Euronext – Anne Gaignard
TG « C’est vrai qu’il y aura une grosse partie sur la définition de la controverse. Il faut bien fixer les limites de ce que l’on étudie »
AG : « Et puis il y a effectivement le fait que les intervenants traitent de façon très très fréquentielle et donc sur des objets absolument très liquides, donc le HFT on ne le voit pas sur des produits qui sont peu liquides, càd sur le cash on va le voir sur les grosses valeurs, et sur les contrats dérivés sur indice ; on va le voir sur les gros contrats liquides. (…)
Il y a une composante « IT » très importante puisque les intérêts c’est d’avoir effectivement… La notion de rapidité d’accès au marché est très importante donc ils ont des infrastructures IT extrêmement sophistiquées. »
TG « Et généralement les acteurs qui pratiquent le HFT, c’est les banques ou il y a des plus petits acteurs ? »
AG « Il y a soit des banques, donc sur le côté plutôt « prop trading » (propriatory trading), càd qu’ils traitent pour eux-mêmes et puis vous avez des types d’acteurs qui ont des purs… Ils traitent aussi pour comptes propres, ce n’est pas des gens qui ont des clients autres, que sont les acteurs américains que l’on appelle effectivement les algo-traders. Donc là ce sont des maisons qui ne sont pas forcément très très nombreuses et qui ont une forte connotation IT et donc un accès au marché très performant et qui ne traitent que par algorithme effectivement. »
MH : « Et les Hedge Funds utilisent quand même le HFT ? »
AG : « Certains l’utilisent… ça dépend un petit peu de leur stratégie. Ils utilisent tous des algo trading mais ça dépend aussi de ce que vouas appelez Hedge Funds. Non tous les Hedge Funds n’utilisent pas le HFT. Le plus gros Hedge Fund que l’on ait à Paris c’est quelqu’un qui s’appelle CFM. Jean Philippe par exemple, quand il était venu à la conférence « Hedge Funds » l’année dernière ne se considère pas comme faisant du HFT, puisqu’il disait « on garde les pauses peut-être 8 ours peut-être 15 jours. »
TG : « Mais il disait que ça semble impossible de définir un Hedge Fund, il y a tellement de paramètres à prendre en jeu… »
AG : « Mais ce HF c’est considéré comme le successful HF qui a quand même une certaine visibilité aux Etats-Unis qui est importante et ils sont là depuis longtemps mais il ne se considèrent pas… Jean-Philippe ne se considère pas comme HFT non…
Mais il y a des Hedge Fund qui sont plus considérés comme des HFT Oui… »
TG : « Donc là à Paris ça se pratique également le HFT… Les grandes banques ont des salles de trading HF ? »
AG : « Oui.. »
MH : « On est bien dans les 30-40% ?… »
AG : « Non… Alors ce que l’on considère c’est qu’il y a effectivement sur le marché NYSE -Euronext, on considère que ça soit dérivés – dérivés c’est plutôt 30%- et peut-être un petit plus, Oui… 40-45% sur le cash. On considère que c’est fait par des HFT. Ça ne veut pas dire que ce sont des intervenants basés en France. »
TG : « Ce sont des pourcentages en valeur ou en nombre de transactions ? »
AG : « En nombre de transactions. Parce que nous notre volumétrie on l’exprime beaucoup en nombre de transactions. »
MH : « Et comment vous réussissez à quantifier les données qui sont traitées par des HFT ? »
AG : « Alors c’est facile quand ce sont des membres en direct. Parce qu’en fait, ce sont souvent des membres en direct puisqu’ils ont besoin d’avoir cette rapidité de connectivité à nos marchés. Et à ce moment-là, nous on sait qui traitent sur nos marchés. »
MH : « Vous savez donc d’où viennent les données… »
AG : « Voilà. Après s’ils passent par quelqu’un d’autre, là c’est plus dilué mais généralement, ils passent en direct. »
TG : « Et ce fameux accès rapide aux marchés, ça se traduit comment ? Ils ne sont pas très loin de la bourse ? »
