Coordination européenne et politiques nationales

Une politique européenne ?

L’espace que nous avons choisi d’étudier, c’est-à-dire l’Europe et plus particulièrement la communauté  européenne au coeur de la crise migratoire actuelle, et auquel nous nous sommes restreint, est très spécifique et impose donc un ensemble de problématiques inhérentes à son fonctionnement. En effet, la construction européenne a permis de créer certaines instances supra-nationales (comme Frontex, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne) chargées de gérer dans certains domaines ce qui relevait autrefois de la compétence des Etats membres, comme la politique migratoire et la gestion des frontières. Ces agences ont notamment été fondées après les accords Schengen signés en 1985 (relatifs à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes) qui marquent la fondation de l’espace européen de liberté de sécurité et de justice de l’Union (ELSJ). D’autres ont été crées plus récemment après le Pacte européen pour l’immigration et l’asile (2008). L’espace que avons choisi d’étudier est donc théoriquement, au-delà d’un agrégat de pays aux politiques diverses, une entité aux politiques communes devant être envisagé dans sa globalité (au moins dans le domaine que nous étudions, puisque la politique migratoire et la gestion des frontières relèvent de la compétence partagée de l’Union européenne et des Etats membres). Nous verrons également que l’Europe, qui peut être prise en compte afin d’analyser les décisions en matière de politique d’asile et de gestion des frontières, n’est pas unifiée et que diverses politiques nationales rythment (et souvent accentuent) les débats sur l’ouverture des frontières et l’accueil des migrants (en témoigne les démonstrations xénophobes en Hongrie et en Pologne dénoncées par le rapport de la commission européenne contre le racisme et l’intolérance, ECRI, mais également en France avec la montée du Front national en faveur d’un « repli identitaire »). La gestion communautaire ou non de l’afflux de migrants apparaît comme une nouvelle controverse au sein de notre étude : entre partisans de la coopération et repli national, les différents acteurs débattent sur la meilleure manière de gérer la crise et surtout font face à des problématiques bien différentes.

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Le « paradoxe de Schengen »

Dans un article publié dans la revue Europe (sur l’actualité du droit de l’union européenne), Henri Labayle, professeur à l’université de Pau et chercheur au CNRS, retrace la création et l’évolution controversée de l’espace Schengen. En effet, ce dernier – qui repose avant tout sur un moteur économique – a été fondé sur « la défiance mutuelle et la méfiance réciproque » des Etats signataires des accords : selon lui, rien dans la « philosophie communautaire » de l’époque ne laissait entrevoir Schengen comme un espace de coopération et d’entente.

Ce n’est que par la force du modèle communautaire (développé par la suite grâce notamment au traité de Lisbonne en 2009) qui s’est imposé à l’espace Schengen que le modèle d’un espace sans frontière s’est réellement concrétisé. Il existe en effet aujourd’hui un « code frontière Schengen » ou CFS, régissant la circulation entre les Etats signataires des accords. Pourtant, aucun texte ne fait valoir des principes telle que la « confiance réciproque » des Etats dans le CFS et, comme en témoigne la situation actuelle en Grèce ou en Italie, l’essentiel de la gestion des frontières est renvoyé aux Etats « que le hasard de la géographie a placé au contact de la pression migratoire ». Si le principe de Schengen est bien de supprimer les contrôles aux frontières internes des Etats pour créer une frontière commune, il n’existe pas réellement de politique commune concernant le traitement des demandeurs d’asile et la gestion des frontières. Cette « crise migratoire » met donc en lumière certaines défaillances structurelles de l’Union européenne à propos desquelles partisans du modèle intergouvernemental et communautaire s’opposent.

«  Aujourd’hui il est plus simple de pénétrer et de traverser l’espace Schengen, prétendument clos, que de pénétrer dans un Etat tiers »

Henri Labayle

Les tentatives européennes de gestion de la crise migratoire: une politique controversée

« Une politique européenne globale en matière de migrations, qui s’inscrive dans une perspective d’avenir et soit fondée sur la solidarité, est un objectif primordial pour l’Union européenne »

(europarl.europa.eu)

