Le gluten, un problème pour qui ?

Les acteurs définissent plusieurs catégories d’individus pour qui le régime sans gluten est légitime. Cette légitimité et l’existence même de ces catégories font l’objet de tensions entre les acteurs.

Depuis quelques années, les chercheurs ont défini une nouvelle pathologie, la « non-celiac gluten sensitivity », traduit en français par hypersensibilité ou sensibilité au gluten, par opposition à la maladie cœliaque et à l’allergie au blé.

« Recently, a third clinical syndrome has been introduced under the generic umbrella of gluten-related disorder, or non-celiac gluten sensitivity (NCGS), which apparently involves neither the allergic nor autoimmune mechanisms or a specific genetic background, as in CD [Coeliac Desease] » (World Journal of Gastroenterology, 27/05/2015)

Cette pathologie a été crée pour qualifier des individus:

« qui souffrent de troubles digestifs, de maux de ventre, de fatigue, de diarrhées, parfois d’autres troubles, sans avoir de diagnostic de maladie cœliaque » (entretien, professeur gastro-entérologue, le 15/04/2016).

Les scientifiques ont défini l’hypersensibilité comme une pathologie non cœliaque, qui repose sur des mécanismes qui sont en grande partie encore inconnus (Source: World of Gastroenterology). Un professeur gastro-entérologue nous explique que c’est une pathologie qui existe « pour expliquer certains troubles digestifs qu’on ne connaissait pas avant ».

« L’hypersensibilité au gluten est un concept plus récent, un peu fourre-tout, dont on ne connaît pas  les  mécanismes  ni  les  véritables  causes.» Professeur Christophe Cellier, (Léna, 13/03/2015)

L’hypersensibilité est strictement différente de la maladie cœliaque : à ce sujet, une diététicienne pense que : « tout le monde est d’accord » (entretien, diététicienne exerçant au Centre Médical Spécialisé de l’Enfant et l’Adolescent).

En effet, les malades cœliaques ont été diagnostiqués selon une procédure qui fait consensus dans le monde médical.

« [On dispose d’] outils pour poser le diagnostic de façon objective » (entretien, professeur gastro-entérologue, le 15/04/2016)

Tous les acteurs acceptent l’idée que le gluten est toxique pour les malades cœliaques, et de fait, leur légitimité au régime sans gluten n’est pas mise en doute dans le débat. Des individus sont également diagnostiqués allergiques au blé, mais cette pathologie n’est pas remise en cause non plus. Ni la maladie cœliaque – aussi désignée par le terme « intolérance au gluten » – ni l’allergie au blé, ne font l’objet d’une controverse.

Au contraire, la définition floue de l’hypersensibilité soulève plusieurs problèmes, notamment dans le choix des critères de diagnostic et du traitement à administrer : des sujets qui font débats dans le corps médical.

Un professeur gastro-entérologue nous explique qu’aujourd’hui on peut avoir recours à des tests de types IgG, dits d’intolérances alimentaires multiples, mis en place par des laboratoires d’analyse mais selon lui, ceux-ci n’ont « aucune valeur scientifique » (entretien, le 15/04/2016).
Certains scientifiques évoquent l’existence d’un lien entre syndrome de l’intestin (ou colon ) irritable (SII) et les mécanismes à l’œuvre dans l’hypersensibilité au gluten, mais sans certitude.

« Certains malades souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable (SII) décrivent la survenue de leurs symptômes lors de l’ingestion de gluten. Cette observation a conduit au concept d’hypersensibilité au gluten en dehors de toute maladie coeliaque » (SNFGE, 20/01/2014)

D’autres pensent que le rôle du gluten dans ce qui est appelé « l’hypersensibilité au gluten » ne serait pas non plus clairement identifié. La diététicienne que nous avons interrogé parle de « niveaux de tolérance au gluten »:

« Ce n’est pas forcément zéro gluten » (entretien réalisé avec une diététicienne exerçant au Centre Médical Spécialisé de l’Enfant et de l’Adolescent, le 25/02/2016)

« Le premier biais c’est de mettre tous les aliments, tous les glutens dans le même sac […] A la différence du pain, […] les pâtes ne sont à interdire que pour les cœliaques » (Christian Rémésy interviewé sur France Inter, le 06/03/2016, a propos de l’existence d’une pluralité des gluten)

L’implication seule du gluten dans les troubles digestifs est également soulevée, interrogeant la nature du régime à prescrire. Quelques acteurs nient l’existence même d’une hypersensibilité au gluten:

« Des gens ont inventé l’hypersensibilité au gluten : c’est un machin flou qui n’a rien à voir avec la vraie intolérance et ne repose sur absolument rien» (Entretien de Jean-Michel Lecerf, De Meulmeester, D’Haenens, 25/06/2015)

Pour défendre l’existence de l’hypersensibilité, de nombreux blogs et sites web ont été crées par des individus se revendiquant hypersensibles. Ces blogs ont pour objectifs de sensibiliser les individus à la pathologie dont le rédacteur souffre, et de créer une communauté d’entraide autour de celle-ci:

« J’avais donc envie de partager toutes ces découvertes (sur la « toxicité du gluten »)  avec vous, parce qu’elles sont pour le moins surprenantes. Je ne m’attendais pas à découvrir autant de choses négatives sur le blé … Et surtout à quel point les méfaits de cette céréale sont répandus … » (Gala de Gala’s blog, qui « semble » souffrir d’une hypersensibilité au gluten)

Le débat porte donc sur l’existence ou non d’une hypersensibilité au gluten, et sur la nature du traitement à administrer si tel est le cas.

« Pour l’instant cette hypersensibilité, on ne sait pas si c’est uniquement le gluten ou si il y a d’autres aliments, comme les FODMAPS, d’autres sucres qui sont enlevés en même temps que le gluten, ou si c’est d’autres mécanismes qu’on n’a pas encore identifiés » (entretien, professeur gastro-entérologue, le 15/04/2016)

Il existe également des individus ne souffrant pas de troubles digestifs qui ont choisi de supprimer le gluten de leur alimentation de manière temporaire ou permanente pour améliorer leur bien-être et leurs performances sportives entre autre. Ces individus affirment se sentir mieux suite à la surpression du gluten de leur alimentation. Il y a donc controverses également quant aux bienfaits éventuels du régime sans gluten pour des individus qui ne sont pas malades.

«  J’ai perdu les quelques kilos en trop que j’avais […] J’ai aussi constaté que j’avais une bien meilleure énergie. […] Au niveau physique, j’étais comme reboostée, et avec le recul je vois à quel point le gluten avait supprimé ma vitalité et ma motivation. Au niveau moral aussi, gros coup de boost après l’arrêt du gluten ! L’alimentation joue sur le moral et notre état d’esprit, je le constate chaque jour. » (Fanny de Les Petites Choses de Fanny, à propos de son expérience sans-gluten qui a duré 4 mois)