littérature là, sur ce sujet, je ne vois pas d’article qui permette de fixer un niveau précis [de droits de scolarité] qui corresponde à une situation. C’est une façon d’argumenter qui est plus difficile à attaquer qu’une autre, c’est surtout ça.»
Entretien avec Hugo Harari Kermadec
Il n'exclue pas sa co-rédaction avec David Flacher de ces propos:
«Pour moi, ce sont vraiment des outils de légitimation donc on cherchait quelles hypothèses modifier pour arriver à une conclusion inverse. On essaye alors de convaincre que l’on pourrait modifier l’hypothèse selon laquelle tout le monde réagit pareil face à un examen, face à des frais de scolarité pas raisonnables. On s’appuie d’une part sur un peu de littérature sociologique pour ça et de littérature économique aussi et on arrive à la conclusion qu’il ne faut pas augmenter les frais de
scolarité, en tout cas pas du tout dans ces proportions-là, et que les frais de scolarité vont amener à des inégalités.»
Ainsi, les articles scientifiques sont d'une importance cruciale dans l'évolution du débat, fournissant des éléments concrets en faveur ou à l'encontre d'une position sur le sujet.