Dans le contexte actuel de difficultés sociales importantes pour les familles françaises, je pense que l’heure n’est pas, quelles qu’en soient les conditions, à augmenter le prix d’accès à un service public.

Bruno Julliard, membre du PS et adjoint au maire de Paris

Entretien à l’Institut Montaigne avec M. Brandou et A. Malâtre

 

10 avril 2012 - Institut Montaigne

 

Maylis Brandou, Chargée d’études à l’Institut Montaigne

Angèle Malâtre, Directrice des études à l’Institut Montaigne

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Pour vous, quel est la conception de l’enseignement supérieur sur laquelle vous basez vos travaux ? Est-ce quelque chose qui doit être quasiment universel ou y incluez-vous une part de sélection ? L’enseignement supérieur, est-ce vraiment un service public ?

M. B : Une des choses qui choque le plus quand on s’intéresse à l’enseignement supérieur en France et que l’on compare la situation avec les autres pays européens – et c’est d’ailleurs ce que dit Laurent Bigorgne dans l’entretien croisé avec Yves Lichtenberger -  c’est avant tout notre performance économique versus notre décrochage académique.  Le fait que l’on soit la 5ème puissance économique mondiale mais que, parallèlement, dans un certain nombre de classements – même si, certes, il faut faire attention aux critères pris en compte qui ne reflètent pas forcément la vraie nature des établissements - il y a quand même un certain nombre de points sur lesquels on est très en retrait en matière d’éducation, d’enseignement supérieur. Le fait même que l’on soit incapable de se hisser au rang des meilleures universités mondiales dans ces classements internationaux et qu’on ne soit pas forcément capable de garder les meilleurs éléments qui partent effectuer leurs projets de doctorat aux Etats-Unis ou faire leur bachelor dans de grandes universités anglaises, posent de réelles questions sur nos capacités à traiter ces questions relatives à ce que l’on souhaite faire de l’enseignement supérieur.

J’ai bien compris que votre question c’était : démocratisation versus excellence, faut-il un système universel ou élitiste ? Mais pour nous, l’enseignement supérieur, l’éducation, la recherche sont des priorités de l’Etat et il est absolument hors de question d’envisager un désengagement de l’Etat qui soit inversement proportionnel à une augmentation des frais de scolarité. Les droits de scolarité sont un des éléments à prendre en compte dans la diversification des ressources. Ils ne sont absolument pas un élément qui a vocation à se substituer au financement public. L’autre point important est que démocratisation n’est pas antinomique d’excellence. Au contraire, on peut très bien aller vers les 50 % ou 60 % de diplômés de l’enseignement supérieur que les objectifs européens nous ont fixés sans pour autant avoir à sacrifier l’excellence universitaire. Ceci va, bien entendu, de pair avec des financements à la hauteur de ce que l’on souhaite pour nos universités.

 

Vous évoquez des classements. Le classement de Shangaï, notamment, ne classe pas les universités ni les grandes écoles françaises en très bonne position. Certains acteurs de la controverse estiment que les critères de ce classement ne sont pas adaptés à la structure de l’enseignement supérieur français et que ces résultats ne sont pas dramatiques, d’autres jugent la situation inquiétante et souhaitent voir les établissements français grimper dans ce classement – le projet de regroupement de Saclay n’y est pas étranger. Faut-il, pour vous, absolument chercher à être dans le haut du classement, même s’il faut se plier à certains critères et changer des paramètres du système parce que un tel changement aurait finalement du bon ou faut-il considérer que les classements ne sont pas tous bons à suivre ?

 

M.B : Les classements, celui de Shangaï le premier, ont le mérite de nous faire sortir de notre bulle. Chaque classement a ses défauts, ses travers et ne sont jamais neutres. Peu importe ce que l’on en dise en France – sachant qu’on n’aime pas être critiqué ni comparé et que l’on aime bien s’auto-flageller mais il faut que ça vienne de nous-même pas de l’extérieur - les classements ont eu un impact positif sur nos universités et leur a fait du bien.

 A.M : On classe beaucoup à l’école, à l’université : la numérotation et les classements sont très importants dans la psychologie des gens. Les classements ont le mérite d’interpeler, de faire prendre conscience de certaines choses mais aussi et surtout d’avoir un regard extérieur pour ajuster certains paramètres. Évidemment il y a toujours des critères à prendre en compte mais ils ont quand même le mérite de susciter des questionnements, de permettre de voir où on se place et pousser à être meilleur. Leurs vertus pédagogiques ne sont pas négligeables d’autant plus que la diversification des classements donne une variété de points de vue.