AG : « Alors oui… Il y a un système de colocation où en fait, tous nos ordinateurs de cotation du groupe NYSE-Euronext en Europe sont basés à côté de Londres. Et on offre un service de colocation, càd que l’on peut mettre, héberger dans ce data center des ordinateurs de membres qui sont à côté de nos ordinateurs. »
MH : « Et c’est Euronext qui les loue ? »
AG : « Nous on loue les services de colocation. Oui, on leur permet d’avoir un espace à côté de nos ordinateurs donc il y a toute une infrastructure derrière « IT » avec un nombre de service assez sophistiqués »
TG : « Est-ce que l’on peut considérer ça comme un délit d’initiés pour ceux qui connaissent certaines infos en avance ? »
AG : « Non. Ils ne sont pas au courant en avance. C’est une question de vitesse d’exécution. En fait, dans une bourse, ce qui est important c’est à la fois l’injection des ordres dans le carnet d’ordres et c’est le flux que vous recevez d’informations. C’est les 2 aspects. Parce que là, notamment vos systèmes de trading, ils vont s’adapter en fonction du flux que vous allez recevoir. »
MH : « Donc en fait il y a l’injection qui va être plus rapide avec le HFT, non pas la réception ? »
AG : « ça doit être les deux mais … »
TG : « En fait l’information est disponible pour tout le monde. »
AG : « Voilà exactement. La colocation est ouverte, c’est un service qui est proposé à tous. Maintenant tout le monde n’a pas besoin d’avoir de tels services de colocation parce que quand vous êtes effectivement trader HF ou quand vous êtes dans l’Asset Management où vous avez un horizon d’investissement beaucoup plus long, on en est pas à le seconde pour savoir… Donc en fait, ça dépend un petit peu des problématiques de chacun »
TG : « Et est-ce que l’on arrive à mesurer l’impact du HFT sur le marché ? Est-ce que l’on a vu une différence depuis l’arrivée du HFT sur le comportement du marché? »
AG : « Ben c’est l’objet de toutes les enquêtes que l’on va avoir. C’est assez compliqué de tirer des conclusions justement de l’impact de leurs comportements parce que tout ce dont on vient de parler, d’abord, c’est difficile de trouver UNE définition de l’HFT, et dans la même définition on va avoir des stratégies différentes. C’est indéniable que ça importe quand même une certaine liquidité. Pendant les périodes de crise, on a pas vu de… En tout cas, ça n’a pas été prouvé par les études qui ont été menées qu’il y avait par exemple… Que cette catégorie d’acteurs était plus particulièrement « vendeur » dans une période baissière. Donc il n’ y a rien d’évident. En tout cas, moi, dans ce que j’ai pu lire et voir, il n’y a rien de probant sur leur comportement.
MH : Et sur la volatilité ?
Ni sur la volatilité. Pour l’instant, je n’ai pas vu … La dernière conférence où je suis allé, c’était à l’AMF, et ce qu’on nous présentait ne permettait pas de tirer des conclusions. Mais le papier de recherche de la Hedge Fund conference sera peut-être là dessus. Pour l’instant, on en arrive à pas de conclusion. Ce qu’on sent de façon un peu intuitive, c’est, quelque chose qui n’est pas lié au HFT, que lorsque qu’on arrive à une seule catégorie d’acteurs sur un marché, c’est souvent au détriment du marché. Si l’on arrive à 80% de HFT, cela signifie qu’ils vont sans doute avoir un comportement proche, et donc on va avoir une liquidité qui va être bouffée car c’est une seule catégorie d’acteurs. Ce qui est bien, c’est d’avoir un marché sur lequel on a plusieurs catégories d’acteurs, avec des problématiques différentes, des objectifs différents, pour que certains aient un horizon extremement court. Les HFT font des opérations pas forcément sur des montants très élevés. Ils jouent sur des spreads serrés, et c’est sur la volumétrie de leurs opération qu’ils vont gagner.
Sur le Flash Crash de New York, j’avais un document là dessus, un document public, je peux vous le retrouver. Ca a été très documenter après coup.
