30 mai 2017

Potentiels conflits entre bailleurs et locataires

Crédits Photo: Jean-Paul Gosselin

 

La loi ALUR – de Mars 2014 – prévoit d’encadrer les loyers à partir d’un loyer de référence, fixé par arrêté préfectoral : les bailleurs devront louer leur propriété à un tarif dans une fourchette de 30 % en dessous à 20 % au dessus de ce loyer. Mais que se passe-t-il quand la loi n’est pas respectée ? C’est à la personne lésée de faire entendre sa voix. Quelles sont les instances qui le lui permettent ? Comment gérer le conflit locataire-bailleur ? Et qu’en est-il aujourd’hui ?

 

 

La source des désaccords

Actuellement, la source des éventuels conflits entre locataires et bailleurs provoqués par la loi ALUR se résume en deux points :

1. Le vide juridique concernant le complément au loyer
2. Le non-respect des fourchettes de loyer

Le premier point a une section dédiée sur ce site, dont nous invitons le lecteur à prendre connaissance. Le second est ce qui nous intéresse ici.

Si la loi prévoit une fourchette dans laquelle le loyer doit se trouver, tous les loyers ne sont pas dans cette fourchette. Or, il est impossible pour n’importe quelle instance d’effectuer une surveillance individuelle de chaque loyer, et de prendre les mesures qui s’imposent pour régulariser la situation. Ainsi, faire remonter cette information passe donc par les principaux intéressés : bailleur, propriétaire et locataire sont donc les premiers maillons de la chaîne d’information qui aboutit à la régularisation d’un loyer hors fourchette.

Comment régularise-t-on un loyer ?

Dans un souci de concision, nous supposerons dans cette explication que le loyer effectif est au dessus du loyer de référence majoré, et que le locataire est celui qui veut contester cette situation. Il appartient au lecteur de faire les adaptations nécessaires pour décrire les autres situations.

Figurons-nous un locataire payant un loyer au dessus du loyer de référence majoré. Son premier recours est d’aller voir son bailleur, et de tenter de parvenir à trouver une solution à l’amiable, afin de parvenir à une situation qui satisfasse les deux parties. Si cela devait échouer, le locataire est invité à porter cette affaire devant la Commission Départementale de Conciliation (CDC) , qui est un organe constitué de bailleurs et de locataires. Son rôle est de servir de médiateur, et d’aider le locataire et le bailleur à trouver une solution. Il ne s’agit donc pas d’une instance juridique. Si la CDC ne parvient pas à résoudre le différend, l’affaire est cette fois portée devant le tribunal d’instance, qui prend une décision judiciaire.

Pourquoi c’est controversé

Le scénario proposé ci-dessus correspond à une situation idéale : dans la réalité, d’autres facteurs entrent en compte, et compromettent son bon déroulement. C’est sur ces facteurs que porte la controverse.

La loi nécessite une jurisprudence qui prendra du temps à être établie

Il s’agit ici d’un argument que l’on retrouve dans la controverse concernant le complément au loyer. Lorsque le dépassement de loyer n’est pas justifié, l’affaire est simple, et le locataire gagne rapidement dans le cas général. Cependant, dans le cas où ce dépassement est justifié par un complément de loyer, on retombe dans le vide juridique du complément au loyer, et la résolution de tels cas nécessite une jurisprudence établie.