M.B : Une chose est certaine, on assiste depuis le début des années 2000 à un double mouvement. Le classement de Shangaï d’un côté et parallèlement, une réforme de l’enseignement supérieur a été menée en France en commençant par le formalisme Licence-Master-Doctorat puis se renforçant avec la LRU en 2007. On ne peut pas dire que le mouvement de consolidation des établissements universitaires soit une réponse directe aux différents classements internationaux. L’Institut Montaigne travaille  depuis plus de dix ans sur l’enseignement supérieur. Nous avions proposé, dans un de nos rapports, d’aller vers davantage d’autonomie afin de peser plus fortement non dans les classements mais dans la compétition internationale pour attirer et retenir les meilleurs. Quand les moyens ne sont pas suffisants, l’accroissement de l’autonomie des universités passe inévitablement par le regroupement d’établissements. Cette tendance rejoint une autre idée forte, défendue depuis la création de l’Institut Montaigne : l’importance de  la transdisciplinarité. Quand on voit le fonctionnement par silo en France de nos écoles, de nos universités : là où il possible d’étudier de l’histoire et de la biologie dans le modèle anglo-saxon, cela est inenvisageable en France. Nous sommes encore trop frileux, notamment pour  monter par exemple des projets interdisciplinaires, d’organiser des rencontres entre étudiants ingénieurs, commerciaux et en marketing alors que c’est une des recettes de la réussite entrepreneuriale.

 

Que pensez-vous de la politique de Sciences Po consistant à gérer en grande partie ses bourses, de prendre le pas sur l’action du gouvernement dans la sélection des classes sociales qui accèdent à ses cursus ?

M. B. : L’autonomie est une excellente chose mais il reste encore du chemin à parcourir. La boucle sera bouclée à partir du moment où les universités pourront réellement  décider de leur carte de formation, de la composition de leur conseil d’administration, décider clairement de leur gouvernance et par conséquent des différents plafonds de frais de scolarité à mettre en place dans un cadre bien entendu défini par l’Etat mais il faut que l’université maîtrise ses choix. En effet,  une pluralité de paramètres interviennent : sa localisation géographique, le bassin social dans lequel elle est plongée, le rendement des formations qu’elle dispense… Les montants des frais de scolarité doivent être fixés par les universités, notamment afin de financer un système de bourses adaptées aux étudiants.  . S’il n’y a pas de véritable dispositif d’aide, on ne sera pas prêt en France à poursuivre ce débat,   à lancer une vraie réforme et à assumer le choix de certaines universités – Paris-Dauphine par exemple – sans que tout le monde ne crie à la casse du service public.

A.M. : Il faut toujours penser l’augmentation des frais de scolarité en lien avec un système d’aides et à l’articuler avec un mécanisme de redistribution très développé, sinon ça n’a pas de sens.

M. B. : Nous avons en France un taux de boursiers relativement élevé qui a augmenté au cours des 5 dernières années, notamment avec la création d’un sixième échelon. Mais l’augmentation réelle en termes de nombre de boursiers se situe en fait au niveau de l’échelon zéro. Ce sont eux qui, en fait, bénéficient d’une exonération des frais de scolarité et qui ne reçoivent pas d’aides financière par ailleurs.  

 

Pour revenir sur votre suggestion de laisser plus d’autonomie aux établissements, comme Sciences Po, qui gèrent eux-mêmes le niveau des frais de scolarité et leur reversement sous forme de bourses à certains élèves. En l’absence d’un droit de regard de l’Etat, ne craignez-vous pas que certains établissements plutôt élitistes tiennent le raisonnement suivant : « on impose des frais de scolarité élevé, la scolarité dans notre établissement est chère mais comme nos élèves viennent de milieux favorisés, ce n’est pas dramatique et tant pis pour ceux qui ne peuvent pas se le permettre ». Finalement la boucle est bouclée et il n’y aura pas de redistribution sous forme de bourses ou de diverses aides aux élèves plus défavorisées.

M.B. : Quand on dit qu’il faut aller jusqu’au bout de la logique de l’autonomie, ce n’est pas avec un désengagement de l’Etat. Au niveau du financement, l’Etat doit continuer d’assurer son rôle de stratège c’est-à-dire qu’il doit fixer les cadres, donner les impulsions et les grandes directions. C’est dans ce cadre, défini par l’Etat que les établissements peuvent ensuite manœuvrer.

