Entretien avec Jean Paul Ollivier

JPO
Journal de Vitré

Jean Paul Ollivier, historien du Tour, dit Paulo La Science. En 2015, il a couvert médiatiquement son 41 ème Tour de France, son premier à Radio France (Bleu et Info) après 40 ans passés à France TV.

 

Eddy Merckx était capable de gagner tous les maillots du Tour de France, pourquoi ne peut-on plus le faire aujourd’hui ?

Auparavant, les coureurs faisaient tout : Paris Nice, les classiques Ardennaises, Paris-Roubaix, les Grands Tours. Et certains d’entre eux pouvaient prétendre gagner sur tous les terrains. Aujourd’hui cela a changé, les sponsors souhaitent surtout des victoires sur le Tour de France car c’est de loin la course la plus populaire et médiatisée. Toutes les équipes désirent donc s’illustrer sur cette course en particulier, c’est donc plus compliqué de dominer outrageusement comme Merckx ou d’autres l’ont fait par le passé.

 

Certains coureurs ont exprimé un malaise important quant aux performances des récents vainqueurs du tour et notamment Froome. Et vous ?

Je ne suis pas d’accord avec ça. De gros contrôles sont fait maintenant, et Froome est exceptionnel, c’est un très grand coureur. Il ne faut pas systématiquement stigmatiser les performances, sinon dès qu’il y a un grand champion, on peut lui dire de rentrer chez lui.


Justement, sur le Tour 2015, Froome a été critiquée de manière très virulente par le public et les journalistes. Ces critiques sont-elles légitimes ?

Je n’ai pas compris, que pouvait-on lui reprocher ?.. D’être fort ? Ça a été très violent et totalement injuste.

 

On remet rapidement en question le champion. Les gens ont-ils une défiance, le Tour est il encore populaire ?

Les gens ne veulent pas entendre parler de dopage, ils ne le connaissent pas. Ils sont derrière leur télévision, observent des gens pédaler, et ils ne comprennent pas qu’on puisse prendre des substances. La presse stigmatise le dopage : s’il y a un cas, la presse en fait des tonnes, ne relate plus la course. Les gens se moquent du dopage, ils veulent croire en leurs coureurs favoris. Il n’y a jamais eu autant de monde sur les routes du Tour, c’est une grande fête populaire.

Avant, l’équipement était beaucoup plus rudimentaire. Les avancées technologiques sont-elles nécessaires pour le spectacle, ou alors creusent elles les inégalités ?

A partir du moment où une équipe est sur le Tour, elle doit avoir le matériel pour assurer la performance. C’est à elles de tout mettre en place pour que leurs coureurs puissent réaliser les meilleures performances possibles.

 

Les calculs de puissance pour mesurer la puissance : une bonne chose ?

Ce sont des paramètres qui peuvent aider à la santé des coureurs. Ce qui me dérange davantage, c’est l’extrapolation que certaines personnes en font : connaît-on vraiment les limites du corps humain ?

 

On constate une explosion des puissances dans les années 1990, notamment Pantani, avec ses 3 ascensions de l’Alpe d’Huez. Y avait-il un malaise à l’époque, devant des performances vraiment trop impressionnantes ?

Merckx aussi était impressionnant. Après on a eu la spécialisation : Pantani, contrairement à Merckx, était un pur grimpeur.

 

La méthode de pédalage de Indurain est particulière, et celle de Froome : particulière ?

Non, Armstrong avait le même pédalage. C’est un profil d’athlète.

 

Une comparaison à Armstrong, est-ce bien raisonnable ?

Armstrong était un athlète, il savait souffrir. C’était un bel athlète, un beau coureur. C’est franchement dommage : il a joué, il a perdu.

 

Est-ce une bonne chose de l’avoir rayer du palmarès ?

Ce qu’il a fait est très grave, c’est un dopage organisé, c’est un peu comme l’affaire Festina. C’est un problème très complexe. Je suis très partagé… Quelque part, il fallait le faire, il fallait un exemple. Certes il s’est chargé, mais il a entraîné toute son équipe, et puis il y avait une omerta. Il y a un côté moral dans cette affaire : une telle tricherie manifeste mérite une punition sévère. Quand on lui enlève ses 7 Tours, il faut aussi rendre hommage à tous ceux qui se sont battus derrière lui.

 

On parle de l’UCI qui aurait couvert son dopage, est-ce crédible ?

Il faut le prouver… D’autres que moi peuvent le prouver. Des livres montrent effectivement qu’il y avait connivence. Armstrong leur avait payé un système de contrôle. Non seulement il se mettait l’UCI dans la poche, mais il savait qu’il ne serait pas contrôlé positif.

Le problème, c’est que le dopage coûte cher. Au début, il y avait les amphétamines. Et puis les coureurs sont passés à autre chose (corticoïdes) puis encore autre chose. Non seulement cela coûte très cher, mais en plus ils ont toujours un temps d’avance…

 

Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’AICAR…

Oui c’est vrai on parle d’une molécule. Mais je ne la connais pas. Quand vous regardez la liste des produits interdits, vous vous dites « mince qu’est-ce que je vais prendre pour soigner mon rhume ». C’est vrai que c’est dur, les coureurs ont aussi beaucoup joué avec ça… Mais il ne faut pas exagérer, tout le peloton n’est pas chargé non plus.