Comme nous l’avons déjà évoqué, l’Europe est un acteur à part entière de cette controverse, qui se superpose – et qui pourrait, selon les textes, se substituer – aux politiques nationales des Etats. Si l’Union européenne semble en faveur d’une organisation communautaire de l’espace (donc une gestion centralisée) qui lui donnerait plus de pouvoir, sa position face à la crise migratoire est ambiguë. En effet, la gestion des frontières et la politique d’asile est une compétence partagée entre l’Union et les Etats membres, ce qui explique les positions divergentes, voir opposées, adoptées par les différents Etats en matière d’accueil des migrants. Pourtant, la politique d’asile de l’Union européenne est dite « commune », et ce depuis la signature du traité d’Amsterdam en 1997 (qui a également intégré les accords de Schengen au droit de l’Union européenne). Mais comme le rappelle la chercheuse en Sciences politiques et spécialiste des questions européennes Virginie Giraudon, «  politique commune ne signifie pas politique solidaire ». Dans son entretien à la revue Mouvements (« La politique européenne contre les migrants », 15 octobre 2015), elle met en effet en lumière l’absence de politique, et le manque d’actions concrètes sur le territoire européen proposées par la communauté afin de résoudre la crise migratoire.

En effet, depuis le 23 septembre 2015, les dirigeants européens ont décidé de la répartition de cent vingt mille réfugiés sur deux ans au sein de l’Union européenne. Ce chiffre est à mettre en comparaison avec le taux d’accueil d’autres pays limitrophes des « pays en crise » comme le Liban (qui accueille 1,2 millions de migrants, soit l’équivalent de 25% de sa population) afin de mieux comprendre les différentes contestations de cette ligne politique. En effet, le Haut Commissariat aux réfugiés a, à coté de nombreuses associations humanitaires et politiques européens, dénoncé ce chiffre considéré comme étant « dérisoire ». L’aide reversée aux agences de l’ONU dans les pays limitrophes de la Syrie a également été interprétée comme une volonté de la part de l’UE de contenir les migrations en rétribuant les pays afin de contenir les flux. Autre facette de la « non-politique » de l’Union européenne, le « plan d’action commun » entre la Turquie et l’UE qui a décidé de la création de six « centre de réception » pour les réfugiés afin de les maintenir aux frontières de l’Europe.

A coté de ces politiques visant à « hermétiser » les frontières de l’espace européen et à maintenir les migrants aux portes de l’Europe, l’union a mis en place des réponses « pragmatiques d’urgence » afin de gérer la crise, tout particulièrement lors de l’été 2015. En effet, les opérations « sophia » « mare nostrum » et « triton » avaient pour objectif d’assurer le sauvetage en mer des embarcations les plus fragiles (tout en assurant la surveillance des eaux territoriales européennes). Si l’UE considère donc les naufrages des migrants comme un véritable «  problème de migration », sa politique d’accueil restent ambiguës et ne se positionne pas en faveur d’une ouverture des frontières.

L’Europe apparaît donc comme un acteur dont le positionnement au sein de cette controverse est ambigu: résolument en faveur d’une politique communautaire de gestion de la « crise migratoire », l’ouverture des frontières dépend également des volontés disparates des différents états membres.

La politique de l’union européenne est donc très ambiguë, voir quasi-inexistante lorsqu’il s’agit de mener des actions concrètes au sein de l’espace européen, et ce bien que l’Europe se revendique toujours comme une « terre d’accueil » pour les migrants (l’UE présente sa politique comme étant « une politique européenne globale en matière de migrations, s’inscrivant dans une perspective d’avenir et fondée sur la solidarité» sur le site du parlement européen). En effet, malgré des réponses pragmatiques destinées à gérer « l’urgence » et si l’UE reste résolument en faveur d’une politique communautaire de gestion de la « crise migratoire », l’ouverture des frontières dépend également des volontés disparates des différentes Etats membres.

L’Europe : une « forteresse lézardée » ?

La diversité des politiques des différents Etats membres de l’UE sont symptomatiques de la défaillance de la construction « communautaire » de l’Europe. En effet, le rétablissement (bien que ponctuel dans certains cas) des frontières intérieures à l’espace Schengen montrent bien les divergences des pays européens concernant la question migratoire : les politiques nationales des Etats prennent le dessus sur la coopération européenne. En effet, comme nous l’avons évoqué, les acteurs ont des visions divergentes sur les « problèmes » causés par la migration : si comme nous l’avons vu, et malgré ses difficultés à agir, l’Union européenne est tournée vers des problématiques humaines (empêcher les naufrages en mer), certains Etats voient dans les migrations une problématique sécuritaire s’accompagnant parfois d’une la montée des partis d’extrême droite. En effet, cinq pays européens (Allemagne, Danemark, Autriche, Suède, France) ont déjà rétabli leur frontières intérieures depuis le début de la crise.

La coordination européenne est donc parfois fragilisée par des divergences d’opinions. Cela se reflète en particulier quand l’on regarde la crise migratoire au travers du prisme franco-allemand. >>>Voir notre article pour en savoir plus<<<

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