En mars 2016, Angela Merkel prenait seule, au nom de l’Allemagne un accord avec la Turquie sur le maintien des migrants dans ce pays. Cette décision prise en dehors de l’Union Européenne et surtout du couple franco-allemand marque le point d’honneur de la difficulté de gérer au niveau européen et franco-allemand ce que l’on peut qualifier de crise migratoire en Europe.
Cette crise migratoire européenne a connu une ampleur progressive. Le nombre de migrants, dont une partie peut être considérée comme des réfugiés, a augmenté progressivement depuis le début des années 2010. Les migrants arrivent vers l’Union Européenne via la mer Méditerranée et les Balkans depuis principalement trois régions, l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient. En 2015, les réfugiés Syriens présents en Turquie (deux millions de réfugiés Syriens) et du Liban (un million de réfugiés syriens) ont partiellement décidé de migrer vers l’Europe. Cette décision a largement amplifié un phénomène qui était déjà qualifié de problématique au niveau européen. En septembre 2015, la crise migratoire éclate officiellement au niveau européen. Il est estimé par l’Organisation internationale pour les migrants (OIM), l’Agence Européenne de gestion des frontières (Frontex) ainsi que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) qu’environ un million de personnes sont entrées illégalement sur le territoire européen en 2015.
L’attitude des dirigeants européens face à cet afflux migratoire a beaucoup évolué. La question des quotas de migrants répartis par pays a tout d’abord divisé au sein de l’Europe. Le couple franco-allemand en particulier a su s’accorder sur certaines positions comme celle des quotas mais a fini par éclater au grand jour ses divergences qui existent déjà depuis plusieurs années avec la nouvelle loi sur l’immigration allemande datant de 2005.
L’évolution des positions des dirigeants français et allemands lors de cette crise sont indispensables pour comprendre la réponse européenne à la crise des migrants. Les positions des dirigeants ayant été modifiées, il est indispensable de comprendre les mouvements et effets qui conduisent à des changements de politiques internationales. Comment ont évolué et se sont confrontées les positions respectives de la France et de l’Allemagne, au sein de l’Union Européenne face à la crise migratoire commune ? Dans cette page sont d’abord précisés les aspects de cette crise migratoire au niveau européen pour ensuite s’attarder sur la manière dont les États européens et notamment la France et l’Allemagne ont répondu en premier lieu collectivement à cette crise, puis comment ils se sont isolés et ont divergé sur la réponse à apporter.
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Il est tout d’abord important de s’interroger sur la cause de l’arrivée de ces migrants au sein de l’Union Européenne afin de comprendre la situation en Europe. Le phénomène qualifié de « Printemps arabe » a crée une instabilité dans de nombreux pays du Moyen Orient et du Maghreb. La guerre puis l’instabilité ont ainsi éclaté en Libye. La guerre fait actuellement encore rage en Syrie, qui est actuellement, comme l’Irak partiellement occupé par l’État Islamique.
La situation politique reste également préoccupante au sein de l’Érythrée où les persécutions sont fréquentes. Enfin, la pauvreté économique, la misère et l’espoir d’un futur meilleur en Europe sont des facteurs qui contribuent à un certain attrait de l’Europe pour ces migrants. Il est ainsi finalement estimé par l’Union Européenne que les migrants proviennent des pays suivants : Afghanistan, Algérie, Bangladesh, Tchad, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Ghana, Guinée, Inde, Irak, Côte d’Ivoire, Libye, Mali, Mauritanie, Maroc, Nigeria, Pakistan, Sénégal, Somalie, Soudan, Syrie, Tunisie, et Zambie. (Republic Pink) Les ambassades des différents pays européens n’offrent pas la possibilité de réaliser une demande d’asile sur place, il devient nécessaire pour les réfugiés et les migrants de réaliser un voyage dangereux pour faire cette demande directement au sein du pays d’accueil. Ce voyage se fait principalement à travers frontière entre la Grèce et la Turquie où 42% des migrants syriens se trouvent actuellement. (Source) La traversée de la Méditerranée est particulièrement dangereuse. Ainsi en 2014, trois mille soixante-douze personnes y sont mortes en tentant de rejoindre les côtes européennes. Les passeurs réalisent d’importants profits en vendant des places sur les bateaux. L’arrivée de migrants en Europe via la Méditerranée est comptabilisée par l’Union européenne. Nous pouvons la retrouver sur le tableau ci-dessous. (Tableau réalisé à partir d’un document consultable sur le site de HCR).
Nous pouvons observer une augmentation jusqu’au pic d’octobre 2015, puis une diminution pour attendre trente-six mille en mars 2016. Des facteurs politiques, notamment entre la France et l’Allemagne expliquent ces chiffres, nous allons y revenir dans les deux parties suivantes.