A. M. : Quand on dit qu’il faut aller jusqu’au bout de l’autonomie, on ne plaide pour un affranchissement de l’Etat puisque l’on considère qu’il doit absolument continuer à s’investir pour avancer main dans la main avec les universités. Quant au travers élitiste, de toute façon, c’est déjà le cas, d’une certaine façon.

Ne pourrions-nous pas tenter d’y trouver une solution ? On a l’impression que la structure duale de l’enseignement supérieur intervient dans le débat et plus précisément, le problème des grandes écoles : leurs étudiants ne payent pas beaucoup plus que s’ils étaient à l’université mais pour autant, leur coût pour l’Etat est bien plus important et on ne peut pas dire que règne à l’école des Mines, par exemple, une grande diversité sociale. Est-ce un problème d’avoir deux voies clairement distinctes, notamment au niveau du financement ou doit-on s’y résoudre et accepter la situation même si on peut y voir un outil de reproduction des élites ?

A.M. : Je crois que non justement, l’idée est d’éviter ce système à deux vitesses en faisant monter certaines universités à l’excellence. Le système à deux vitesses pose problème, l’opposition classes préparatoires/université en particulier.

M.B. : Je ramène ça à la question du diplôme qu’il faut également prendre en compte. Il y a la question des grandes écoles telle qu’elle est posée via la diversité sociale, la création de milieux élitistes, ce qu’il se passe au niveau de l’université et ce qu’il se passe au niveau de l’enseignement supérieur en général c’est-à-dire : ceux qui ont vraiment accès à l’université, aux grandes écoles et qui sont censés pouvoir bénéficier de frais de scolarité extrêmement bas ne sont pas ceux qui sont issus des milieux les plus défavorisés. Je ne suis pas complètement convaincue que le débat sur les frais de scolarité nous permette d’aboutir à une solution à la question «  comment diversifier les établissements de l’enseignement supérieur ? ». A partir du moment où un étudiant sait qu’il aura les moyens de faire ses études dans une université qui n’est pas trop mauvaise et qu’il en a vraiment les moyens - 1000 à 1500 € par mois pour vivre à Paris et non pas les 300€ du CROUS et les 150€ d’APL qui ne lui permettront peut-être même pas de rentrer chez lui – à mes yeux, c’est bien plus accessible et lisible comme résultat pour les personnes qui en ont besoin. Après, il ne faut pas se raconter des histoires, on ne permettra pas à plus de jeunes issus des milieux défavorisés...

A.M : …sauf à mettre en place des conventions particulières, sauf à ce que les universités se décident à aller un petit peu dans les quartiers populaires et à mettre en place des systèmes particuliers pour les inciter à venir mais ça c’est vrai que c’est différent. Ceci dit, dans la note que l’on avait publiée, nous avions quand même proposé que l’Etat prenne en charge –avec un plafond qu’il définirait - via des droits de tirage, 3 années de formation, qu’elles soient directement après le bac ou dans une logique de formation continue. Ainsi, ces 3 années-là seraient de toute façon prises en charge par la collectivité, en tout cas c’est ce que nous avions proposé dans cette note afin que ça ne soit pas un frein à l’accès au niveau de la licence.

M.B. : On avait également insisté sur un point : c’est posé le principe qu’aucun étudiant ne saurait renoncer, pour des raisons exclusivement financières, au bénéfice de son admission dans un établissement d’enseignement supérieur. C’est la base de notre conception du problème du financement de l’enseignement supérieur. C’est aussi à rapprocher du fait que notre système universitaire avec la licence, n’offre pas aujourd’hui à proprement parler, une véritable porte d’entrée sur le marché du travail. Même si c’est un petit peu éloigné de notre propos, je pense qu’on y retrouve un lien car un étudiant qui n’a pas les moyens de financer les études qu’il voudrait mener va, la plupart du temps, être réorienté vers des études plus professionnalisantes et il faut ajouter le fait que se dire : «  après la licence, j’arrête et je commence directement à travailler » est juste inenvisageable en France. Aujourd’hui, si on va à la fac, c’est ou 5 ans ou rien mais certainement pas 3 ans, ni la fin du M1 qui est une aberration. On rejoint sur ce point les propositions formulées par Y. Lichtenberger c’est-à-dire qu’il faut arrêter la sélectivité dès la fin de la première année du master, c’est une aberration. On ne peut pas d’un côté se dire qu’on s’adapte au système LMD et qu’on va vers une européanisation des diplômes et de l’autre pousser les élèves jusqu’au M1 et ensuite mettre en place une guillotine et que seulement 5 personnes accèdent au M2. Quand on regarde en plus le taux d’insertion des étudiants à la fin de la licence et le taux d’insertion des étudiants à la fin du M1 qui est pratiquement identique et qui est quand même très élevé, on se dit qu’il y a un vrai problème. C’est un petit peu éloigné du sujet initial de la conversation mais ça fait sens parce qu’on ne peut pas se permettre de dire qu’on va essayer d’attirer un certain nombre de personnes dans les universités, leur donner la possibilité de suivre ces études si, à côté on est parfaitement incapable de les insérer sur le marché du travail et donc, au final, d’avoir un rendement, de les faire sentir qu’ils ne font pas uniquement un effort pour la collectivité lorsqu’ils vont payer leurs impôts qui vont permettre de financer les études.

