Dans le contexte actuel de difficultés sociales importantes pour les familles françaises, je pense que l’heure n’est pas, quelles qu’en soient les conditions, à augmenter le prix d’accès à un service public.

Bruno Julliard, membre du PS et adjoint au maire de Paris

Education par répartition, capitalisation, et moyen de sélection?

 

Selon la théorie du capital humain développée notamment par Gary-Becker, l’étudiant, en payant des droits de scolarité, investit dans le développement de son capital humain, qu’il rentabilisera par la suite dans le monde professionnel. On peut ainsi définir un taux de rentabilité interne qui va dépendre des droits de scolarité (son investissement initial) et des revenus futurs escomptés. L’élève tire plus ou moins profit de son investissement dans l’enseignement supérieur selon son talent. L’idée est alors de fixer des droits de scolarité de telle sorte que seuls les élèves les plus à même de profiter de l’ES (ie les élèves les plus talentueux) aient intérêt à les payer (car ils pourront en tirer un profit suffisant).


Dans un article publié en 2005, les deux économistes français Robert Gary-Bobo et Alain Trannoy développent cette idée. A l’aide d’un modèle simple, ils montrent qu’un examen d’entrée et des droits de scolarité assez élevés ont un effet similaire : ils permettent de sélectionner les élèves les plus talentueux à l’entrée de la formation. Leur motivation est la suivante :

« Une allocation optimale des ressources éducatives exige que ceux à qui l'on dispense l'enseignement supérieur soient dans un certain sens ceux qui en tireront le plus grand profit, pour eux-mêmes et pour la société dans laquelle ils vivent. »

Les deux universitaires n’oublient néanmoins pas le biais social en précisant :

« La recommandation d'augmenter les droits d'inscription doit s'accompagner d'une véritable réflexion sur la capacité à amoindrir ou à annihiler ces contraintes financières. »

Lors de notre rencontre avec Alain Trannoy, nous sommes revenus sur cet article en l’interrogeant sur la pertinence d’un système de droits de scolarité élevés par rapport à un système d’examen. Il nous a notamment dit:

“Le système actuel où il n’y a pas de signaux, on n’utilise aucun signal, ni l’examen, ni le prix, est un système qui entraine une certaine gabegie.”

Il a également cité l’exemple des classes préparatoires et des concours comme un système d’examen performant pour avoir une certaine connaissance des capacités des étudiants. Néanmoins :

“Le problème, c’est que le système des classes prépas, c’est un bon système mais c’est un système très cher qui ne fonctionne que pour 6% ou 7% d’une classe d’âge alors qu’il y a 35 à 40% des gens qui rentrent dans l’ES.”

Privilégier un système de droits de scolarité élevés par rapport à un système d’examen pourrait donc être une décision motivée par un certain pragmatisme économique, une solution coûtant moins chère que l’autre.

En face de la paire Robert Gary-Bobo / Alain Trannoy, on ne peut manquer de s’intéresser aux travaux du duo David Flacher / Hugo Harari Kermadec. Ces derniers reprennent notamment les publications de leurs prédécesseurs, discutent leurs hypothèses, et en les modifiant, arrivent à des conclusions différentes. Là où MM. Gary-Bobo et Trannoy avaient considéré une population d’étudiants homogène, MM. Flacher et Harari Kermadec distinguent deux groupes d’étudiants distincts: le groupe des individus appartenant aux classes dites privilégiées qui ont une forte propension à porter un regard neutre ou mélioratif sur leurs compétences et le groupe des individus issus des classes défavorisées qui sous-estiment leur potentiel et les résultats qu'ils pourraient tirer d'un investissement dans les études.

« The investment into education also reflects a desire from privileged classes to maximise “symbolic” returns, beyond the maximisation of economic ones . »

Modeling tuition fees in presence of social heterogeneity 3 mai 2010


“Ambition therefore is relative to the individual’s social starting point: “Children from higher social origins will then stay in the educational system longer than their lower class counterparts with equal talents””.

Tuition fees, self-esteem and social heterogeneity, 16 janvier 2011

Flacher et Harari-Kermadec analysent ensuite les conséquences mathématiques de la prise en compte de ce nouveau paramètre. En considérant une population non plus homogène mais hétérogène, ils concluent à l'inefficacité des frais de scolarité comme outil de sélection car quand ceux-ci sont élevés:

-        ils écartent les élèves doués qui se sont mépris sur leurs capacités et auraient tiré profit d'une inscription à l'université

-        ils permettent aux élèves socialement privilégiées mais à faible potentiel de s'inscrire

La population réelle étant hétérogène, ils estiment que les droits de scolarité doivent être inférieurs au cas homogène.

« Low enough tuition fees appear then as a key and necessary (even though not sufficient) condition in order to achieve a socially optimal equilibrium.  »
Modeling tuition fees in presence of social heterogeneity 3 mai 2010

On remarquera que les deux paires d’économistes travaillent à partir d’une même norme : l’optimum social (quels droits de scolarité permet aux étudiants qui peuvent le plus en profiter de se retrouver dans l’ES).

Par ailleurs, les deux économistes émettent une réserve supplémentaire à l’utilisation des droits de scolarité comme moyen de sélection : un élève sans talent à l’entrée de l’université est susceptible de progresser lors de son passage dans l’enseignement supérieur.


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