Dans le contexte actuel de difficultés sociales importantes pour les familles françaises, je pense que l’heure n’est pas, quelles qu’en soient les conditions, à augmenter le prix d’accès à un service public.

Bruno Julliard, membre du PS et adjoint au maire de Paris

Accessibilité et sélection financière


La sélection n'existe pour l'instant que marginalement en France puisque la quasi totalité des établissements du supérieur sont presque gratuits. 
Le principal risque d'une augmentation des frais de scolarité serait d'introduire une telle sélection. 

Dessin de Konk


Comment éviter une telle sélection? Question chère à tous les acteurs de la controverse. L'institut Montaigne a même posé le principe suivant: 


« a
ucun étudiant ne saurait renoncer, pour des raisons exclusivement financières, au bénéfice de son admission dans un établissement d’enseignement supérieur »

 
Par exemple, des frais exorbitants, même associés à des systèmes d'aides, seraient néfastes. Le premier sous-nœud qui se présente est donc: jusqu'à quel point peut-on augmenter les frais de scolarité sans nuire à l'accessibilité?
Il y a sans aucun doute un effet de seuil au delà duquel un étudiant risque de renoncer à ses études pour des raisons financières.

 

« L’effet de seuil définissant le niveau à partir duquel l’État doit mutualiser l’effort est déterminant pour ce phénomène. Qui est capable de payer quoi ? Il s’agit d’adapter aux uns et aux autres les critères de mise en place de cette responsabilisation. »

Angèle Malâtre, Institut Montaigne

 

Pour attaquer le problème, différentes logiques sont abordées par les acteurs.
On peut considérer l'enseignement supérieur comme un service marchand, payant. Pour avoir un service de qualité, il faut payer plus cher. C'est d'ailleurs la l'argument avancé pour jusitfier l'augmentation des droits d'inscription à Sciences Po:

 

« la question est « avons-nous d'autres sources de financement qui assurent le niveau idéal permettant de donner aux étudiants les meilleurs professeurs, les meilleures conditions d'étude, les meilleures conditions de mobilité internationale et les meilleures conditions d'insertion professionnelle ?» » 

Richard Descoings

 

Pour garantir l'accessibilité, Sciences Po a choisi d'adopter des frais d'inscriptions progressifs.

 

«chacun paie en fonction du revenu du foyer fiscal auquel il appartient. Et la définition du foyer fiscal est celle des CROUS»

Richard Descoings

 

Ces frais seraient même nuls pour 60% de la population française.

 

En allant plus loin encore dans cette logique de marchandisation de l'enseignement, certains considèrent les études comme un investissement sur l'avenir. C'est la théorie du Capital Humain de Gary Becker(Human capital: A theoretical and empirical analysis, 1964), qui a valu un prix Nobel en 1992. Cette logique est à rapprochée de droits de scolarité proportionnels au coût de l'enseignement, avec la supposition implicite que plus un enseignement coûte cher, plus rémunérateurs sont les emplois auxquels il donne accès. C'est justement ce que propose Alain Trannoy:

 

«Je pense que ce qui serait bien, c’est que les étudiants paient entre 20% et 30% du coût de leurs études.»

 

Son principal argument est la responsabilisation des élèves au coût de leur formation, mais il justifie que ce choix ne trierait pas les étudiant suivant leur choix de carrière en se plaçant dans cette logique:

A la question:

«Est-ce que ça ne pénaliserait pas certaines formations, les formations qui coûtent le plus d’argent étant boudées par les élèves qui iraient vers les formations les moins coûteuses ?»

il répond:

 

«En général, les formations les plus coûteuses, c’est quand même les études d’ingénieur, les écoles de commerce (qui sont déjà privées, avec des droits d’inscription beaucoup plus élevés), et puis les études de droit (droit privée, avocat qui rapportent beaucoup), et les études de médecine. En général, il y a quand même peu d’études qui coûtent peu et rapportent beaucoup, donc en général il y a une adéquation entre le coût des études et ce que ça rapporte sur le marché du travail.»