 

Faudrait-il mettre en place des numerus clausus dans des filières autres que les facultés de médecine ? Un économiste, professeur à l’ENS Cachan, nous a fait remarquer que lorsque 500 élèves s’inscrivent en première année à la fac, on en retrouve 200 la deuxième année et seulement la moitié d’entre eux achèvent leur licence. Ce n’est pas très motivant ni pour les professeurs, ni pour les étudiants, ça ne leur donne pas non plus envie de s’investir d’autant plus que l’ambiance de travail n’est pas optimale – l’encadrement non plus. On s’aperçoit en outre que certains jeunes s’inscrivent, par défaut, dans une voie qui, finalement, ne les intéresse pas. Comment faire pour essayer de régler ou plutôt de diminuer l’ampleur de ce problème ?

A.M. : La question se situe plutôt en amont, au niveau de l’orientation des jeunes, thème sur lequel il faut travailler au lycée mais aussi dès le collège pour essayer d’identifier des voies d’orientation qui correspondent aux attentes des élèves. Si on envoie effectivement des jeunes dans des formations qui n’ont rien à voir avec leurs capacités et leurs volontés, il est certain qu’on aura un très fort taux de déperdition. Au niveau de l’orientation, il faut que cette aide soit apportée dans le cadre de l’action pédagogique et il faut qu’il y ait une vision des métiers porteurs, des filières d’avenir. En ce sens, l’action doit être menée en amont plus que par le biais de numerus clausus.

 

Une étude italienne a montré qu’une augmentation des frais de scolarité de 1 000 € par an fait progresser le taux de réussite de 7%. Un facteur responsabilisation entre en jeu. D’un autre côté, certains acteurs de la controverse que nous avons rencontrés s’inquiètent et se méfient de ce genre de réformes qui consisteraient à mettre le couteau sous la gorge des enfants défavorisés puisqu’ils ont déjà le coût initial de leur formation, du loyer, de la vie à assumer. Quel est votre point de vue sur la question ?

 

A.M. : Un facteur responsabilisation joue, c’est indéniable. L’effet de seuil définissant le niveau à partir duquel l’Etat doit mutualiser l’effort est déterminant pour ce phénomène. Qui est capable de payer quoi ? Il s’agit d’adapter aux uns et aux autres les critères de mise en place de cette responsabilisation. C’est sûr que si le jeune n’est pas en mesure d’assumer une augmentation de ses frais de scolarité, il faut qu’il y ait une prise en charge de la collectivité. L’effet de seuil peut se créer au-dessus ou en-dessous de la bourse ; là effectivement il faut être très vigilant sur ce point. Le rôle de l’Etat est ici de déterminer à quel moment on aide l’étudiant, à quel moment le fait de payer permet la responsabilisation de l’élève sans l’empêcher de poursuivre sa scolarité.

 

Dans le paragraphe portant sur la mise en place de droits de tirage dans la note de Nicolas Colin datant de 2008, deux hypothèses sont formulées (soit l’Etat s’occupe du financement des prêts, soit l’établissement intervient et l’Etat le rembourse selon le taux d’insertion professionnelle à l’issue de la formation) et une phrase m’a interpelé : « Un tel dispositif présente néanmoins des risques du point de vue de l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur. Il doit s’accompagner des garde-fous nécessaires pour prévenir les phénomènes de sélection adverse des étudiants dont le profil ou les souhaits d’orientation professionnelle signalent une moindre probabilité de toucher des revenus élevés durant leur vie active. » A quels garde-fous pensez-vous ? Quelles mesures mettre en place ?