 

1996-2007 : tous les vainqueurs du Tour ont été dopés, aujourd’hui, voit-on des facteurs d’amélioration ?

Depuis une dizaine d’années, les choses se sont améliorées dans ce domaine. Après, il n’y a pas de différence physique entre les athlètes.

 

Le dopage mécanique, crédible ?

On n’a jamais trouvé un vélo truqué. Après, on peut dire que Cancellara ne laissait jamais son vélo à personne, on est en train de se faire une image suspicieuse. Le pire, c’est que même quand on pouvait contrôler son vélo, il gagnait quand même ! Personne n’a jamais été attrapé…

 

 Certaines années, il était notoirement connu que l’EPO circulait, aviez-vous des doutes ?

Oui il y avait des doutes mais on ne pouvait jamais rien prouver. Je n’ai jamais eu de coureur qui venait me dire : oui je suis chargé. Et même si j’avais une info, je ne pouvais pas la distiller dans la presse, on risquait la correctionnelle.

Un jour sur le Tour de Lombardie, j’interviewais deux coureurs de chez Festina dans leur chambre d’Hôtel. Et le soigneur de l’équipe, Willy Voet, est rentré dans la chambre sans me voir. Il a alors soulevé une serviette et en dessous : des seringues. Il est évident que ces seringues, ce n’était pas pour aller à la chasse au papillon. Mais supposez que j’aille raconter ça, aussi tôt c’était le procès. Tout le monde se taisait, personne ne voulait en parler.

 

L’affaire Festina justement, comment l’avez-vous vécu ?

Comme un grand séisme. On se dit : « Le Tour de France perd son âme dès le départ ». On a traîné cette affaire jusqu’à la 7-8ème étape… Il y a alors eu des contrôles renforcés, des drames (l’équipe TVM a dû quitter le Tour), des grèves (Jalabert : « on nous traite comme du bétail »). Le Tour a été pourri par cette affaire. Je souffrais pour JM Leblanc, il devait ne pas dormir toutes les nuits.

Et finalement c’est Pantani qui a gagné, qui n’était pas à l’eau minérale non plus. J’étais là aussi quand il a été pris en 1999 en Italie. J’étais venu l’interviewer. Le Giro ne comptait plus, les Italiens qui perdaient Pantani , c’était « Massacre à la Tronçonneuse ». Il est revenu l’année suivante, a gagné des étapes, mais le ressort était cassé.

 

Pensez-vous que l’on ne devrait pas permettre le retour des coureurs contrôlés positifs comme Contador ?

Des gars qui se sont dopés, quand ils reviennent, ils savent qu’ils ne peuvent plus se doper parce que sinon ils risquent l’exclusion à vie. D’ailleurs, quand ils reviennent et qu’ils font gaffe, ils gagnent encore… C’est la preuve que le dopage n’est pas très efficace sur eux.

 

Du coup, les anciens dopés sont crédibles pour vous ?

On s’interroge… Ils gagnent encore même après… C’est un cercle sans fin…


On a quand même de tristes images qui en découlent, la victoire de Liège-Bastogne-Liège de Vinokourov sous les sifflets…

Des gars comme lui devraient être radiés à vie, ils gardent les vieux réflexes.

 

Virenque disait aussi que quand on avait utilisé des produits dopants, on ne pouvait plus s’en passer…

C’est psychologique.

 

Des gens comme Antoine Vayer, héraut de l’antidopage qui s’appuie sur des calculs scientifiques, n’en font-ils pas trop eux aussi ?

Oui ils en font trop. Un coureur, ou il est dopé ou il n’est pas dopé. Qu’on n’aille pas jeter la suspicion pour le plaisir de faire parler : Vayer, il en a fait son fonds de commerce. Et pourtant, il a rien prouvé du tout. Je n’aime pas du tout sa façon de faire, je pense qu’il doit y avoir d’autres moyens, on n’a pas encore sondé les limites du corps humain.

On a toujours eu des athlètes au-dessus des autres, c’est ça le sport, la compétition et on dirait qu’on a un problème avec ça.

 

Les gens quand ils se dopent, c’est pour la soif de victoire ou par pression populaire ?

Ils ont surtout envie de gagner.

 

Dans le cyclisme amateur, l’aide médicalisée à la performance existe déjà, ne faut-il pas commencer par là.

Si, il faut commencer par là. Ils veulent faire comme leurs ainés.

 

Se focalise-t-on trop sur le cyclisme par rapport aux autres sports ?

Le dopage est une pratique courante partout, on le voit partout aujourd’hui, en athlétisme, au Tennis. Mais il fallait le courage pour imposer des mesures, il n’y en a pas eu dans les autres sports. Dans le vélo au moins, on a été courageux même si on avait toujours un temps de retard.

 

Est-il possible d’établir un critère d’humanité de la performance ?

Ça, on le prouve de manière permanente. Froome, c’est LA performance à l’échelle humaine. C’est la presse qui va ensuite venir le critiquer. Je pense qu’on peut avoir des performances propres, avec de grands et beaux athlètes.

 

Guillaume Delas et Alexandre Himmelein

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