TG : Et on parle pas mal sur une taxe sur les transactions, la taxe Tobin.. Est ce que ça aura un impact majeur sur le marché ?
C’est assez compliqué de savoir. Il y a deux niveaux. Il y a eu plusieurs projets. Au Sénat, il y a eu un premier projet, déposé par une sénatrice, amendement à la loi de Finance, pour taxer le HFT. Il a été refusé à la Chambre. Ce dont on parle beaucoup, en particulier avec la polémique sur le triple A, c’est la taxe sur les transactions financières. Là, le 28 septembre a été déposé, au niveau européen, un projet de taxe sur les transactions financières qui ne s’adresse pas uniquement au HFT, il touche à la fois à la fois les produits cash et les produits dérivés, traités à la fois sur un exchange ou traités sur un ODC??. C’est une taxe sur chaque transaction. C’est une taxe plus large que les HFT.
Elle a été présentée au niveau européen et doit être disponible sur le site de la commission européenne. Après ça, il y a le gouvernement, les annonces de Nicolas Sarkozy, qui ne sont pas extrêmement explicites. A ma connaissance, il n’y a pas de document, où il dit explicitement ce qu’il va faire. On peut supposer qu’il va s’inspirer de ce projet européen.
De toute façon, ça pénaliserait les acteurs qui traitent beaucoup. Cela va surtout pénaliser beaucoup la France, car il y aura une délocalisation assez rapide, et un arbitrage géographique au niveau fiscal.
MH Est-ce qu’il y a eu des propositions en interne de régulation ?
De toute façon, au niveau européen, il y a des pistes pour réglementer le HFT. Pour les régulateurs européens, c’est un dossier qui est sur leur table de travail.
MH : Il n’y a pas de piste concrète actuellement ?
Dans MIFID, il doit déjà y avoir des pistes. MIFID, c’est la directive européenne qui réglemente les marchés financiers; MIFID 1 a été instaurée le 1er novembre 2007. Cela a ouvert les marchés à la concurrence. C’est à partir de ce moment là qu’on a vu des plateformes alternatives se créer. Vous savez qu’aujourd’hui en Europe, vous avez des plateformes alternatives, sur lesquelles on traite des valeurs françaises, qui sont un peu des bourses low-cost. Elles n’ont pas les même contraintes. D’ailleurs on n’appelle pas cela des bourses, mais des MLTF (Multi Lateral Trading Facilities). Ils n’introduisent pas de sociétés, ils font uniquement de la transaction, de titre qui sont traités sur d’autres bourses. MIFID a du coup induit une défragmentation des marchés : Avant 2007, pour traiter un titre, on était plus centré sur un seul marché. Tous les acteurs venaient sur Paris, il y avait une concentration des ordres d’achat et des ordres de vente. Toute la liquidité était concentré en un seul point. Par exemple Total n’était coté qu’à Paris en Europe.
Ce qui s’est passé avec MIFID, c’est que ces bourses low-cost sont arrivées, avec des prix extrêmement agressifs, et ont capturé une part de liquidité. lls n’ont que des grosses valeurs, les valeurs du CAC 40. Sur le CAC 40 par exemple, nous on doit avoir 65 % de parts de marché, ce qui signifie qu’une part importante du marché se traite sur d’autres plateformes.
TG : Vous parliez de tarifs progressifs, c’est pour les traders, ou.. ?
En fait, une bourse, nous on gagne notre vie sur les échanges. On prend ainsi des trading fees sur chaque trade effectué.
TG : C’est un pourcentage ?
Pour les dérivés, ce n’est pas un pourcentage, c’est sur chaque lot traité;
Pour le cash, c’est plus compliqué, c’est un balance. C’est très lié au volume, à la volumétrie; Plus il y a de change, plus cela coûte cher. C’est vrai que des traders très sophistiqués au niveau IT vont pouvoir se brancher sur plusieurs plateformes et arbitrer extrêmement rapidement. Certains acteurs HFT vont ainsi arbitrer une même valeur sur plusieurs plateformes, une plateforme alternative, l’exchange, pour déterminer le best price pour l’un ou pour l’autre.