 

A.M. : On est toujours confronté au choix : soit on mutualise soit on laisse à chaque établissement le soin de décider précisément quel montant d’aides ou de bourses fournir à leurs élèves avec le risque que vous souligniez tout à l’heure, qui est effectivement d’avoir un certain nombre d’évictions c’est-à-dire des établissements qui ne vont pas sélectionner certains élèves pour essayer d’engranger plus de revenus. L’Etat jouerait alors le rôle de garde-fou, veillant à ce que ce genre de pratiques ne se produise pas, soit en mutualisant soit en jetant quand même un œil sur ce que fait chaque établissement. Au niveau national, des mécanismes doivent être mis en œuvre pour éviter que des établissements refusent de recruter des étudiants défavorisés.

L’Etat est tout à fait en mesure de demander aux universités de remplir un certain cahier des charges, typiquement ne pas faire de sélection sur les revenus des étudiants. Pour éviter tous ces processus de rupture d’accès à l’enseignement supérieur et en permettre la démocratisation sans y opposer l’excellence.



Dans la situation actuelle, l’enseignant correspond simplement à une personne présente pour animer la classe et dispenser son cours alors que s’il y a un fort investissement financier de la part de l’élève, celui-ci pourrait se sentir un peu comme client et être dans l’attente d’un service de qualité, avoir son mot à dire en pesant davantage sur la façon dont se déroule les cours. Est-ce, pour vous, une tendance intéressante permettant une amélioration de la situation et de porter un regard critique sur les enseignements ou est-ce dangereux ?

 

A.M. : L’étudiant client n’est pas forcément le bon terme mais acteur de sa scolarité, oui. L’étudiant qui subit, qui n’a aucun choix, qui ne peut pas parler à ses professeurs, qui se sent complétement éloigné est condamné à rester passif. Tout ce qui peut encourager la responsabilisation et le côté acteur de l’étudiant, je pense que c’est important.

M.B. : De toute façon, à partir du moment où on demande aux familles et aux étudiants de contribuer au financement, il faut absolument que ça aille de pair avec une amélioration visible et appréciable des services proposés par les universités. Je ne veux pas tomber à chaque fois dans l’écueil anglo-saxon mais le fait que si les universités ne proposent pas une aide pour apprendre à rédiger un CV ou un département "orientations et carrières » – des services qu’un étudiant est en droit d’attendre de la part de son établissement universitaire également pour connaître les différentes options qui s’offrent à lui d’autant plus que si on vient d’un milieu défavorisé on n’a pas forcément quelqu’un avec qui parler de son orientation, capable de répondre à nos questions quand on se demande par exemple «  je veux  faire de l’histoire mais je ne veux pas être prof, que faire ? »  - qui va le faire ? D’ailleurs ce n’est pas seulement valable pour les étudiants issus de milieux défavorisés, pour tout le monde. Se demander ce qu’on allait faire de notre diplôme et de ce qu’on a appris, on est tous passé par là. 

A.M. : C’est vrai qu’à Sciences Po, on voit la proximité que les élèves ont avec leurs professeurs, qu’ils peuvent voir, appeler, à qui ils peuvent envoyer des mails, ils peuvent également solliciter le service emploi etc. L’étudiant est beaucoup plus actif, beaucoup plus mobile. Il y a des voies de recours très présentes alors qu’elles sont assez absentes à l’université même en termes de recherche de stage, quel service offre l’université ? C’est vrai que quand je paye quelque chose, j’attends, quelque part, un service plus fort et je me sens peut-être plus légitime aussi à solliciter de l’aide, à exiger certains services. Bien sûr tout cela s’inscrit dans un cadre d’amélioration des conditions de travail de l’étudiant et d’augmentation de ses chances de réussite.

 

Si je comprends bien, la différence entre votre position et celle de Terra Nova consiste à moduler l’investissement de l’étudiant et de l’Etat en fonction de la situation de chacun. Alors que les conditions de distribution de l’allocation d’autonomie que Terra Nova souhaite mettre en place semblent assez vagues. La multiplication par 3 des droits de scolarité proposée par Terra Nova, est-ce un ordre de grandeur qui vous paraît justifié ?


