Qui sont « les amis du barrages » ?
Entretien avec M. Kaniowski, président de l’association des amis du barrage.
Quelles sont les principaux arguments qui vous font dire que l’arasement des barrages de la Sélune devait être annulé, tout du moins repoussé ?
Tous les arguments que je vais développer ont un même intérêt, il n’y a pas d’ordre d’importance.
Il faut tout d’abord dire que ces deux usines hydro électriques produisent une énergie renouvelable, propre et qui peut être vendue chère aux heures de pic de consommation. Selon de récentes informations EDF aurait grâce à ses barrages un bénéfice net d’un million d’euros par an. Elle a surtout l’avantage d’être modulable, la production est bien inférieure à celle d’une centrale nucléaire mais on peut choisir le moment où l’on produit l’électricité.
Le second point que je veux développer est l’eau en elle-même, il faut tout d’abord savoir qu’une grande partie de l’eau consommée dans le département provient d’une usine en aval des barrages. Or sans barrage le débit du cours d’eau est insuffisant compte tenu de la production actuelle. Si le démantèlement avait lieu il faudrait donc construire de nouvelles retenues d’eau et de nouvelles usines pour garder le même rythme de production. Un autre problème concernant l’eau c’est que la région possède très peu de nappes phréatiques, en période de sécheresse la retenue d’eau est donc très utile, par exemple pour les agriculteurs. Ces périodes étant de plus en plus nombreuses il paraîtrait peu avisé de se passer de ce type d’atout. Il y aussi le problème des inondations en cas de crue qui sont beaucoup plus dévastatrices en absence de bassin de retenue. La crue de 1910 a tout détruit sur son chemin.
Le dernier point est la pollution. La pollution de la baie du Mont Saint-Michel en 1993 lors de la vidange de ces barrages reste dans toutes les mémoires. Or il y a évidemment aujourd’hui encore de plus de sédiments pollués retenus par le barrage. Lors d’un éventuel relargage d’énormes quantités seraient ainsi relâchées. Ceci constitue donc une pollution ponctuelle, mais il y aurait aussi certainement une pollution plus durable. Une certaine quantité de sédiments souillés ne seront pas évacués dès le départ. Et cette pollution résiduelle se transportera au fur et à mesure des crues vers l’aval.
Les pro-arasements parlent eux de la vétusté de ces ouvrages centenaires parmi leurs arguments en faveur du démantèlement, quels sont vos arguments pour y répondre ?
Les barrages sont âgés de près d’un siècle mais rien ne laisse penser que leur temps est totalement révolu. Les structures sont toujours solides. Nous sommes tout à fait conscients qu’ils ne sont pas éternels et qu’il faudra les remplacer ou les détruire mais dans l’état actuel des choses nous considérons, je parle au nom de l’association, que la qualité de l’eau en amont n’est pas encore assez correcte pour laisser faire le cours d’eau. Le rôle de filtre qu’ont les barrages est utile à toute la vallée.
Je ne suis, à titre personnel, pas contre le démantèlement des barrages de la Sélune mais je ne pense pas que l’on soit prêt pour ça.
En ce qui concerne la migration des saumons, que pensez-vous du choix de privilégier la réimplantation des saumons à la production d’électricité ?
Pour le moment les deux barrages sont vraiment infranchissables par les saumons. Et il nous a été répété pendant des années qu’il était impossible de mettre en place une passe à poisson sur ces barrages. Mais aujourd’hui un membre de l’association, Brice Wong, ancien consultant spécialisé dans les barrages, travaille sur une écluse à poisson. Il serait apparemment applicable ici. Des solutions sont donc envisageables. Même s’il n’est pas certain que la réimplantation soit efficace. Mais l’argumentation des ONG est très légère sur ce sujet, elle ne repose pas sur des études scientifiques sérieuses.
Dans quelle mesure l’état est-il impliqué dans le dossier ?
C’est l’état qui a lancé ce projet en 2009, il est donc au départ de cette action. Mais localement tout le monde est opposé à ce projet, c’est une décision anti-démocratique qui a été prise. Mais le plus grave là-dedans c’est qu’aucune étude n’a été faite sur le sujet, la décision a été prise puis le problème a été étudié, on marche sur la tête. Nous avons ouï-dire il y a peu de temps que ce serait un cadeau fait par le précédent gouvernement aux ONG comme WWF pour qu’elles assistent au premier Grenelle de l’environnement. Les locaux luttent donc contre ce projet qui leur est imposé.
Il y a d’ailleurs un aspect que j’ai oublié de développer dans mes arguments, c’est le financier. Initialement le budget qui était jugé nécessaire pour détruire les ouvrages, traiter les sédiments et renaturer la vallée, était de 290 millions d’euros. Aujourd’hui le gouvernement table sur 60 millions, les locaux sont très étonnés de cette évaluation. Dans tous les cas ce projet coûtera très cher en période de crise où des économies doivent être faites une telle solution semble illogique. Ce projet risque d’être nuisible à l’économie locale, il est impossible d’évaluer toutes les conséquences mais cinquante emplois sont directement menacés.
Ce projet était présenté comme exemplaire mais c’est devenu au dire même des dirigeants un exemple. C’est en effet une première mondiale pour les raisons que vous connaissez. Ils ne savent pas où ils vont et avancent à tâtons. Il y a pour l’heure beaucoup trop d’incertitudes sur ce sujet pour se lancer.
Quelles sont les actions de votre association ?
Nous essayons d’avoir une action constructive. Nous organisons bien sûr des réunions de sensibilisation à ce problème d’actualité, mais notre principal objectif est d’établir un dialogue avec le gouvernement. Nous sommes en contact avec Madame Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Notre ingénieur consultant a pu s’entretenir pendant une demi-heure, il y a quelques semaines, avec le conseiller technique de Madame la Ministre. Il a, semble-t-il, porté un certain intérêt à notre projet et nous avons bon espoir de pouvoir nous faire entendre de la ministre ou tout du moins de ses conseillers au cours des prochains mois.
Notre projet est de réadapter les barrages plutôt que de les détruire. Par exemple l’utilisation d’une STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage), mais aussi comme je l’ai dit avant d’installer des écluses pour permettre de nouveau la migration des saumons. Je n’ai pas le temps de vous décrire tout le projet mais il devrait permettre de multiplier par quatre voire cinq la productivité du barrage. De plus le projet coûterait 50 millions d’euros. Mais cette somme serait prise en charge par l’exploitant et plus par la communauté. Nous espérons que le gouvernement y trouvera un intérêt mais il parait difficile pour lui de revenir sur un engagement pris même s’il l’a été par un autre gouvernement. Pour être entendus nous écrivons très régulièrement au président, au Premier Ministre ainsi qu’aux ministres concernés.
N’y-a-t-il pas un nouvel écosystème qui est implanté et qui risque de disparaître à cause du démantèlement ?
En effet une nouvelle faune s’est développée en un siècle. Et elle ne survivrait surement pas à la disparition du lac notamment, d’autant plus que les crues remueraient les sédiments pollués ce qui créera surement encore plus de soucis.
Mais nous ne sommes surement pas totalement objectifs. Il y a aussi un aspect affectif que je n’ai pas abordé, les gens sont très attachés au barrage, ils ont toujours vécu avec lui et cet environnement particulier.