Un enjeu crucial au sein de la controverse
Les enjeux économiques des flux migratoires et l’estimation du véritable « coût » de l’immigration sont des enjeux cruciaux de la controverse et constituent un véritable foyer d’opposition entre les différents acteurs. En effet, alors que l’Europe est touchée par une crise économique et sociale de grande ampleur et doit faire face à de nombreux problèmes structurels la question du coût économique (direct et indirect) des migrants est prégnante. Les différents acteurs s’opposent alors sur les manières d’évaluer l’ « empreinte économique » des migrants en l’Europe, et surtout sur les variables et les indices à prendre en compte pour mesurer un tel impact.
En effet, divers avis s’opposent quant aux conséquences de l’immigration sur l’économie française. S’il est souvent reproché aux migrants de profiter du système de protection sociale en France et donc de peser sur les dépenses publiques, d’autres économistes les considèrent comme une chance, voir même comme une nécessité. En 2005, les professeurs d’économie Jacques Bichot, Yves-Marie Laulan et Gérard Lafay (L’immigration coûte-t-elle cher à la France et à l’Allemagne ? de Arte, écrit par Ingrid Bellot le 23 septembre 2015) estiment que l’immigration coûte vingt-quatre milliards d’euros chaque année à la France. Ces dépenses sont principalement dues aux aides dont peuvent bénéficier les migrants en France, comme les minima sociaux et les aides au logement. Tout en reconnaissant la réalité de ces chiffres, d’autres chercheurs comme Xavier Chojnicki, Cécily Defoort, Carine Drapier et Lionel Ragot (Migrations et protection sociale : étude sur les liens et les impacts de court et long terme, page 121, juillet 2010) n’ont pas une vision si pessimiste concernant l’impact de l’immigration sur l’économie. Ils prennent en compte d’autres variables, comme les entrées d’argent qui peuvent aussi être générées par les flux migratoires (jusqu’à 12 milliards d’euros pour l’année 2005). De plus, il mettent également en avant le fait les immigrés issus de la première génération ont représenté un marché de consommation d’environ 18 milliards d’euros de taxes sur la consommation (environ dans les mêmes proportions que le reste de la consommation). Globalement, il ne faut pas prendre en compte uniquement les dépenses mais également les recettes générées par l’immigration.
» (…) ces oppositions autour de l’impact économique des flux migratoires en Europe portent moins sur les chiffres eux-mêmes (qui font souvent l’objet de consensus) que sur les variables à prendre en compte afin de mesurer l’impact économique des migrations »
Le principal argument en faveur de l’immigration reste la démographie, particulièrement dans les pays développés (d’après l’Observateur ocde, article publié en juin 2000 par le Centre for European Reform). C’est notamment Ben Hall, le directeur du Center for European Reform qui a identifié le problème : la population de l’Europe vieillit, et va diminuer. Ainsi, les flux migratoires apparaissent comme des remèdes possibles aux problèmes structurels que connaissent les pays européens, voir même comme une alternative aux politique d’austérité. Par exemple, l’Italie qui devrait perdre 28% de sa population d’ici 2050 peut aussi bien accueillir 350 000 migrants ou retarder l’âge de départ à la retraite à 75 ans afin que sa population active reste identique selon le Center for European Reform. Mais il faut également prendre en compte d’autres variables, comme le niveau de qualification comme le rappelle Geogre Borjas, dans son livre Heaven’s door: immigration policy and the american economy (publié en 2011). En effet, le niveau d’éducation des migrants a diminué depuis les années 50 et il estime que les Etats Unis devraient limiter leur nombre de migrants à 500 000 par an en choisissant parmi eux les plus qualifiés. Certaines études managériales réalisées par le cabinet Goodwill Management (cabinet spécialisé dans l’analyse des performances économiques des entreprises) mettent également en valeur le fait que la «diversité des ressources humaines» est un facteur majeur dans la productivité et la rentabilité des entreprises: en effet, les entreprises qui compteraient des immigrés dans leur personnel augmenteraient leur rentabilité entreprises de 5 à 15%, en fonction des types d’activité.
De la frontière-outil à la solution migratoire: un renversement de la problématique de cette controverse
En réalité, ces oppositions autour de l’impact économique des flux migratoires en Europe portent moins sur les chiffres eux-mêmes (qui font souvent l’objet de consensus) que sur les variables à prendre en compte afin de mesurer l’impact économique des migrations : on remarque que plus on le nombre de variables économiques sur lesquelles interagissent les flux migratoires sont pris en compte (régulation démographique, accroissement de la compétitivité…) plus le « solde économique » des flux migratoires apparait comme étant nul, voir positif.
(…) il ne s’agit plus d’ouvrir ou de fermer les frontières pour résoudre les problèmes de migration, mais bien d’utiliser les flux migratoires afin de résoudre les problèmes internes aux pays européens«
De plus, nous voyons ici que c’est la migration – et non la frontière- qui est considérée comme un outil. Certains acteurs renversent ainsi la problématique initiale: il ne s’agit plus d’ouvrir ou de fermer les frontières pour résoudre les problèmes de migration, mais bien d’utiliser les flux migratoires afin de résoudre les problèmes internes aux pays européens (relance de la consommation, rééquilibrage démographique).
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