M.B. : La multiplication par 3 des frais de scolarité, concrètement, ça fait 300 €, 400 €, 500 € au final pour la licence et 200 € de plus pour le master. Pour nous, la question n’est pas « par combien faut-il multiplier le montant des frais de scolarité », mais pour les établissements «  qu’est-ce qu’on est en droit de demander à nos étudiants ? ».  Chaque université fait face à ses profils d’étudiants, à son taux d’insertion professionnelle. Une université qui va proposer une formation en anthropologie ne peut pas demander des frais de scolarité aussi élevés que pour une formation en finance. Si on commence à dire il faut multiplier par 3 ou 4 les frais de scolarité, on revient dans la logique voulant que l’Etat fixe un tarif national. Nous n’avons plus besoin de grandes réformes, les établissements doivent prendre des décisions eux-mêmes et l’Etat doit les laisser fixer leurs frais d’inscription.

A.M. : Ceci dit, la proposition de Terra Nova avait quelque chose d’intéressant : le débat a été ouvert du point de vue de tous les bords politiques. Voir que Terra Nova se saisit de la question et qu’une dynamique générale se forme est intéressant : ça encourage, de toute façon, le débat public.

M.B. : Terra Nova, aussi bien que l’Institut de l’entreprise, ont permis de remettre ce problème dans le débat public. Même si Louis Vogel, le président de la CPU (Conférence des Présidents d’Universités), s’est encore positionné en faveur d’une augmentation des droits de scolarité, il s’agit d’un sujet qui a vraiment du mal à prendre en France. Il va falloir réussir à poser les termes du débat– et faire en sorte qu’il y ait une vraie volonté politique pour donner le coup de pouce dont les établissements ont besoin et aller au bout de la logique de l’autonomie.

 A. M. : Il faut faire attention à l’illusion du «  tout-gratuit ». Ce n’est pas parce qu’on met en place un système sur le principe du «  tout-gratuit » que tout le monde y a accès et ce, dans l’enseignement supérieur ou la santé, c’est pareil. En 1999, une couverture maladie universelle a été instaurée pour garantir l’accès aux  soins mais on rencontre toujours des problèmes difficultés d’accès aux soins. C’est comme dans l’enseignement : ai-je dans mes réseaux familiaux ou autres des gens qui ont fait des études supérieures ou pas et qui vont me pousser à en faire ? Ce n’est pas parce que c’est gratuit qu’on y va plus. Il faut essayer de sortir de cette idée-là, il ne faut pas que les frais soient un frein mais il faut faire attention aux conclusions un peu simplistes entre gratuité et accès.

M.B. : Le fait que ça soit gratuit n’implique pas qu’on ait l’information. Quand on regarde qui sont les étudiants qui fréquentent les universités, il s’agit essentiellement d’enfants dont les parents appartiennent aux classes moyennes ou supérieures alors que l’université est quasi-gratuite. L’enjeu est aussi sur un autre point : Ai-je la capacité à aller à l’université ? Ai-je la capacité à me loger ? Ai-je la capacité de concilier travail et études, ou à me consacrer entièrement à mes études? Ce sont des vraies questions que l’on n’arrive pas à introduire dans le débat public. Pourquoi est-ce que les étudiants ne travaillent pas en même temps que leurs études ? C’est quelque chose qui est inenvisageable en France. Dans notre rapport 15 propositions pour l’emploi des jeunes et des seniors présenté un graphique comparant les pourcentages d’étudiants qui cumulent emploi et études dans différents pays. En France, on n’atteint même pas 9% alors que dans d’autres systèmes où ils ont généralement en plus un taux d’emploi des jeunes supérieur au nôtre et ils ont un accès à l’enseignement supérieur qui est plus important que le nôtre.

Juste un dernier point à propos d’une citation de Laurent Bigorgne tirée de l’entretien Comment sauver l’université française ? : «  Tout le monde s’accorde à dire qu’un des objectifs pour élever le potentiel de croissance de l’économie française est de parvenir à ce que 50% d’une génération obtienne un diplôme de l’enseignement supérieur. » Question naïve d’où vient ce chiffre ?

M.B. : Il vient de la stratégie dite de Lisbonne. En 2000, Un de ses objectifs  a consisté à dire que d’ici à 2010, il fallait que chacun des pays de l’Union Européenne permette à 50% d’une classe d’âge d’être diplômés de l’enseignement supérieur. En 2010, la stratégie Europe 2020 a fixé comme cap de porter à 40 % la proportion des personnes de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur.



 

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