Les aspects de la crise migratoire européenne peuvent être en particulier décrits par la situation de la France et l’Allemagne. Moteurs de l’Union Européenne, ils ont joué un rôle important dans cette crise migratoire. La France connait une longue tradition migratoire. 11,6% de la population française actuelle est ainsi immigrée. 23% de la population a également une origine étrangère sur trois générations. (D’après L’Institut National de Statistiques et d’Études Économiques (INSEE), Information sur le CAIRN). Cette population fait notamment partie d’une population ayant fui les colonies françaises suites à la décolonisation. Cette population est souvent vilipendée par une partie de la population française. Il est ainsi estimé qu’une majorité de français est hostile à une plus grande immigration sur le territoire français.
Cet élément politique national se retranscrit au travers des résultats aux élections européennes du 25 mai 2014. Le Front National, parti résolument contre l’immigration est ainsi arrivé premier avec près de 25% des suffrages. (ministère de l’intérieur français). Ainsi, François Hollande se confronte, au moment de la crise migratoire européenne, à cette part de la population hostile à l’accueil de migrants, y compris de réfugiés. Le très fort chômage en France est également un indicateur hostile à l’arrivée de migrants qui viendraient s’ajouter aux demandeurs d’emplois, ce qui rend potentiellement la recherche d’un travail plus difficile. L’Allemagne compte en valeur plus de personnes issues de l’immigration, mais elles sont moins nombreuses proportionnellement à la population. Ces migrants sont principalement issus d’accords binationaux, notamment avec la Turquie. L’intégration de ces personnes est meilleure en Allemagne. (cairn.info) Le plein-emploi allemand lui permet d’accueillir ces personnes et de les intégrer par le travail. Enfin, la faible croissance démographique allemande impose de fait cette immigration.
Une frange de la population continue de rejeter leur présence mais elle est plus marginale qu’en France. Elle a cependant augmenté avec l’affaire des viols de Cologne. Seul le mouvement PEGIDA « Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes » (mouvement populiste de droite contre l’immigration islamique en Allemagne) s’oppose à ce qu’ils qualifient d’islamisation de l’Allemagne. Ils organisent d’importantes manifestations dans différentes villes d’Allemagne.
Ainsi, au moment d’aborder la crise des migrants, la France et l’Allemagne peuvent sembler divisées. La France n’est pas en manque de main d’œuvre et n’a pas de problème de croissance démographique. L’Allemagne semble elle avoir le besoin et la capacité d’accueillir de nouveaux migrants. Ces éléments expliquent les divergences d’approche dans la crise migratoire.
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On peut cependant voir que la France et l’Allemagne tentent de répondre conjointement à la crise migratoire, au sein de l’Union Européenne. Au milieu de l’année 2015, avant l’explosion du nombre d’arrivée sur le territoire européen, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, propose une révision de la politique migratoire européenne. Jusqu’alors, les migrants arrivés au sein de l’espace Schengen (espace unique de circulation et de frontière pour vingt-six pays européens dont la France et l’Allemagne) devaient s’enregistrer au sein de leur pays d’arrivée. Cette politique s’avérait alors intenable pour les pays méditerranéens et notamment la Grèce. La proposition de Jean Claude Juncker était, outre l’amélioration de Frontex, l’organisme chargé de gérer les frontières de l’espace Schengen (voir les acteurs de cette controverse), de répartir les migrants dans les différents pays européens. L’Allemagne aurait ainsi en charge 31 443 personnes, la France 24 031. Cependant, les pays d’Europe de l’Est sont farouchement opposés à cette répartition. Leurs opinions publiques sont farouchement opposées à l’accueil de réfugiés, y compris Syriens. L’Allemagne est extrêmement favorable à cette proposition. La France l’est également mais est plus conciliatrice avec les pays réticents dans un premier temps. La réponse de la France et de l’Allemagne peut alors sembler coordonnée. Le lundi 14 septembre, un Conseil de l’Union européenne réunissant les ministres de l’Intérieur de l’Union n’a pas pu arriver à un accord sur la répartition de 120 000 migrants actuellement stationnés en Grèce, en Italie et en Hongrie. Ce dernier pays est pourtant le fer de lance des opposants (de l’Est) à ce projet. Pour son gouvernement, ce mécanisme est « inapplicable et néfaste à long terme car il créerait un appel d’air vers l’Europe ». (Article sur la crise migratpoire en Europe, Republic Pink)
Pour Paris et Berlin, ce dispositif doit être ajouté à « la mise en place rapide de hotspots (des centres d’accueil recensant efficacement les réfugiés des autres migrants) » prenant les empreintes digitales des réfugiés. Des hotspots devraient être mis rapidement en place en Italie et en Grèce, qui recevront une aide à cet effet de la part de l’Union européenne. Par ailleurs, la question du renvoi des migrants non acceptés (personnes ne répondant pas notamment aux critères du droit d’asile) a été abordée. Pour traiter cette question, il a été envisagé à la fois une meilleure coopération avec les pays voisins de l’Europe et l’établissement de centres de rétention. La France et l’Allemagne sont unis sur ces questions européennes. Ils s’affrontent ensemble face aux pays de l’Europe de l’Est. Finalement, le 22 septembre qu’une décision européenne est prise. Un nouveau sommet des Ministres de l’Intérieur qui décide d’un arrêt de l’immigration et d’une répartition ni obligatoire, ni permanente des 120 000 réfugiés syriens, irakiens et érythréens arrivés au plus tard il y a un mois en Grèce et en Italie. Le président de la République française, François Hollande, a apprécié le fait que l’Union européenne parvienne à une réponse. Les chefs d’État et de gouvernement se sont réunis le lendemain, le 23 septembre pour débattre de la manière de limiter le flux vers l’Europe. L’importance de la Turquie est au centre des débats. Tous les pays constatent la nécessite de négocier avec ce pays. La France et l’Allemagne sont en coopération pour discuter avec la Turquie d’un montant d’aide et de conditions, notamment du processus d’arrivée au sein de l’Union européenne. Ainsi, au niveau européen, Français et Allemands ont tenté d’apporter une réponse commune. Jusqu’en septembre, il est ainsi possible de constater que les deux pays, malgré quelques divergences parviennent à s’accorder sur certains points, notamment face aux pays de l’Europe de l’Est. Pourtant, la décision unilatérale d’Angela Merkel d’accueillir tous les réfugiés syriens en Allemagne début septembre marque conjointement le début d’une divergence entre l’Allemagne et une bonne partie de l’Union Européenne, dont partiellement la France.
