En réactions aux nombreuses incriminations du gluten, nombreuses sont les personnes qui décident de suivre un régime sans gluten. Les acteurs impliqués dans la controverse ne s’expriment alors plus sur le gluten en lui-même mais sur la pratique de ce régime de plus en plus répandue. Différents groupes d’acteurs vont alors s’opposer afin de déterminer si le fait de suivre un régime sans gluten est une réaction adaptée à la sensation de troubles intestinaux ou face à la recherche de bien-être.
Encore faut-il rappeler qu’il existe différents motifs pour commencer un régime sans gluten . L’analyse ne se fera ici que pour deux motifs : celui de l’hypersensibilité (voir : Existe-t-il une hypersensibilité au gluten ? ) et celui, moins clair encore, du bien-être.
Le régime sans gluten et les améliorations des performances sportives
On trouve dans des articles de presse généraliste l’idée selon laquelle de nombreux sportifs tels que les tennismen Novak Djokovic et Andy Murray ou encore le cycliste Bradley Wiggins suivent un régime sans gluten. Le journaliste Arnaud Bevilacqua reprends, dans un article de La Croix (Bevilacqua, 25/01/2014) , les propos de Véronique Rousseau, une diététicienne nutritionniste de l’INSEP (Institut National du Sport de l’Expertise et de la performance). Cette dernière explique :
« Le régime sans gluten, pour des personnes qui ne sont pas intolérantes ne va pas améliorer leur performance. En revanche, ceux qui vont prêter une attention particulière à ce qu’ils mangent, préférant consommer des fruits et des légumes, vont finalement manger plus sain et plus équilibré, se sentir mieux et ainsi parvenir à diminuer leur masse grasse. Ils bénéficient alors d’effets collatéraux – qui ne sont pas dus à l’arrêt du gluten – non négligeables sur le plan physique mais aussi psychologique. J’explique donc que le régime sans gluten est réservé aux malades, mais je cherche aussi à positiver cette approche qui peut être une première réflexion de la part des sportifs sur leur alimentation.»
Ce propos semble dans un premier temps très clair : le régime sans gluten améliore les performances des intolérants tandis qu’il n’a pas d’effet sur les autres sportifs. Et pourtant, on décèle encore une ambiguïté dans la presse, notamment autour du cas de Novak Djokovic. Dans l’article précédent, on peut lire : « Novak Djokovic, numéro deux mondial de tennis, a, lui, été diagnostiqué (bilan sanguin et biopsie) tardivement intolérant au gluten ». Tandis que dans un autre article du journal 20 Minutes (Roland-Garros: Novak Djokovitc n’en ferait-il pas un peu trop avec son histoire de gluten ?, 03/06/2015), le journaliste développe les propos du joueur :
« Après une batterie de tests, il a expliqué avoir été diagnostiqué comme intolérant au gluten. Sans jamais avoir assuré être victime du syndrome cœliaque, maladie digestive auto-immune (pouvant provoquer de la fatigue, des douleurs abdominales, des diarrhées etc.) née de l’intolérance permanente à une ou plusieurs fractions protéiques du gluten, et avec laquelle il aurait été très compliqué pour Novak Djokovic de devenir ne serait-ce qu’un joueur professionnel. »
Finalement, il semblerait qu’on retrouve beaucoup de confusions dans la presse sur la notion d’intolérance au gluten(qui correspond à la maladie cœliaque) et celle d’hypersensibilité au gluten (dont souffrirait Djokovitc).
« Mais le cas de Novak Djokovic a engendré une mode », explique Bevilacqua. Nombreux autres sportifs suivent maintenant un régime sans gluten, pour des raisons aussi variées qu’indéterminées. Le joueur, convaincu des bien-faits du régime sur son corps a même écrit un livre en 2014, intitulé Service Gagnant et devient un « ambassadeur en or » (Reportage BFM TV, Novak Djokovic, l’ambassadeur en or de Gerblé) pour la gamme de produits sans gluten de la marque Gerblé.
L’effet amincissant souligné par certains acteurs
Une diététicienne explique que «la controverse c’est l’hypersensibilité au gluten ou tous les individus qui disent « j’ai retiré le gluten et je me suis mis à mincir ».» (entretien, diététicienne du Centre Médical Spécialisé de l’Enfant et de l’Adolescent, le 25/02/2015). On constate donc l’ampleur de cet aspect amincissant dans la controverse sur le régime sans gluten.
Cette idée de « régime amincissant » est d’autant plus véhiculée que le régime est adopté par des personnalités médiatisées et connues telles que Miley Cirus ou Lady Gaga. Elles vantent alors les bienfaits amincissant de ce régime sur les réseaux sociaux et dans les magazines people.
Même si le principe du régime restrictif pour perdre du poids n’est absolument pas recommandé par tout le monde, la plupart des acteurs s’accordent pour dire qu’il y a bien un effet amincissement à constater suite à un régime sans gluten. Cependant, il semblerait que ce ne soit pas directement l’exclusion du gluten qui permette de perdre du poids mais la diminution de la consommation de produits particulièrement riches et caloriques. De plus, les produis sans gluten qui existent pour se substituer aux anciens n’ont pas la même qualité gustative et la diététicienne nous explique que :
« Perdre du poids dans ce cadre là, c’est plus le fait par exemple que les bons mangeurs de biscuits, qui aiment bien par exemple les cookies, les pains au chocolat, les choses comme ça, se mettent à manger […] le même produit mais sans gluten, mais ils ne vont pas retrouver la même saveur » (entretien, diététicienne du Centre Médical Spécialisé de l’Enfance et de l’Adolescence, le 25/02/2015)
La question du mode de vie
Le régime sans gluten est une pratique indéniablement associée à la recherche de bien-être. En effet, de nombreux blogs et sites Internet apparaissent et renseignent sur la pratique du régime sans gluten. Le but :
« Promouvoir une alimentation saine et savoureuse, par le biais de différentes activités culinaires. » (Site de Gluten Free in Paris)
Finalement commencer un régime sans gluten va très largement de pair avec une prise de conscience de son alimentation passée et une nette volonté de l’améliorer. De nombreuses personnes, qu’elles soient hypersensibles ou non soulignent alors se sentir mieux et prennent plus de temps pour se faire de la cuisine. Finalement manger sans gluten les amène fréquemment à manger des produits biologiques, moins transformés : retournant ainsi à des produits plus simples.
