Economiste – Catherine Lubochinsky

Professeur de Finance à l’Université Paris II – Assas

 

KB : Pensez vous que le HFT participe à la création de richesse, a-t-il une utilité économique ?

CL : Pour bien comprendre le problème, il faut partir des différents types de transactions et d’opérations qu’il y a sur les marchés financiers, en particulier la spéculation. Elle est particulièrement décriée mais elle a une utilité économique fondamentale : apporter de la liquidité, c’est à dire de permettre à tout intervenant de trouver une contrepartie à tout instant. Il  y a aussi un autre type d’opérations très importants : les opérations d’arbitrage.

Evidemment, il y a 50 ans, quand la technologie n’était pas aussi évoluée, lorsque l’on observait la même action à deux prix différents à deux places différentes, les arbitrageurs utilisaient cette non-efficience des marchés (car pas à prix unique), et ramenait le prix à un prix unique en mettant en place une stratégie d’arbitrage. Ensuite, on a développé les marchés dérivés, dans lesquels il y a de l’effet de levier : pour intervenir, seul un petit pourcentage du montant sous jacent à la transaction est nécessaire. La spéculation parfois atteint sur certains marchés dérivés près de 90% des volumes de transactions. Nous avons du mal à prouver que la spéculation déstabilise les marchés. C’est la spéculation du à l’effet de levier qui est déstabilisatrice. Personne ne sait à combien est la proportion optimale de spéculation sur un marché : elle est indispensable mais quand il y en trop, elle déstabilise les marchés. C’est un problème que l’on n’arrive pas à trancher même avec les mathématiques ultra sophistiquées, il est donc aisé de la prendre comme bouc-émissaire, ce qui est fait régulièrement par les hommes politiques. Nous avons maintenant le concept de finance sans visage, après la main invisible nous avons le concept de finance invisible.

La technologie a profondément modifié le fonctionnement des marchés financiers. Auparavant, aussi bien sur les marchés au comptant, à la bourse ou sur les marchés dérivés, il s’agissait de marchés à la criée. Si l’on fait un peu d’histoire de la bourse de Paris, il y avait des remisiers qui faisaient des transactions avec des informations privilégiées.
Spéculer est de la prise de risque. S’il s’agit réellement de la prise de risque, parfois on gagne, parfois on perd. Cependant, il y a toujours eu des gens qui ont spéculé avec de l’information privilégiée : c’est de la triche puisque l’on ne prend pas un vrai risque.

Concernant les Hedge Funds, qui annoncent des performances extraordinaires, bon nombre d’entre eux ont fait des performances basées sur des délits d’initiés. En 3 ans, les américains ont arrêté près d’une soixantaine de patrons de Hedge Funds pour délits d’initiés. C’est interdit car il s’agit d’utilisation d’information privilégiée, il est donc facile de faire du profit dans ce cas. Avec la technologie, nous sommes passées de systèmes à la criée à des systèmes électroniques de transactions puisque moins de main d’œuvre, donc moins chers, moins d’erreur humaine. Nous sommes passés au Trading algorithmique, fait avec des modélisations informatiques : les ordinateurs cherchent sur les différentes places boursières en permanence des différentielles de prix et les arbitrent. Sauf qu’à l’intérieur, l’essentiel a donné lieu à du HFT : du Trading à la nanoseconde.

On peut commencer à s’interroger sur ces pratiques quand on voit que plus de 90% des transactions ne sont pas effectuées : les ordres sont annulés avant. Lorsque l’on reçoit 100 ordres d’achat, le prix va monter et l’on annule avant : c’est de la manipulation de cours et non de l’arbitrage. Ensuite les défenseurs du HFT considèrent qu’ils améliorent la liquidité des marchés. Je n’ai jamais vu quelqu’un suffisamment pressé de vendre un titre qu’il faille qu’il le vende dans la nanoseconde ou une microseconde. Quand 90% des transactions sont annulées avant d’être exécutées, je n’appelle pas ca contribuer à la liquidité des marchés.

Maintenant, le HFT dégénère encore plus : les ordinateurs sont placés de plus en plus près des marchés. Euronext a accepté lui même de placer des ordinateurs plus près de ses propres serveurs pour gagner une microseconde. Nous voyons que nous sommes déconnectés de la réalité d’économique quand l’on compare à la durée nécessaire à la prise de décision d’un investissement physique, on se rend compte qu’il y a un problème. Désormais, le grand jeu dans le HFT, pour être le plus rapide pour exécuter un ordre, on envoie un paquet d’ordre sur les concurrents, que l’on va bien évidemment annuler car on ne souhaite pas faire la transaction, ce qui va ralentir leurs ordinateur : au lieu de mettre un nanoseconde, on en mettra deux… Cela n’a plus aucun sens économique.

