Stéphane Huby est le webmaster d’un autre site internet traitant du cyclisme, intitulé cyclisme-dopage.com, qui rassemble notamment un nombre impressionnant d’articles de presse relatant les différentes affaires de dopage qui ont émaillé le monde du cyclisme.
Comment et pourquoi avoir lancé ce site ? (NDLR : cyclisme-dopage.com)
Lorsque j’étais jeune, j’étais passionné de vélo et de sport en général. Cependant le cas Ben Jonhson et l’affaire Festina m’ont bien refroidi et un jour que je discutais avec une amie au sujet du dopage dans le cyclisme, je me suis mis à écrire sur un papier des noms de coureurs dopés. Puis j’ai décidé de poursuivre mes recherches et je me suis rendu compte que les « journalistes se foutaient de notre gueule ». J’ai donc commencé cette liste pour moi, puis je me suis dit au moment des débuts d’internet : pourquoi ne pas la mettre en ligne ?
Mon but était de donner un autre point de vue que celui des journalistes sportifs qui, pour l’essentiel, sont des passionnés et n’ont pas un regard critique sur les événements et n’osent pas créer la polémique en dénonçant l’hypocrisie qui règne dans le cyclisme.
En tant que spectateur du vélo, arrivez-vous à avoir une certaine admiration pour les coureurs actuels ?
Non je ne suis pas en admiration du tout devant les coureurs, ou alors j’ai de l’admiration pour celui qui fait 150ème et qu’on ne connaît pas. Par exemple Froome je n’admire pas…
Comment analysez-vous les performances de Froome dans le TDF 2013 et 2015 ?
Ça rappelle la façon de courir d’Armstrong : une équipe très forte qui impose un rythme soutenu avant les cols, deux ou trois équipiers qui font le train pendant la montée puis Froome à la fin… Franchement ça ne fait pas rêver…
Vous dites que ça ne fait pas rêver, pourquoi?
Ilest trop fort et surtout pas naturellement.
Pourquoi avez-vous de tels soupçons ?
Ce n’est pas possible que toute une équipe puisse avoir un tel niveau. Ce sont des choses qui se sont vues seulement avec l’US Postal d’ Armstrong. Cela est d’autant plus louche, car il s’agit pour certains de mecs connus pour être bons sur la piste et pas du tout en montagne.
Froome est souvent moins impressionnant en 3ème semaine de grands tours: faiblesse ou mise en scène ?
Il y a un peu des deux : un peu de mise en scène, il gère les watts car il sait qu’il est épié par des spécialistes et un peu de faiblesse aussi. En effet l’écart entre dopés et non dopés se réduit depuis quelques années car on ne peut plus prendre les mêmes doses qu’avant sans se faire contrôler positif. Cela rend donc la fin de grands tours plus difficile à gérer.
Pensez-vous qu’un cycliste non dopé à vocation à finir dans le gruppetto ?
Non je pense que l’on peut tout de même réaliser de belles performances sans se doper mais pas gagner le Tour de France. J’ai par exemple la faiblesse de croire qu’un JC Péraud est propre, on peut donc aller haut en étant propre. Par contre un ne peut pas encore gagner le Tour sans se doper
Pensez-vous que ce sera un jour possible ?
Non je pense que c’est peine perdue : il y a eu l’affaire Festina, Armstrong et aujourd’hui il y a toujours du dopage. Je pense que le dopage a beaucoup régressé mais je ne vois pas pourquoi ni comment il disparaîtrait.
Le cyclisme est-il plutôt le bon élève qui effectue des contrôles réguliers ou le mauvais élève car sport où tout le monde est dopé ?
C’est le bon élève car des choses ont été faites pour endiguer le dopage, mais c’est en un sens le mauvais élève car il y a une vraie culture du dopage dans le vélo. Dès les prémices (années 20-30), les cyclistes avaient déjà besoin d’un truc en plus pour aller mieux. Chez les jeunes, certains prennent déjà du Guronzan en cadet pour gagner la course du village. C’est une spécificité du cyclisme que l’on ne retrouve pas dans d’autres sports.
A ce titre, on trouve encore aujourd’hui dans le cyclisme professionnel des manager sulfureux. Pensez que se repentir est suffisant pour avoir le droit d’exercer des responsabilités dans le cyclisme ?
Ça devrait pouvoir être suffisant à condition que se soit un vrai repentir. Cependant certains ont avoué mais ont continué à organiser le dopage dans leurs équipes. A un moment donné, ces mecs il faut les virer !