Une véritable communauté numérique se crée avec notamment des sites comme Ma cuisine sans gluten, Bouillon d’idées ou Sunny Délice, les individus échangent, se donnent des conseils et ainsi passent tout simplement du temps à penser à eux. Plus que la simple exclusion de certains aliments, le régime sans gluten semble ainsi améliorer l’état des individus qui focalisent leur attention sur quelque chose, tout en étant dans une logique d’appartenance à un groupe (voir : Des améliorations… et si ce n’était pas le gluten).
Même si cette pratique semble inscrite au sein d’une véritable communauté, il ne faut cependant pas oublier qu’elle dispose d’un caractère excluant. En effet Estelle Masson dans Les alimentations particulières (Claude Fischler, 2013) explique que :
«L’adoption individuelle d’un régime alimentaire particulier qui diffère de celui des autres membres de la collectivité empêche de participer pleinement et convenablement au rituel social du repas. A ce titre, la majorité des régimes s’avèrent excluant. »
L’inefficacité d’un régime sans gluten et les préjudices associés
Les médecins ont des avis plus réservés quant au régime sans gluten. Si un régime sans gluten correctement suivi ne provoque pas de carences chez les individus, les potentiels bienfaits du gluten restent incertains voire inexistants.C’est ce qu’expriment différents acteurs dans les citations suivantes :
« Je ne connais pas de bénéfices [au régime sans gluten] »(entretien, professeur gastro-entérologue, le 15/04/2016)
« On n’a pas de raison, si on n’a pas de pathologies associées, de ne pas digérer [le gluten] »(entretien, diététicienne du Centre Médical Spécialisé de l’Enfant et de l’Adolescent, le 25/02/2016)
De manière encore plus marquée, Jean-Michel Lecerf, médecin spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques, affirme dans la presse :
« Non seulement il n’y a pas d’études qui démontrent un quelconque bénéfice à arrêter le gluten mais en plus il n’y a aucune raison qu’il y en ait! » (Meulemeester, D’Haenens, 25/06/2015)
Pour ces acteurs du corps médical, un individu non malade n’a pas intérêt à supprimer le gluten de son alimentation. Bien qu’ils ne reconnaissent pas les bienfaits physiques de la suppression du gluten, certains médecins tolèrent cette pratique, c’est le point de vue de cette diététicienne:
« Si ce n’est pas nocif de faire ce régime, on va laisser le patient le faire. […] Chacun est responsable de ce qu’il mange » (entretien, diététicienne du CMSEA, le 25/02/2016)
D’autres médecins sont plus fermement opposés à cette diffusion du régime sans gluten. Pour le docteur Jean-Michel Lecerf, le régime sans gluten relève d’ « un effet de mode » qui peut s’avérer dangereux s’il est mal fait, puisqu’il dérègle notre alimentation. Par ailleurs, supprimer le gluten de son alimentation peut poser problème dans le diagnostic de la maladie cœliaque. Selon le Professeur Cellier, il y aurait aujourd’hui 600 000 malades cœliaques en France, dont seulement 10 à 20% serait diagnostiqués. Il y aurait donc une partie des malades coeliaques non identifiés car auto-diagnostiqués hypersensibles au gluten, ce qui pose problème car un hypersensible peut manger des petites quantités de gluten, alors que celui-ci est toxique pour un malade cœliaque. Ce dernier doit par ailleurs être suivi par des médecins tout au long de sa vie.
Enfin les représentants de l’Association Française des Intolérants Au Gluten (AFDIAG) parlent d’une « vogue du régime sans gluten » à laquelle elle n’est pas toujours favorable. En effet même si certains malades cœliaques expliquent avoir un accès plus facile aux produits sans gluten depuis que cette mode s’est développée,les représentants de l’AFDIAG perçoient cette tendance comme une banalisation de la pratique du régime sans gluten, ce qui jouerait à la défaveur des malades cœliaques. L’association cherche en fait à maîtriser la situation en créant notamment un logo certifié « sans gluten » qu’elle applique à certains produits sélectionnés. Son but : éviter les labels « sans gluten » abusifs qui, certes ne contiendraient pas de gluten en tant que tel du gluten mais ne respecteraient pas les normes nécessaires aux malades cœliaques (il est par exemple question du nettoyage des outils de production).
« Il y a donc de plus en plus de personnes qui mangent sans gluten, mais paradoxalement, ce ne sont pas forcément celles dont il est prouvé qu’elles ont besoin de suivre un RSG. » (Site de l’AFDIAG)
« L’adoption individuelle d’un régime alimentaire particulier qui diffère de celui des autres membres de la collectivité empêche de participer pleinement et convenablement au rituel social du repas. A ce titre, la majorité des régimes s’avèrent excluant. » ( Estelle Masson dans L’alimentation particulière, Claude Fischler )