 

Cependant cette représentation est critiquée par les défenseurs d'un enseignement supérieur gratuit.
Souvent pour des raisons idéologiques:

 

«j’ai la conviction que l’enseignement supérieur n’est pas uniquement un service personnel et individuel, mais bien le service de la société, d’une collectivité, à destination de tous. Et donc ce rapport individuel c’est à dire “moi j’ai pas fait d’études, donc j’ai moins à contribuer au service publique, ou même mes enfants d’ailleurs, j’ai moins à contribuer au financement du service publique, de l’enseignement supérieur.[...] ce lien un peu individualiste et quasi mercantile entre l'individu et le service de l’enseignement supérieur ne me paraît pas être une excellente chose»

Bruno Julliard

 

«Je pense que ça a des effets de transformation du rôle de l’enseignement supérieur en fait et d’individualisation très forte, c’est une logique à la Gary Becker, très Capital humain. Chacun a son capital humain, il a intérêt à investir dedans donc on peut lui demander de rembourser après en échange de cet investissement personnel. En général, ça détruit totalement l’effet social ou alors c’est, quelque part, dire “ en plus il y a un effet social ” donc ça peut justifier qu’il y ait quand même une dette de l’Etat ou une garantie de l’Etat ou quelque chose comme ça. Mais globalement, le point de vue principal, c’est le point de vue individuel.» 

Hugo Harari-Kermadec

 

Pour Marc Champesne, cette logique du capital humain est en contradiction avec la notion de service public :

 

« C'est un principe qui s'oppose pour moi à la notion de service public. C'est quelque chose qui bénéficie à l'ensemble de la société. Avec ce type de raisonnement on tend à changer le principe du service public. On individualise le coût en fonction des bénéfices que chaque personne individuellement va retirer de sa formation. On considère que l'ensemble des citoyens doit pouvoir bénéficier du service public dans son entier. C'est une question de principe. »

Marc Champesne

 

L'institut Montaigne ne propose pas quant à lui de grande réforme du financement. C'est à chaque université, en fonction de ses caractéristiques et de son environnement, que revient la tâche de fixer ses frais d'inscriptions.

 

«L’autonomie est une excellente chose mais il reste encore du chemin à parcourir. La boucle sera bouclée à partir du moment où les universités pourront réellement décider de leur carte de formation, de la composition de leur conseil d’administration, décider clairement de leur gouvernance et par conséquent des différents plafonds de frais de scolarité à mettre en place dans un cadre bien entendu défini par l’État mais il faut que l’université maîtrise ses choix. En effet, une pluralité de paramètres interviennent : sa localisation géographique, le bassin social dans lequel elle est plongée, le rendement des formations qu’elle dispense… Les montants des frais de scolarité doivent être fixés par les universités»

Angèle Malâtre, Institut Montaigne

 

Cependant l'Institut raisonne toujours dans une logique d'investissement personnel :

 

«Pour nous, la question n’est pas « par combien faut-il multiplier le montant des frais de scolarité », mais pour les établissements « qu’est-ce qu’on est en droit de demander à nos étudiants ? ». Chaque université fait face à ses profils d’étudiants, à son taux d’insertion professionnelle. Une université qui va proposer une formation en anthropologie ne peut pas demander des frais de scolarité aussi élevés que pour une formation en finance.»

Angèle Malâtre, Institut Montaigne

 

Mais les acteurs proposent différents systèmes d'aides pour compléter leurs propositions de droits de scolarité afin de garantir une accessibilité sans frontière financière. Nous identifions ainsi ici un autre sous-nœud de notre controverse.

 

Le Prêt À Remboursement Contingent (PARC) est un prêt fait à l'étudiant pour payer ses études que celui ci remboursera sans intérêt lorsqu'il commencera à travailler, si son salaire dépasse un salaire seuil. Ce système, utilisé en Australie et en Angleterre notamment, a beaucoup de soutiens parmi les économistes en faveur d'une augmentation des droits de scolarité. En effet, il reflète bien la logique du capital humain. L'université s'engage alors financièrement à la réussite de ses étudiants. Si ceux ci n'obtiennent pas un emploi avec un salaire minimum, ils ne payent pas leurs études.

