Le gluten est-il néfaste ?

 Le 5 avril 2015, la chaine de télévision France 5 diffusait une émission intitulée « Enquête de santé – Sans gluten, ni lait, ni sucre: l’obsession du manger sain ». Ce sujet s’inscrit dans le contexte actuel d’un intérêt accru pour les « régimes sans », parmi lesquels le régime sans gluten occupe une place importante. En effet, la question de la nocivité du gluten apparaît fréquemment dans les magazines de santé et de consommation tels que Que Choisir ou encore Allodocteur.fr lié au  Magazine de la santé.

Selon les acteurs qui s’expriment, cette interrogation autour du gluten apparait sous différents aspects.

Le blé et le gluten

Le gluten existe depuis toujours, alors les médecins et les chercheurs mais aussi certains journalistes spécialisés comme Julien Venesson se questionnent. Ils veulent comprendre pourquoi, aujourd’hui, le gluten serait à l’origine de troubles intestinaux récurrents chez les gens déclarés hypersensibles au gluten alors que ce n’était pas le cas avant. Julien Venesson, auteur du livre Gluten, comment le blé nous intoxique (2013), explique que c’est en fait une trop grande modification des blés modernes et donc une trop grande quantité de gluten dans ces derniers qui nous intoxique.

Le gluten au sein du processus d’industrialisation

Pour mieux comprendre les effets du gluten sur le corps, encore faut-il bien comprendre les propriétés de cette protéine très souvent modifiée (voir Qu’est-ce que le gluten ?). On cherche alors à savoir dans quels produits le gluten est réellement présent et nocif. Il est aussi nécessaire de distinguer différents glutens. Le chercheur et nutritionniste Christian Rémésy, travaillant à l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique), a beaucoup étudié cette question. Il souhaite que les connaissances scientifiques soient partagées au grand public, s’exprimant ainsi très clairement sur des aspects complexes.

Il faut d’abord souligner que, dans le cas de l’hypersensibilité au gluten, tous les éléments contenant du gluten ne posent pas de problème de digestibilité :

« Si la prévention de la maladie cœliaque requiert l’exclusion de toutes les sources de gluten, une mesure diététique aussi drastique n’est sans doute pas nécessaire dans le cas de l’hypersensibilité au gluten, seuls certains aliments pourraient poser problème. Or en l’absence de vulgarisation claire sur ce sujet, les patients concernés excluent indistinctement tous les aliments contenant du gluten de blé, de seigle, d’orge. » (Rémésy, Les enseignements de phobie du gluten. Le monde)

Ce serait finalement la « filière blé-pain » (Rémésy, 03/02/2014) qui poserait le plus de problèmes. Cette dernière a connu l’apparition de nouvelles techniques boulangères afin de faciliter la panification. Le blé a été sélectionné pour donner des glutens plus performants  mais ces derniers sont alors plus difficiles à digérer. Le pétrissage affecte aussi la digestibilité du gluten puisqu’il « crée un véritable film viscoélastique séparé des grains d’amidon, ce qui accentuerait la difficulté des enzymes pancréatiques à scinder le gluten, obligeant la paroi intestinale à prendre un relais difficile » explique Christian Rémésy. Mais ce n’est pas tout puisque dans certains produits boulangers, on rajoute même du gluten à des farines qui en contiennent déjà : le chercheur parle alors de dopage.

Finalement, les industries « manque[nt] de vigilance »  et ne se préoccupent pas de la question de la digestibilité de leurs produits. Elles ne sont cependant pas dupes et saisissent souvent les occasions de marché qui se présentent :

« Les gens sont sensibles au gluten : au lieu de tout faire pour corriger le tir, à la place, on [les entreprises] va tout faire pour répondre à une nouvelle demande des produits sans gluten, c’est comme ça que fonctionne la société actuellement. » (entretien réalisé avec un chercheur de l’INRA, le  15/04/2016)

Un quota de gluten ?

Nous nous sommes également adressés à une blogueuse. Son site Internet est consacré au régime sans gluten, aux adresses parisiennes « sans gluten » et aux différents cours de cuisines adaptés qui existent. Cette dernière émet des hypothèses et exprime une idée : peut-être que le gluten deviendrait néfaste s’il est consommé en trop grande quantité. Elle parle d’un « quota de gluten » (entretien, blogueuse sur le régime sans gluten, 01/04/2016) comme on parlerait d’un « quota soleil » à ne pas dépasser. Ainsi après avoir consommé trop de gluten au cours de sa vie, on dépasserai un stade de non tolérance. Cependant, ceci n’a pas été appuyé un médecin gastro-entérologue qui nous a expliqué ne pas croire en cette hypothèse qui n’aurait, pour lui, aucun fondement scientifique.

Il est par contre bien question de quantités quand une diététicienne, au cours d’un entretien (entretien, diététicienne, Centre Médical Spécialisé de l’Enfant et de l’Adolescent (CMSEA), 25/02/2016), nous explique qu’il peut exister « des niveaux de tolérance » au gluten auxquels chaque patient doit s’adapter et ainsi, s’il le souhaite, modifier son alimentation.

Le gluten, apports et carences nutritionnels

Pour beaucoup de professionnels de la santé, la consommation ou exclusion de gluten ne change rien au métabolisme humain. D’un point de vue strictement nutritionnel, une diététicienne explique en effet que des études réalisées ont montré qu’il n’y a aucune différence entre un régime sans gluten et un régime avec gluten, dès lors que le gluten est remplacé par d’autres céréales dans des proportions équivalentes.
Selon elle :

«  […] normalement on n’a pas de carences quand on fait un régime sans gluten, puisque qu’on va donner des céréales qui ne sont pas avec du gluten mais l’apport en amidon et l’apport en sucre lent sera à l’identique de ceux qui ont un régime avec gluten. »

(entretien réalisé avec une diététicienne du CMSEA, le 25/02/2016).

Le professeur Cellier, chef de service d’hépato-gastro-entérologie explique dans une article du Figaro Santé :

« Le gluten n’a aucune valeur nutritive : en consommer ou non n’apporte rien de plus, rien de moins. » (propos rapporté par Carbello, Figaro Santé, 26/01/2015)