Les calculs scientifiques : un moyen crédible d’évaluer la performance ?

Dès lors que la notion de dopage est apparue dans le cyclisme, une chasse aux sorcières s’est mise en place : il fallait trouver les coureurs qui usaient de produits illicites pour gagner. L’option première est bien sûr le flagrant délit : analyses d’urine ou sanguines ont ainsi trahi bon nombre de coureurs. Mais la technologie de détection ayant toujours un temps de retard sur les méthodes de dopage, d’autres ont cherché à quantifier mathématiquement et non plus chimiquement la performance des coureurs. En leur appliquant les lois les plus élémentaires de la mécanique, certains scientifiques ont, dans un but de dédouaner, d’accuser ou simplement d’informer, établi des formules capables d’expliciter la puissance développée par un coureur lors d’une ascension : c’est la fameuse utilisation des « Watts ».

Deux philosophies s’affrontent encore à ce stade : l’expérience ou la théorie. De manière plus explicite, il est possible de calculer la puissance via un appareil de mesure placé sur le vélo, c’est alors une mesure par l’expérience ; ou bien, on peut également mesurer cette puissance développée de manière indirecte, par la simple utilisation des temps d’ascensions et en connaissant la topographie de l’ascension.

SRM
Un capteur SRM  (www.racycles.com)

Dans le premier cas, les capteurs SRM se sont très largement imposés dans le peloton international. Bien que plutôt couteux (de l’ordre de 3000€), ces capteurs allemands ont fait preuve d’une très grande fiabilité et sont aujourd’hui unanimement reconnus comme des très bons outils de mesures de la puissance développée. Ainsi, les comptes rendus de performance livrés par SKY sont critiqués car l’équipe britannique n’utilise pas cette marque de capteurs, pourtant utilisée par toutes les autres équipes. Cette démarche est ainsi perçue comme une volonté de brouiller les pistes, de ne pas donner de résultats précis afin de protéger les coureurs de l’équipe anglaise.

Toutefois, il convient d’être prudent : ces capteurs doivent être calibrés afin de pouvoir rendre correctement compte d’un effort, et quand bien même ils le sont correctement, les résultats peuvent être aisément modifiés (le plus souvent revus à la baisse dans le but de protéger les coureurs). Il n’est donc possible de croire un communiqué d’une équipe que si un organisme indépendant a assisté au calibrage et à l’analyse des données, ce qui n’est en réalité jamais le cas. Frédéric Portoleau, que nous avons interviewé, nous expliquait ainsi que la Movistar en 2013 et la BMC en 2014 publiaient des résultats pour respectivement Nairo Quintana et Tejay Van Garderen jugés aberrants car d’une part indignes de leur statut de leader et d’autre part ne reflétant pas la qualité de leur course sur les épreuves en questions. Ces résultats sont donc surtout utilisés en interne afin de rendre compte de l’évolution des coureurs au fil des saisons et des années.

En parallèle de ces méthodes directes de mesures, il est possible d’évaluer la puissance développée par des méthodes de calculs indirectes. L’une des premières méthodes fut développée par le médecin et scientifique Michele Ferrari. Elle consistait à linéariser le problème en considérant que le coureur parcourait une pente régulière d’un point A à une altitude x à un point B à une altitude x+h avec une vitesse calculée par l’intermédiaire de son temps d’ascension. D’une part, son modèle était bien trop simpliste et uniquement valable pour des coureurs dans une certaine tranche de poids (les constantes inhérentes aux modèles étant déterminées pour cette tranche de poids) et ne pouvait donc pas être généralisable. De plus, le nom de Michele Ferrari étant malheureusement bien trop entaché par les divers scandales liés au dopage de ces dernières années, il est difficile de croire en la justesse de ses travaux, la manipulation médiatique, résultats scientifiques à l’appui, étant en effet courante dans ce sport.

Des méthodes plus poussées se sont ensuite développées. Nous nous sommes intéressés à celle développée par Frédéric Portoleau, car très détaillée. De manière simple, la puissance est calculée à partir de la formule :Formule Puissance Mécanique

où ρ est la densité de l’air, V la vitesse, Scx la surface projetée, Cr le coefficient de roulement et α la pente. L’idée de cette méthode est de considérer 3 puissances issues de 3 forces : la force de trainée, les frottements liés au contact Roue/Route et enfin le poids. La puissance est ensuite calculée sur toute la montée par intégration, les coefficients α et Cr étant de ce fait variables au cours de l’ascension. Frédéric Portoleau s’est ainsi appuyé sur des cartes IGN puis des données satellites pour déterminer l’inclinaison α et la vitesse. De même, il étudie sommairement la qualité de la route afin de déterminer la valeur du coefficient de roulement, l’état de la chaussée variant d’un col à l’autre et parfois au sein du même col.

ChronoWatts
Le classement des coureurs par puissance selon Antoine Vayer et Frédéric Portoleau.    Source: ChronoWatts.com

Afin de pouvoir comparer les coureurs entre eux, Frédéric Portoleau a mis en place un calcul basé sur le Watt Etalon. Une explication s’impose : il est impossible de comparer la puissance de deux coureurs telle quelle. En effet, un coureur comme Miguel Indurain (quasiment 80kg) développera quoiqu’il arrive une puissance supérieure à celle d’un poids plume comme Nairo Quintana (58kg) sur une même ascension. Le calcul de Frédéric Portoleau nécessitant la masse du coureur, parfois tabou voire tout simplement fluctuant au sein d’une même étape ! De ce fait, M Portoleau a pris l’habitude d’effectuer ces calculs pour une masse donnée (78kg par exemple) afin de pouvoir réellement comparer la puissance de tous ces coureurs. Cette méthode apporte un degré de précision supplémentaire en comparaison au rapport poids/puissance car calculer ce rapport nécessite une bonne connaissance de la masse pour ensuite effectuer la division avec la puissance calculée, et comme expliqué précédemment, ce n’est pas toujours le cas.

Ces mesures sont toutefois entachées d’incertitudes, inhérentes à tout modèle théorique. M Portoleau prétend avoir à de nombreuses reprises comparé ses valeurs calculées avec celles fournies par son propre capteur SRM, et que la corrélation était très bonne.

Qu’importe la manière, le modèle, les puissances développées sont aujourd’hui avancées comme un argument irréfutable attestant de la performance d’un coureur. Toutefois, cet argumentaire est souvent adressé à un public très peu familier, qui ne le comprend pas et qui fait donc à défaut confiance en son concepteur. La manipulation, outil scientifique à l’appui, est donc très aisée et à redouter, bien qu’il serait regrettable de se passer de ce précieux outil de mesure, qui, correctement utilisé, rend effectivement bien compte de la performance des cyclistes.

 Source:

La Preuve par 21, Antoine Vayer & Frederic Portoleau

Entretien avec Frédéric Portoleau et entretien de Frédéric Portoleau sur le site Chronowatts.com (http://www.chronoswatts.com/news/74/EntetienFPPartie1)

http://www.lemonde.fr/sport/article/2013/07/19/pour-tout-comprendre-sur-le-calcul-des-watts_3450148_3242.html

Puissance et performance en cyclisme, Frédéric Grappe