Lutte contre les frontières

Si comme nous l’avons abordé précédemment, certains acteurs considèrent que la « frontière » comme outil est inopérant et proposent d’autres solutions, d’autres vont plus loin, et engage une véritable lutte non pas pour l’ouverture, mais pour la destruction des frontières. Les acteurs principalement concernés sont certaines associations ou mouvements, comme le réseau No Border, rassemblés à Calais sous le nom de Calais Migrant Solidarity depuis 2009. Leur position radicale est controversée par les pouvoirs politiques, et également par d’autres associations avec lesquelles ils agissent, notamment à propos de leurs méthodes d’actions, parfois violentes.

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Louise FRAGO, Les frontières tuent, photographie du 2 mai 2016, place de la République, Paris

Un article du quotidien Libération (Haydée SABÉRAN, Célian MACÉ, 6 mars 2016) met en perspective les points de vue de plusieurs acteurs autour de l’action des militants dits « No borders » dans le camp de Calais. Libération se place également comme un acteur – son article est particulièrement ironique (« Les No Border, voilà l’ennemi »), plaçant le journal plutôt en faveur du réseau No border : la superposition des implications dans la controverse, tant sur le terrain que dans le traitement médiatique des informations, est caractéristique de la question des frontières.

Les acteurs institutionnels, comme l’Etat ou la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, s’opposent aux actions des activistes de ce mouvement, les accusant de manipuler les migrants, de les « désinformer » ou de les pousser à la violence. Un exemple est invoqué par la préfète au long de l’article :

Ils manipulent une centaine de migrants, surtout des jeunes. Lundi, ils les ont encouragés à jeter des pierres. Un CRS a eu la main cassée en trois endroits.

Un désaccord a également lieu sur le nombre de militants présents à Calais, Fabienne Buccio en comptant entre cent et trois cents et seulement une dizaine pour les bénévoles des associations interrogés, comme Maya Konforti, de l’Auberge des migrants. L’exemple est significatif des volontés de chaque acteurs d’affirmer et de justifier son action et les obstacles rencontrés pour agir contre la crise. L’Etat et la préfecture de Calais accusent les militants d’empêcher l’application de mesures mises en oeuvre pour résoudre la crise, comme le déplacement vers des centres d’accueil, ou le déplacement dans des conteneurs, installés en janvier et censés loger mille cinq cents personnes. Dans un objectif de destruction de la « jungle » de Calais, afin de garantir l’étanchéité de la frontière entre la France et l’Angleterrre, ils s’opposent à l’action des No borders.

No border n’est pas une association mais se présente comme un network [réseau], fondé en 1999, et on peut lire sur le site internet de Calais Migrant Solidarity :

“No Borders” isn’t a group or organisation, it’s an idea. And the idea is pretty simple, it’s in the name: we are against borders. We believe in free movement for all. »
[No borders n’est pas un groupe ou une organisation, c’est un idée. Et l’idée est plutôt simple, elle est dans notre nom : nous sommes contre les frontières. Nous croyons à la libre circulation pour tous.]

Leur engagement contre les frontières est clair et revendiqué. Ils considèrent que la frontière est meurtrière, entretient les inégalités affirmant le pouvoir des riches et le pouvoir politique institué. Des revendications anarchistes font partie de leur manifeste, et les membres appellent à une actions directe, quotidienne :

The borders run across Europe, and not just at the crossing points but wherever there are immigration raids, street stops, detention centres, reporting centres, workplace or landlord ID checks, racist attacks, etc. Many people are asking us: what can we do? Our answer is: fight the border wherever you are.
[Les frontières traversent l’Europe, et pas seulement aux noeuds de passage, mais partout où l’on trouve des actions d’expulsion, des panneaux stop, des centres de détention, des centres de jour, des  contrôles d’identité sur les lieux de travail ou de résidence, des attaques racistes, etc. Beaucoup nous demandent : que peut-on y faire ? Voici notre réponse : luttez contre la frontière, où que vous soyez.]

Le mouvement est soutenu par d’autres mouvements, comme le collectif Lutte en Nord, résolument anarchiste et antifasciste, moins engagé directement pour l’abolition des frontières mais en accord avec cette position.

La lutte active pour l’abolition des frontières est largement contestée dans son action, parfois violente ; parfois accusée d’endoctriner les migrants pour servir leur propos. Les militants interrogés par les journalistes de Libération démentent, de leur côté, une incitation à la violence, même s’ils disent ne pas l’empêcher : « On ne choisit pas les méthodes de lutte des gens », souligne un militant. Au delà d’une action de terrain, locale – par exemple en Grèce à Patras et Athènes, ou en Bulgarie à Sofia, en Turquie également – qui se caractérise par un soutien, des conseils juridiques, un accueil ; une démarche de diffusion d’information est engagée, par des réseaux numériques notamment.

La défense de l’abolition des frontières est cependant une idée relativement peu véhiculée, notamment auprès des chercheurs qui adoptent en général une vision plus modérée. La lutte contre les frontières est indissociable des actions de certains collectifs ou mouvements sociaux, comme le mouvement Nuit Debout à Paris, où le sujet des frontières et leur abolition a été abordé lors des « assemblées générales » quotidiennes. Si l’abolition des frontières est une idée défendue par plusieurs acteurs, elle reste néanmoins minoritaire ; la défense d’une ouverture totale étant plus commune.

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