La peur du conflit

Qui, parmi nous, a envie de rentrer en conflit avec son propriétaire pour quelques dizaines d’euros par mois ? Le conflit locataire-bailleur est en général évité par les deux parties : tous deux ont beaucoup à y perdre. Tandis que le premier risque une perte de souplesse ( pour faire des travaux mineurs par exemple ), la perte de la caution, voire même une résiliation de bail, le second peut voir son bien détérioré. Cet argument, très pratique et terre-à-terre, est pourtant invoqué par de multiples acteurs intervenant dans cette controverse : Christian Ballerini, président de la Confédération Nationale du Logement, déclare pour l’article Encadrement des loyers : un complément qui ne satisfait personne de La Tribune qu’il craint « fort que très peu de locataires ne saisissent la justice, d’autant que ce sera souvent pour des montants relativement faibles », à propos de la loi en général et pas seulement du complément au loyer. L’Association nationale de défense des consommateurs et des usagers (CLCV) étaye cet argument lorsque, pour l’article Bilan mitigé pour l’encadrement des loyers parisien du numéro du 13 Janvier 2016 d’Aujourd’hui en France, elle déclare que « depuis
l’entrée en vigueur du plafonnement ( NDLR : 9 mois après l’entrée en vigueur de la loi ), nous n’avons rien reçu, zéro dossier », les dossiers en question concernant les moyens auxquels le locataire du paragraphe précédent peut avoir recours. La CLCV impute cela au fait que « Les locataires redoutent que leur propriétaire leur mène la vie dure ».

Les locataires redoutent que leur propriétaire leur mène la vie dure

CLCV, Bilan mitigé pour l’encadrement des loyers parisien, 13 Janvier 2016, Aujourd’hui en France

 

La population la plus touchée

Le dernier point de la controverse que nous soulignons ici est principalement avancé par la CLCV. Elle souligne qu’il n’existe pas de sanctions dissuasives pour les bailleurs ne respectant pas cette loi, tout se faisant au cas par cas. Cet argument est repris par Myriam Chauvot, journaliste aux Échos, dans son article À Paris, 42 % des mises en location excèdent le loyer maximum légal du 4 Novembre 2015, qui va même plus loin en mettant en évidence le fait que la population la plus touchée est les étudiants, qui ne prennent pas la peine d’utiliser de tels recours.

Une loi trop controversée pour être claire

Mme. Chauvot, à la fin de son article, se demande si le non-respect de la loi par certains bailleurs est délibéré ou s’il provient d’une mauvaise information concernant leurs droits. Jérôme Porier, journaliste au Monde, ouvre son article Fixer le montant du loyer en respectant la loi du 23 Novembre 2015 en disant « Les propriétaires doivent composer avec une réglementation contraignante et changeante »

Les propriétaires doivent composer avec une réglementation contraignante et changeante

Jérôme Poirier, Fixer le montant du loyer en respectant la loi, 23 Novembre 2015, Le Monde.

 

Cette mauvaise compréhension de la loi par les bailleurs est tout à fait compréhensible. La controverse entourant cette loi a énormément enflé, que ce soit dans la sphère politique ou dans la sphère médiatique, ce qui la rend assez peu compréhensible au premier abord. Par exemple, concernant l’encadrement des loyers, il a d’abord été effectué par des arrêtés reconduits annuellement entre 2012 et 2014, puis la loi ALUR a été votée. Elle devait s’appliquer à l’ensemble des 28 zones « tendues » identifiées, et le loyer de référence fixé par un autre arrêté. Cependant, Manuel Valls a restreint sa zone d’application à Paris et à Lille par arrêté ministériel – arrêté qui a été invalidé par le Conseil Constitutionnel en début d’année. Ensuite, la loi ALUR a été modifiée lors du mandat de Sylvia Pinel, et est devenue la loi Pinel. On comprend aisément que ceci peut donner lieu à une difficulté de renseignement et à des informations contradictoires mises à disposition des bailleurs et des propriétaires.

Quelle est la proportion de gens concernés ?

Finalement, la question à laquelle il reste à répondre pour comprendre cet aspect de la controverse est la proportion de gens qui sont concernés par cet aspect du débat. Pour cela, nous nous appuyons du rapport le plus récent publié par l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne ( l’OLAP ), publié en Novembre 2016, et qui effectue un bilan de l’année 2015.
Ce rapport met en évidence le fait que la proportion de loyers en dehors de la fourchette imposée par la loi ALUR est demeurée stable depuis sa mise en place. Cependant, la variance du dépassement a diminué d’en moyenne 40 euros par mois. Ainsi, la proportion de locataires et de bailleurs concernée par ces écarts est approximativement la même qu’à la mise en place de la loi : ce débat sur le conflit entre bailleur et locataire est donc un aspect majeur de la controverse.