Les perspectives de la controverse

Nous rappelons ici la question source de notre controverse : les performances des cyclistes sont-elles humaines ? Nos recherches ont opposé beaucoup de personnes : des scientifiques, des entraineurs, des coureurs, des médecins, … qui ont des points de vue différents sur cette question. En effet, le fait de définir les « performances humaines » est controversé. Certains spécialistes comme Antoine Vayer développent des méthodes de calculs et ajustent des seuils. Grâce à ça, suite à une performance, si le résultat des calculs dépasse un seuil préalablement déterminé ils affirment que cette performance est inhumaine. D’autre part, un athlète peut ponctuellement réaliser une performance extraordinaire sans que ce soit un surhomme.

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Philippe Tastet/ www.philippetastet.com

Nos lectures nous ont naturellement orientés vers la question du dopage. Effectivement pour certaines personnes et Lance Armstrong lui-même l’affirme : le dopage permet d’expliquer des performances inhumaines. Ce dernier classe d’ailleurs parmi celles-ci le fait de remporter le Tour de France. Il y a différent type de dopage. Il y a bien sur le dopage médical qui améliore les performances physiques d’un individu mais il y a aujourd’hui l’apparition de dopage mécanique. En effet, le cyclisme admettant une composante technologique importante : le vélo. Celui d’un cycliste professionnel est étudié et constamment amélioré pour permettre une meilleure efficacité. Efficacité qui peut être facilement augmentée par la mise en place de petits moteurs par exemple. Les auteurs sont globalement d’accord pour dire que le dopage permet d’améliorer significativement les performances d’un coureur. Cependant, les agences anti-dopage sont aujourd’hui très performantes et leur travail ont permis une diminution du dopage. Une deuxième question se pose alors : ont-t-elles permis l’éradication du dopage dans le milieu du cyclisme ? Une réponse positive soutiendrait la thèse que les cyclistes réalisent des performances humaines et inversement. Nous pouvons voir que sur cette question les positions des auteurs divergent. Une fois encore, selon Antoine Vayer le dopage est aujourd’hui omniprésent chez les coureurs. D’autres, à l’instar de Jean Paul Ollivier, sont plus optimistes et trouvent qu’il y a depuis quinze ans une réelle diminution du dopage.

Toutefois, certains spécialistes du cyclisme, qu’ils soient journalistes, coureurs, médecins ont un point de vue assez différent de la majorité sur le dopage. En effet si celui-ci est unanimement condamné dans les médias et l’opinion publique; s’il semble être la plus grande honte et le plus grand pêché que peut faire un sportif, d’autres essaient d’apporter une vision plus tolérante de la pratique dopante.

Maintenant les arguments mis en avant par les acteurs « pro-dopage » varient considérablement. Celui qui revient le plus souvent est le suivant, les laboratoires de dépistage auront toujours un temps de retard sur les équipes car il faut toujours qu’ils découvrent les nouveaux produit mis au point ou les nouvelles méthodes conçues pour ne pas être attrapé, comme le dopage par micro-doses. Les professionnels de la lutte anti-dopage diront alors que les contrôles ne sont qu’une partie de cette lutte mais que le vrai travail contre le dopage réside dans l’éducation des jeunes coureurs, si on les convainc que le dopage est une mauvaise habitude celui-ci disparaîtra progressivement du peloton.

Cependant lors de notre interview avec Christophe Bassons; bien qu’il ne soit absolument pas pro-dopage et participe activement à la lutte contre ; celui-ci nous a expliqué qu’il comprenait parfaitement certains coureurs qui, vivant dans la misère dans leur pays, voient dans le dopage une possibilité de devenir riche et célèbre et d’en faire profiter leur famille. Il cite notamment l’exemple d’Alexandre Vinokourov qui vient du Kazakhstan et qui vit aujourd’hui à Monaco, et a entamé une carrière politique dans son pays natal où il est un héros national bien qu’il ait été confronté à de multiples scandales de dopage durant sa carrière. Comment la simple éducation peut-elle empêcher quelqu’un de se doper alors qu’il voit dans le dopage une façon de survivre ?