L’équipe Sky tente de mettre en place une politique de transparence : est-ce un effort louable ou un écran de fumée ?
C’est complètement un écran de fumée. Ils se sont présentés comme propres mais ils ont engagé l’ancien docteur sulfureux de la Rabobank. Les watts qu’ils ont publiés cet été, ce sont les watts qu’ils ont voulus publier : c’est invérifiable. Ils utilisent en plus un capteur qui n’est pas le capteur référence, il utilise une autre marque supposée moins fiable. S’il y avait une réelle volonté de transparence, ils laisseraient des gens indépendants mesurer les performances de Froome alors que eux ils mesurent et publient ce qu’ils veulent.
Si on prend comme indicateur les temps d’ascension, on remarque que ceux de Froome sont moins impressionnants que ceux de Pantani ou Armstrong par exemple ?
En effet, le dopage a reculé. Il n’y a plus les cures d’ EPO du temps d’ Armstrong. On est passé sur des trucs plus insidieux : des micro-dosages… Cependant il suffit parfois de gagner 1% sur ses performances pour remporter le Tour de France. Donc même un dopage plus raisonné suffit pour passer sur le devant de la scène.
Quelle est la limite entre produit dopant et aide médicalisée tolérée ?
C’est très compliqué à définir, de nombreux coureurs exercent leur sport proprement au sens juridique mais se bourrent de cachets autorisés comme le tramadol. Certes ce ne sont pas des produits lourds mais les coureurs les prennent exactement pour les mêmes raisons que ceux qui se dopent. Aujourd’hui il y a des coureurs en pleine santé qui prennent 25 cachets par jour qui sont autorisés. Finalement il existe une liste publiée par l’ UCI qui fixe les produits interdits et ceux qui sont autorisés, mais cette liste évolue tous les ans…
Comment peut-on objectivement affirmer qu’une performance est humaine ou non ?
Aujourd’hui les performances se situent à la limite entre performances humaines et miraculeuses, pour reprendre le référentiel d’Antoine Vayer. Il faut alors analyser le profil du coureur, a-t-il eu des résultats depuis longtemps ? Dans quelle équipe évolue-t-il ? Quand on voit Froome, qui arrive d’on ne se sait où en Afrique du Sud et qui explose en 2012 : il n’est pas possible de croire en sa bonne fois. Il ne faut pas oublier que le niveau est très élevé, aujourd’hui on ne peut pas envisager qu’un coureur soit 10% au-dessus des autres.
Le dopage mécanique vous semble-t-il crédible ?
Pour Froome au Mont Ventoux 2013 : ça expliquerait l’accélération foudroyante sans que les pulsations ne montent. Les cadres ont déjà été utilisés par des équipes à l’entraînement. Quand on voit qu’ils ont tout tenté en matière de dopage, pourquoi se limiteraient-ils à une utilisation des moteurs à l’entraînement ?
Pensez vous que les progrès technologiques créé de gros déséquilibre au sein du peloton entre équipe à gros budget et équipe plus « pauvre » ?
C’est quand même les coureurs qui pédalent ! Je ne connais aucun coureur qui ait déclaré avoir gagner le tour de France grâce à son vélo. Même les équipes moins riches ont des bons vélos et puis il y a un poids minimum pour les vélos qui permet de limiter les inégalités à ce niveau-là.
« Il est devenu impossible de faire respecter les règles, nous n’avons plus le choix il faut créer des jeux olympiques où l’usage des drogues serait permis, ce serait plus équitable » Que pensez-vous de la légalisation du dopage ?
Tout le monde parle de légaliser le dopage ; pour moi le problème est posé complètement de travers, la question est plutôt : « faut-il rendre le dopage obligatoire ? ». Parce que si demain on légalise le dopage, c’est clair, on ne pourra plus rien faire sans se doper. Il n’y aura plus aucun espoir de gagner la moindre course sans se doper. Si on veut qu’un jeune puisse faire carrière dans le cyclisme : on devra lui dire « mon petit gars tu es obligé de doper. ». Quelle société est capable d’imposer cela ? J’espère que l’on n’est pas dans une société comme ça, sinon c’est à désespérer de tout. On est pour cela obligé de continuer à lutter ou alors on oublie la notion de sport : cela devient un spectacle. Soit on dit il n’y a plus de notion de sport, c’est un spectacle et chacun fait ce qu’il veut, soit on conserve la notion de sport et on ne peut pas légaliser le dopage.
Guillaume DELAS, Alexandre HIMMELEIN