MH: “Concernant la taxe Tobin, pouvez vous nous expliquer quels sont les scénarios possibles, pourrait elle affecter d’avantage le HFT que le reste?”
AG: “Il faut ramener le problème des transactions financières à votre sujet.
Il y a deux possibilités: ou bien une taxe financière générale sur chaque transaction qui affectera d’avantage de HFT, ou bien si l’on souhaite pénaliser plus le HFT, mettre des paramètres qui taxent plus le HFT. C’est la proposition d’une sénatrice, qui au delà d’un certain ratio d’annulations d’ordres appliquait une taxe supplémentaire (Le HFT met beaucoup d’ordres dans le carnet qui sont renouvelés fréquemment :de l’ordre du millième de seconde).
Une autre problématique à ne pas confondre: le HFT et les Market Marker (ou liquidity providers). Les marchés ont besoi d’avoir des market makers: ils fournissent de la liquidité sur le marché. Le pire sur le marché est d’avoir un produit sans pouvoir s’en défaire. Nous avons des contrats avec des banques ou des sociétés de market making pour assurer la liquidité: être présents dans le carnet, à la vente et à l’achat pour une certaine quantité et pendant une certaine durée de la journée. En contrepartie, ils ont des fees réduites, tarif préférentiel. Pour les dérivés, c’est publique, contractuel. Ces gens là passent beaucoup d’ordres, les annulent, comme les cours changent, ils changent leurs ordres également. ils ne font pas du HFT, ils ne faut pas les pénaliser, ils ont un vrai rôle sur le marché puisqu’ils apportent de la liquidité. C’est une catégorie à part à ne pas confondre avec le HFT.”
TG: “Quelle est la place de l’homme dans le HFT, à part à la construction de l’algorithme?”
AG: “C’est à la base, la matière grise. C’est la même que dans n’importe quelle activité utilisant l’informatique. Il n’y a pas de débat la dessus sur la place de l’homme. Il faut que ca soit monitoré par l’homme. Quelque soit la modélisation, il y aura toujours des événements extérieurs qui viendront le perturber. La matière grise vient monitorer, modéliser et traiter, contrôler, ajuster à cause des événements surprise. Le flux de données analysées, le comportement n’est plus exactement le même. C’est un faux débat d’après moi. Le débat est plus sur la liquidité et la volatilité.”
TG: “Qui pourrait en vouloir au HFT? Y a-t-il séparation sur les marchés entre ceux qui pratiquent le HFT et ceux qui ne le pratiquent pas?”
AG: “Je pense que c’est un faut débat aussi. Fondamentalement, ce qu’il faut est quelque chose d’équilibré, comme pour tout marché. Je ne suis pas sur que 70% de HFT soit idéal. A Paris, nous ne sommes pas arrivés à quelque chose d’insupportable.
Le sujet fait débat parce qu’on regarde aussi en prospective sur ce qui se passe aux US. Le fait que sur un marché il y ait différents acteurs est bénéfique. On le voit sur un marché comme les comodities: on a des contrats sur le blé. Des producteurs de blé, des industriels vont avoir besoin de quelqu’un qui va avoir d’autres objectifs et sera prêt à prendre le risque inverse. Pour qu’il y ait un transfert de risque d’un acteur à un autre, il faut qu’ils aient différents intérêt et objectifs. Il ne faut pas avoir qu’un type d’acteur: même objectifs, même contraintes, même anticipations. Quand il y a une grande tendance, c’est problématique, mais ce n’est pas du au HFT, c’était présent avant. Le technologie fait que ça peut arriver de façon plus rapide.”
TG: “Nous avons un avis provocateur sur la place de l’homme dans le HFT.”
AG: “Dans n’importe quelle activité, il y a des robots, mais derrière, il y a biensur de la matière grise. Je vous conseille de bien classifier tous les acteurs, quantifier ce qu’est le market making, vous pouvez allez voir ce qu’est la colocation, c’est tendance: nous le faisons, le CME également, voir aussi sur les sites des autres bourses.”