Selon Romain Glassey, les progrès en médecine sont inévitables dans tous les sports: or où est la limite entre la médecine du sport et le dopage ? Par exemple utiliser du placenta de cheval pour soigner les blessures musculaires, comme le faisait l’ancien médecin du Bayern Munich est-il vraiment une pratique moins dopante que l’utilisation d’EPO ? Pour lui le seul moyen d’être sur que tous les sportifs ne soient pas dopés et soient tous propres, c’est de les enfermer 6 mois avant la compétition et de leur fournir une préparation unique, et c’est évidemment impossible. Même aux fléchettes les meilleurs joueurs prennent des bêtabloquants explique Glassey; avant les compétitions de skateboard quasiment tous les skaters consomment du cannabis, ce qui peut aussi être assimilé à une pratique dopante…

Alors certes, les plus engagés dans la lutte anti-dopage diront que lutter contre le dopage c’est protéger la santé des coureurs, cependant les exemples récents montrent que les coureurs se dopent dans tous les cas. Mais Glassey s’interroge: quel sportif de haut niveau finit réellement sa carrière en bonne santé alors que tous sont confrontés à l’utilisation de produits pour améliorer leurs performances, et même s’ils sont légaux cela a forcément un impact sur leur organisme. Un dopage légalisé réglementé et encadré par des médecins ne serait-il pas plus sûr pour les coureurs, qui ont parfois recours aux méthodes extrêmes pour améliorer leurs performances comme l’autotransfusion (qui a failli coûter la vie à Riccardo Ricco).

Cette problématique est très proche de celle portant sur la légalisation du cannabis, certains pensent que légaliser une substance illégale ne peut qu’amener plus d’excès, d’autres pensent qu’au contraire cela permettra d’encadrer leurs usages. Mais dans la compétition sportive il y aussi le problème de la triche qui se pose, et la légalisation du dopage le réglerait. Il y aurait certainement des équipes avec de meilleurs produits, mais aujourd’hui déjà, certaines ont de meilleurs vélos et comme le dit Romain Glassey, ça ne choque personne qu’en F1 certains aient de meilleures voitures.

Enfin, mettons en lumière le fait que certains chercheurs semblent arriver à la conclusion que nous sommes aux prémices d’une période où les athlètes faisant des compétitions internationales auraient atteint un tel degré de perfection dans leur entrainement et façon de vivre que le niveau des performances physiques s’approchera d’un seuil de stagnation. Selon cette idée il nous resterait à attendre pour voir la progression des coureurs et déterminer si effectivement le niveau de leurs performances concorde avec les attentes de ces scientifiques. Remettant en question la notion de dépassement perpétuel, ces modèles dont la crédibilité reste et restera discutable apporteront peut être une preuve de l’assistance médicalisée que peuvent subir certains coureurs. Toutefois, adopter cette vision impose de laisser notre âme d’enfant de côté, d’abandonner l’idée que l’extraordinaire est possible, de se persuader que l’extraordinaire est « extrahumain » et donc renier en partie les principes fondamentaux du sport ramenés par feu le Baron Pierre de Coubertin. Une réponse unique n’existe donc pas, il ne reste qu’un choix : croire en la beauté du sport, du toujours plus loin, toujours plus haut, ou porter un regard lucide sur ses avancées, conscient que l’histoire récente du sport appelle malheureusement à un devoir de réflexion et de remise en cause perpétuelle.

Source:

 Physiologie et Méthodologie de l’Entrainement: De la théorie à la pratique, Véronique Billat, 2003

http://www.lemonde.fr/tour-de-france/article/2015/07/08/en-20-ans-48-coureurs-inhumains-par-antoine-vayer_4675127_1616918.html

http://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/transports/20160201.OBS3774/cyclisme-premier-cas-de-dopage-mecanique.html