Entretien avec Christophe Bassons

Christophe Bassons est un ancien coureur professionnel. Membre de l’équipe Festina pendant l’affaire, il abandonne sur les routes du Tour l’année suivante devant la pression du peloton, lui qui était entre-temps devenu le coureur propre par excellence au sein de ce dernier. Il est aujourd’hui Conseiller Interrégional pour la Lutte Antidopage.

CB
© PHOTO STEPHANE LARTIGUE

 

Comment avez-vous réussi à résister à la tentation du dopage lorsque vous étiez chez Festina ?

J’ai d’entrée refusé tous les produits que l’on me proposait. Ça va paraître étonnant mais c’est peut-être la peur de perdre qui m’a dissuadé de me doper. En effet, en tant que non dopé je me sentais fier de rivaliser avec les coureurs dopés : j’étais le meilleur cycliste non dopé. En revanche, si je m’étais dopé, aurais-je été meilleur que les autres dopés ?

Comment étaient vos relations avec vos coéquipiers ?

Au début j’étais bien intégré, mais on m’a rapidement reproché de ne pas faire rentrer d’argent dans la caisse en restant propre. Mes relations avec mes coéquipiers se sont tendues davantage lorsque j’ai commencé à dénoncer le dopage.

Sentiez-vous que le dopage était omniprésent dans le cyclisme ?

Je voyais clairement que je n’étais pas à ma place, avant l’affaire Festina : se doper faisait partie de la vie de coureur cycliste, il y avait une vraie culture du dopage, on n’imaginait même pas pouvoir être cycliste professionnel sans se doper.

Comment les coureurs faisaient pour ne pas être contrôlés positifs ?

Ça faisait partie du rôle du médecin : il était recruté pour ça. Les coureurs savaient parfaitement utiliser les produits pour les rendre indétectables. Ils connaissaient les techniques d’élimination : il savait que si leur taux d’hématocrite était trop élevé, il suffisait de se faire une perfusion d’eau glucosée pour ne pas être pris au contrôle antidopage. Les protocoles étaient clairs, il n’y avait aucune inquiétude en fait : les médecins géraient cela à la perfection.

Vous dites que vous avez fini par recevoir des pressions de la part de votre équipe ?

En effet, des pressions il y en a de multiples : au moment de signer mon contrat on m’a proposé deux possibilités : un contrat à 4500 euros par mois (sans dopage) et un à 45000 euros (avec dopage) ; lorsque j’arrivais au repas on me disait que j’étais pale et pas en bonne santé : tout cela était insidieux mais bien réel et pesant.

Par rapport à vos coéquipiers dopés, ressentiez-vous une véritable différence au niveau des performances ?

C’est évident, pendant la préparation hivernale j’avais les meilleurs tests de performance et arrivé le mois de mai, je voyais mes coéquipiers me dépasser un à un et j’avais beaucoup de mal à suivre.

Vous êtes cependant la preuve qu’il est possible de terminer le Tour de France sans se doper…

Bien sûr, ce qui n’est pas normal c’est la vitesse à laquelle les meilleurs le terminent. Ce qui paraîtrait normal serait de commencer le tour à 44-42 km/h et de le terminer à 37-38 km/h, or le vainqueur du Tour termine le tour plus vite qu’il ne le commence !

Aviez-vous vraiment le sentiment d’être le seul coureur propre dans le peloton ?

Je ne savais pas, je n’avais pas le sentiment d’être le seul propre : j’avais surtout l’impression d’être le seul sacrifié dans cette affaire. J’ai sacrifié ma carrière en disant la vérité sur les pratiques dopantes, plus personne ne me parlait : j’aurais aimé être accompagné par d’autres car je suis persuadé que des coureurs qui ne se dopaient pas, il y en avait d’autres sur le Tour. On a eu une opportunité de faire changer le milieu mais personne d’autre n’a osé sortir du rang.

Le dopage est très médiatisé dans le cyclisme pourquoi ?

Le dopage fait partie de la culture cycliste. Honnêtement, si j’avais voulu préserver ma santé physique quand j’étais coureur je me serais dopé car les efforts à fournir dans le cyclisme moderne sont vraiment éreintants voire même dangereux pour l’organisme. Le dopage m’aurait certainement aidé à mieux récupérer…

On a l’impression que le dopage revient de manière cyclique, peut-on vraiment éradiquer le dopage ?

C’est vrai que l’histoire se répète : il y a eu Festina, l’affaire Armstrong et maintenant des soupçons autour de l’équipe SKY. Peut-être que dans dix ans on apprendra que telle ou telle équipe était dopée, mais aujourd’hui je ne peux pas accuser sans preuve. Il est vrai cependant que certaines équipes m’inquiètent et éveillent ma suspicion.

Quel est votre rôle dans la lutte antidopage ?

Je suis actuellement Conseiller Interrégional Antidopage, j’ai une double mission : je mets en place les contrôles antidopage en Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes, je suis également chargé d’animer la commission régionale de lutte contre le trafic de produits dopants. Je suis officier de police judiciaire et je travaille avec les douanes, les policiers, et la gendarmerie. Mon rôle est de faire du « ciblage » pour aller contrôler certains athlètes à des moments bien choisis dans la saison (moment où ils pourraient être tentés de se doper : stage de préparation…).

Que pensez-vous des déclarations de Froome, notamment sur le nombre trop faible de contrôles ?

C’est sûr que des contrôles on en ferait toujours davantage, mais nous avons des moyens limités : il faut faire avec les armes que l’on a.

Ne pensez-vous pas finalement, que les contrôles sont un peu vains et que les instances anti-dopage sont sans cesse dépassées par les tricheurs ?

Pas du tout, surtout pas : s’il n’y a avait pas de contrôles, je vous pose la question : où en serions-nous ? Le Tour de France se gagnerait avec 3 ou 4 km/h plus vite. Aujourd’hui aucun coureur ne dépasse les 51 d’hématocrite, avant qu’on arrive à détecter l’EPO les coureurs étaient à 60 voire 62% d’hématocrite. Ce n’est pas pour rien qu’on arrive au dopage technologique ou que l’on revient aux méthodes archaïques des transfusions sanguines : les tricheurs ne peuvent plus utiliser certains produits sous peine d’être démasqués et doivent donc trouver autre chose. Cela montre qu’on leur mène la vie dure !

Qu’en est-il des méthodes de calcul de puissance indirect ?

Cela peut-être un moyen de cibler ou soupçonner un coureur. De là à sanctionner un coureur, j’aurais tendance à dire non. Car il faut également laisser une hypothétique place à l’exception humaine, on ne peut pas jeter la pierre à un coureur simplement parce qu’il a dépassé les 410 ou 450 watts.

Qu’en est-il du bilan de la lutte antidopage ?

On a progressé dans le dépistage et les contrôles mais absolument pas dans la prévention auprès des jeunes.

Guillaume DELAS, Alexandre HIMMELEIN, Victor KAHN