Qui propose une réponse à la question : “Faut-il abolir les frontières pour résoudre les problèmes de migration ?”
La quantité d’information à ce sujet est immense, tant dans la presse que dans la littérature scientifique, dans les discussions quotidiennes, à la radio, à la télévision, sur internet, dans les débats publics, au sein des partis politiques, dans les actions des institutions nationales et internationales. Nous avons mené des enquêtes auprès de citoyens, dans plusieurs endroits, et chacun avait une connaissance du sujet et un avis sur la question. Les media, la société civile, les pouvoirs institutionnels et de nombreuses associations sont concernés par la migration et la frontière.
Quels acteurs sont donc impliqués dans notre controverse, si quasiment tous le sont ?
Pour un sujet d’envergure si vaste, “restreint” à l’Europe et au cadre actuel, une présentation extensive des acteurs n’est pas envisageable. Elle manquerait de clareté et serait nécessairement incomplète. Afin de présenter les acteurs et leurs réponses à la controverse – s’il en ont une, ou s’il choisissent de reformuler les termes de la controverse – nous avons choisi une représentation par types d’acteurs, croisée avec une lecture de leur position au sein de la controverse : l’acteur est-il favorable à une abolition, une ouverture ou une fermeture des frontières ?
Encore ici, nous nous sommes heurtés à la description du point de vue d’acteurs qui ne répondaient pas directement à la controverse mais qui pourtant y étaient impliqués de par leur objet d’étude : il s’agit ici essentiellement de chercheurs, dont la démarche était de redéfinir la frontière, pour mieux en saisir les enjeux.
De cette constatation, nous avons tiré un “angle d’attaque” pour le problème des frontières. Les acteurs ne répondent pas tous à la même question, car ils ne conçoivent pas tous la même frontière, ni les mêmes rôles qui lui sont attribués. Notre controverse s’étend sur plusieurs échelles et niveaux superposés, que nous avons tenté d’expliciter. Voici donc une tentative de classification des acteurs : nous proposons plutôt d’offrir une idée de l’organisation des différents groupes d’acteurs autour de la question des frontières.
Les acteurs institutionnels légaux
Les acteurs institutionnels légaux sont les organisations gouvernementales ou européennes représentant l’action et la volonté des Etats, collectivités (mairie de Calais) ou groupes d’Etats (communauté européenne) par rapport à la situation des migrants. Des agences telles que Frontex (Agence Européenne de gestion des frontières) sont chargées de gérer l’arrivée des migrants aux frontières de l’Europe ou bien d’empêcher les naufrages de bateaux de migrants, ce qui ne fut d’ailleurs pas le cas les 12 et 19 avril 2015. Les gouvernements eux-même agissent directement à propos de la situation des migrants. Par exemple, la crise des migrants à Calais est gérée conjointement par la mairie de Calais, le gouvernement français et indirectement par le gouvernement anglais qui verse des fonds à la France afin que cette dernière empêche les migrants d’entrer sur le territoire britannique. Puisque la crise migrante n’est pas un problème national, mais pose des questions à l’échelle européenne, une coordination entre les état semble nécessaire. C’est pourquoi différents organismes internationaux sont chargés de l’organisation des politiques européennes comme le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés), l’ONU ou bien le Conseil de l’Europe. Ces acteurs produisent régulièrement des données chiffrées, des rapports, votent des résolutions et sanctionnent des Etats jugés fautifs. Afin que les organismes d’action internationales fonctionnent, des analyses des flux de migrants et de développements des camps doivent être réalisées. C’est le rôle attribué à certains organismes de recherche scientifique comme le MIGREUROP qui s’efforcent de n’avoir aucun parti pris politique afin de produire des données neutres et fiables.
Les scientifiques
Contrairement au MIGREUROP, certains scientifiques choisissent de mener des études et de prendre parti en faveur ou non de l’abolition des frontières. Ici, les avis sont souvent très diversifiés et ont parfois tendance à s’opposer. Certains acteurs comme Bertrand Badie considèrent que les frontières telles qu’elles existent et sont considérées aujourd’hui n’ont pas lieu d’être alors que d’autres scientifiques, comme Régis Debray, sont en faveur d’une conservation de la frontière et considèrent cette dernière comme un outil de diversité.
Le problème des frontières n’étant pas uniquement un problème politique, mais aussi sociologique, juridique, culturel et économique, de nombreux spécialistes de différentes disciplines sont concernés par ce sujet, chaque spécialiste abordant le problème sous un angle particulier. George Borjas, un économiste américain, étudie les impacts économiques de la crise migratoire en Europe alors qu’Idil Atak, une juriste spécialisée dans la question migratoire, étudie les questions juridiques soulevées par les immigrations illégales, la protection des réfugiés et les droits humains internationaux et européens. Speranta Dumitru, une politologue spécialiste de la question migratoire s’intéresse aux problèmes de justice sociale alors que Michel Agier, un ethnologue et anthropologue français, effectue des recherches sur les relations entre la mondialisation humaine, les conditions et lieux de l’exil ainsi que la formation de nouveaux contextes urbains.
Chaque scientifique jouant un rôle particulier au sein de cette controverse aux multiples facettes, leur attribuer un point de vue unique ou un rôle particulier serait réducteur, tout comme le serait une tentative de recensement de l’ensemble des opinions scientifiques à l’aide des quelques exemples évoqués ci-dessus.
Les personnes politiques et les militants
Différentes personnalités politiques s’expriment régulièrement sur la question des frontières et de nombreuses organisations prennent activement part à la crise des migrants. Le collectif « No Border » est une organisation transnationale luttant pour la suppression des frontières. Elle joue un rôle important à Calais, où ses membres tentent d’aider les migrants dans leur voyage pour rejoindre l’Angleterre. Les méthodes de cette organisation sont cependant controversées et décriées par le gouvernement qui accuse « No Border » d’inciter les migrants à la violence. Une organisation plus pacifique lutte aussi pour l’abolition des frontières: le collectif Utopia. Elle s’oppose aussi à la fermeture et au contrôle des frontières. Certaines personnalités politiques sont aussi directement concernées par la crise des migrants. C’est le cas de Natacha Bouchart, la maire de Calais, qui doit faire face à la situation des migrants de la Jungle de Calais.
Nous pouvons donc observer que de nombreux acteurs s’opposent au sein de cette controverse et que les positions qu’ils adoptent sont aussi nombreuses que les acteurs eux-mêmes, sans mentionner les avis de la population et des migrants qui sont aussi directement concernés par la crise migrante. Il semble donc difficile de procéder à un recensement de l’ensemble des acteurs. Il nous semble alors uniquement possible de relever certaines tensions entre les acteurs et d’analyser certains sujets de désaccords les opposant dans des zones bien définies comme celle de Calais.
Les migrants
Il s’agit des personnes directement concernées par l’ensemble des événements. Les migrants ont cependant peu d’occasion de prendre la parole face à l’ensemble des acteurs européens: personnalités, collectivités, associations et gouvernements.
<< Précédent (Frontières, camps et flux) (Limites de la frontière) Suivant >>