Nous en sommes arrivés là à cause de MIFID : c’est une directive européenne sur les marchés financiers. Cela a été pour l’Europe la fin du monopole des bourses règlementées pour passer les ordres sur action : fin de la concentration des ordres. MIFID a autorisé la création de cette plateforme électronique et a donc introduit de la concurrence entre les lieux de négociation des titres avec pour objectif la diminution des couts de transactions et meilleure transparence sur les transactions. MIFID a-t-il atteint son but ? Si l’on prend le cout de transaction unitaire pour un professionnel, sans doute puisque les plateformes se sont fait de la concurrence destructive en mettant des couts de transactions nuls pour concurrencer les bourses organisées, qui ont en même temps une mission de service publique puisqu’elle doivent quotter les obligations qui ne sont pas beaucoup traitées ; d’entreprises moyennes. Les plateformes électroniques organisées par les banques traitent les actions les plus liquides, c’est ce qui rapporte le plus, on laisse le reste à Euronext. Pour ca, il y a eu une diminution des couts de transactions. Pour l’investisseur final, je ne suis pas sur que ce soit le cas : En tant qu’investisseur final, je ne pense pas que mes frais aient diminué. Le second objectif était d’introduire de la transparence, ce qui ne s’est pas du tout produit : aujourd’hui, on ne sais plus qui fait quoi. Les ordres sont éclatés sur plusieurs plateforme, en nanoseconde. L’AMF ne sais plus ce qui se passe. Il y a en préparation MIFID 2 qui est censé corriger cet aspect. Je considère que MIFID a été un échec total car ni vrai baisse des couts de transaction pour les investisseurs finaux, opacité accrue, et risque systémique accru. C’est une troisième dimension plus macroéconomique que l’on a observé avec le flash Crash : ce sont des choses qui dépassent l’entendement.

Avec la crise financière, on s’est aperçu qu’il fallait connaître les positions des banques sur le marché. Bien évidemment quelques années après, on ne sait pas qui détient les CDS sur la Grèce, on hésite à lui faire faire faillite car on ne sait pas à qui ca va nuire. Dans un contexte ou l’on souhaite plus de transparence, ou l’on veut que tout soit fait sur des marchés organisés, avec des dépositaires et des systèmes de compensation centralisés, on créé un éclatement des plateformes de transactions : c’est en totale contradiction avec les réformes structurelles qu’il faut faire pour la finance.

Je pense que toutes les transactions financières devraient avoir lui sur des marchés organises et que cette bourse devrait appartenir a toutes les partis prenantes : d’une part aux intervenants et d’autre part aux état puisque la fonction financière est essentielle au fonctionnement d’un pays. Nous le voyons bien avec la crise financière actuelle et les répercutions en terme de crise systémique. Je pense que c’est une déperdition d’énergie phénoménale de passer des ordres que l’on n’exécute pas.

AO : Comment la spéculation et plus particulièrement le HFT créent de la valeur ajoutée? Y a-t-il autant de gagnants que de perdant ?

CL : Tout d’abord, on peut dire que cela fait travailler les gens en tant que contribution au PIB, même si ce sont principalement des machines que l’on fait travailler. Ici, il n’y a pas vraiment de création de PIB. Ensuite, passons au rôle de la spéculation, permet elle d’augmenter le PIB ? Pas vraiment non plus. Cependant, elle est indispensable car sans elle, les opérateurs qui veulent se couvrir ou se libérer d’un titre, se retrouvent bloqués : il y a un besoin de spéculateurs, il ne faut pas le nier, sans pour autant tomber dans les excès.

Qui gagne et qui perd ? C’est la grande question philosophique : il faut séparer les marchés ai comptant et les marchés dérivés.

Sur les marchés au comptant, c’est difficile à évaluer. Depuis la première fois ou l’action a été émise, les gains des uns correspondent aux pertes des autres, mais avec une répartition disparate dans le temps entre agents économiques, c’est pratiquement impossible à chiffrer. Quand la bourse s’effondre, les gens sont long, ils détiennent les actions surtout, les actions physiques sont détenues. Les gens perdent quand les cours baissent et gagnent quand les cours montent. Apres, il faut différentier les gains/pertes effectives et potentielles. Balladur disait avec humour et ironie : « tant qu’on n’a pas vendu, on n’a pas perdu ».

Dans le cadre des marchés dérivés, c’est plus facile à voir car les produits sont créés régulièrement, avec souvent une durée de vie de trois mois. Il y a initialement un acheteur et un vendeur. Pendant toute la durée de vie du produite, les gains des uns correspondent aux pertes des autres. C’est très difficile à chiffrer car on peut gagner sur une position net perdre sur une autre. Voir qui gagne et qui perd est très difficile à voir. Si l’on considère que les marchés sont totalement efficients et qu’il n’a pas d’information privilégiée, on a alors une chance sur deux de gagner.

Ce que les travaux économiques ont cherché à voir est s’il y avait de la persistance dans les performances. On s’aperçoit qu’il n’y a pas de persistance dans les performances des Hedge Funds : il n’a pas de miracles. Apparemment, les miracles ont lieu quand il a de l’information privilégiée. A ce moment la, on remet en cause l’efficience des marchés ou à moyen terme il y a des orientations stratégiques.

AO : Dans le HFT, y a-t-il plus de gagnants que de perdants ? Sinon quel est l’intérêt

CL : C’est impossible. Lorsque l’on joue, on s’imagine que l’on est plus fort que les autres. C’est très difficile de savoir combien ils gagnent sur la manipulation des cours puisque c’est de la manipulation des cours. Ca veut dire que les traders HFT gagnent et les gens comme nous perdent.

AO : Quels sont les effets sur les investisseurs normaux ? Est ce neutre pour les investisseurs individuels.

CL : Les investisseurs doivent attendre. Les investisseurs individuels sont très peu nombreux, ils passent par d’autres produits. Pour nous, les transactions ont lieu dans les trois minutes, alors que d’autres jouent à la nanoseconde.

Pour moi, le HFT est vraiment de l’utilisation et de la manipulation d’information. Je trouve que ça n’a aucune utilité économique. J’attends que l’on vienne me démontrer que les marchés sont plus efficients qu’avant.