Les avantages de ce système sont multiples:

C'est l'élève qui paye ses études et non plus sa famille ce qui empêche à des étudiants de renoncer à leurs études sous la pression familiale.

 

«C'est pas la famille qui va bénéficier du fait qu'avec un diplôme de Dauphine on fait pas la même suite qu'avec un diplôme de la fac de Meudon (qui n'existe pas), puisque la famille paye en amont. Si au lieu de faire payer la famille on fait payer le diplôme, mais lejour ou il peut payer i.e. après son diplôme, lui bénéficie très directement de la différence entre les diplômes et comprend pourquoi il y a des variations sur les droits de scolarité. Je conçois que la famille ne puisse pas comprendre pourquoi c'est comme ça. C'est vraiment un pari sur l'avenir, on me dit que Dauphine c'est mieux donc... […] Si on leur demande de sortir des milliers d'euros ils ne comprendront pas, parce que c'est pas a eux de payer, c'est au diplômé.»

 Nicolas Cheimanoff, Directeur des Etudes à Mines Paristech

Les étudiants les plus modestes pouvaient être frileux à l'idée de prendre un risque financier important, mais le système de PARC supprime le risque en responsabilisant l'université.

 

«Premièrement ça a pour avantage de rendre plus lisse dans le temps votre consommation parce que dans les bonnes années, votre consommation diminue, et dans les mauvaises années, vous n’êtes pas du tout touché. […] Le deuxième grand avantage pour les étudiants et pour ce qu’ils deviendront est la suppression du risque. Il n’y a pas de risque de défaut, l’État reste un emprunteur en dernier ressort.» 

Alain Trannoy

 

Les opposants au PARC, aussi opposés à une augmentation des frais d'inscription, considèrent que c'est dans l'intérêt de l'état d'avoir une population ayant fait des études supérieures. Les jeunes travailleurs ont plus intérêt à dépenser pour relancer l'économie plutôt que pour rembourser leurs prêts.

 

« franchement je préférerais que lorsque vous arriverez dans le monde du travail définitivement et que vous aurez votre salaire, je préfère très nettement que vous puissiez l’utiliser pour améliorer la croissance qui aujourd’hui est plutôt en berne plutôt que pour rembourser des intérêts à une banque. Ça me parait d’un point de vue économique quand même plus efficace. Donc il faut éviter d’augmenter les frais actuels, il s’agit de mon point de vue d’un endettement assez inutile, ce n’est pas le même endettement si vous achetez un bien, si vous investissez dans une entreprise, ça c’est autre chose.»

Bruno Julliard

 

« la société à tout intérêt à investir massivement dans ce qui demain pourra nous permettre d’être plutôt bien positionnés dans une mondialisation et une compétition exacerbée. On a besoin d’investir massivement dans la formation, la qualification et la diplomation des jeunes générations d’aujourd’hui. »

Bruno Julliard

 

Ici l'opposition porte sur le point de vue. Les défenseurs du PARC se placent du point de vue de l'étudiant, raisonnant sur les choix qu'ils feraient, pour trouver un système garantissant un accès à tous. Bruno Julliard lui se place du point de vue de la société et raisonne en fonction du bien commun.

Un autre acteur, moins en opposition que les précédents propose un autre système de paiement qui garantit le libre accès aux études supérieures. Hugo Harari Kermadec montre dans une étude que l'augmentation de frais d'inscription proposée par Alain Trannoy diminuerait l'accessibilité aux études supérieures. Il propose à la place un financement par un impôt indexé non seulement sur le salaire mais aussi sur le niveau d'étude. Ce système pensé plutôt dans un souci de justice (ceux qui font le plus d'études payent le plus) a une approche radicalement différente de la marchandisation des études supérieures. Inspiré du système des retraites il fait plus appel à la solidarité qu'à une relation client - fournisseur de service.

Les différentes propositions faites pour garantir l'accessibilité financière, allant de la gratuité totale à des prêts à remboursement contingent ou à un système comparable à celui des retraites montrent chacune une vision différente de l'enseignement supérieur, et de ses relations avec les étudiants. Les oppositions portant sur ce qui peut sembler des détails viennent en réalité de convictions plus profondes.

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