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Même si le couple franco-allement veut laisser paraître un parfait accord, il existe une divergence très marquée. Le 5 septembre Angela Merkel a en effet décidé d’accueillir seule les migrants bloqués à la frontière Hongroise. Elle avait également affirmé fin août accueillir de facto tous les réfugiés syriens. L’Allemagne s’engage ainsi sur des chiffres vertigineux, il est ainsi évoqué un millions de réfugiés. En Europe, cette décision Allemande est très fortement critiquée. De nombreux dirigeants politiques, notamment des pays de l’Est ont affirmés que cette décision attirait tous les réfugiés vers l’Union Européenne. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a ainsi évoque « l’impérialisme moral Allemand ». La France s’est progressivement posé en médiateur entre les pays de l’Est et l’Allemagne. Ainsi, selon la radio française Europe 1, Berlin aurait « Tiré un trait sur la France » depuis septembre, et l’annonce de l’accueil de seulement vingt-quatre mille migrants et d’une conférence internationale par François Hollande. Surtout, les attentats de Paris puis les accusations de viols collectifs à Cologne ont renforcé le sentiment de rejet et de crainte envers les migrants.
L’Allemagne, qui a accueilli un nombre important de migrants, énerve sensiblement ses partenaires européens, surtout que ceux-ci savent pertinemment qu’ils ne disposent pas des mêmes moyens économiques. En février, Manuel Valls a ainsi affirmé le premier que la politique d’ouverture des frontières de la chancelière n’était « pas tenable dans la durée » et répété que la France n’accueillerait pas plus de demandeurs d’asile que les trente mille convenus dans le plan de relocalisation européen. L’Allemagne a à son tour peu apprécié cette prise de position de la France. Elle ne se sent pas accompagnée par dans démarche d’accueil. La France se sent elle trahie par l’Allemagne qui prend des décisions hégémoniquement et unilatéralement. La crise est à son paroxysme en mars. Le 4 mars, Angela Merkel est reçue à l’Elysée par François Hollande. Trois jours avant le sommet entre l’Union européenne et la Turquie, les deux puissances souhaitent « rattraper le temps perdu » selon le communiqué. A l’issu de la conférence, la présidence française déclarait que « la France et l’Allemagne travaillent dans le même esprit, avec la même volonté ». Pourtant, quelque jours plus tard, un projet d’accord entre l’UE et la Turquie est présenté par l’Allemagne à ses partenaires européens. Les diplomates français ont alors affirmé, toujours auprès d’Europe 1 que « Pour la première fois Angela Merkal a décidé pour elle et non pour l’Europe ». L’Allemagne est allée chercher un partenaire en dehors de l’Europe et en dehors de la France. Elle a ensuite imposé ce partenaire à la France. En Allemagne les journaux ont ainsi évoqué la fin de la « Weltanschauung » soit la vision commune du monde qu’auraient les partenaires franco-allemands. Cet accord entre la Turquie et l’Europe sur le renvoi de réfugiés jugés illégaux en Turquie et l’envoi de réfugiés jugés légaux marque une crise majeure entre la France et l’Allemagne. La relation actuelle entre les deux pays en est affectée.
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La crise migratoire européenne a donc ébranlé les structures et l’idée européenne. Si le moteur franco-allemand a pu sembler uni au début de l’année 2015, la volonté d’Angela Merkel à partir de la fin du mois d’Août d’accueillir massivement des réfugiés a changé la relation. La France n’a pas suivi son partenaire, et l’Allemagne a fini par négocier seule avec la Turquie. La relation franco-allemande semble dès lors, avec l’idée européenne en très mauvais point. La relance de l’Europe et de l’Union européenne ne peut passer que par le retour du moteur franco-allemand. Il semble donc essentiel que les Français et les Allemands s’accordent sur des décisions et des négociations communes pour parvenir à un réchauffement de leurs relations. Cela semble aujourd’hui essentiel pour l’Europe.