Frédéric Portoleau est un ingénieur en aéronautique menant des calculs de manière bénévole sur le site ChronoWatts afin d’évaluer les performances réalisées par les cyclistes. Antoine Vayer s’appuie notamment sur ses calculs.
A quoi sert le site ChronoWatts ?
Nous sommes sollicités pour donner notre avis sur le monde du vélo. Le site n’est pas encore assez complet.
Manquez-vous de données ?
Oui en quelque sorte, nous faisons ça de manière bénévole.
La revue « Tous dopés » qu’en pensez-vous ?
Je suis juste un ingénieur en mécanique, je fais des calculs. Du coup, je ne peux pas donner réellement mon avis. Antoine Vayer est un entraîneur et sait ce que peuvent faire les cycliste de haut niveau, il peut se permettre de porter des jugements. La dénomination des performances vient de Vayer. Il s’agit d’une histoire de communication. Le but premier est de contrebalancer les articles qui encensent les coureurs mis en avant durant des échappées miraculeuses par exemple.
Comment analysez-vous l’omniprésence du dopage dans les média?
Pendant le tour de France le dopage est très médiatisé. Trop ? Je ne sais pas.
Pourquoi la performance de Froome au Mont Ventoux en 2013 n’a pas été prise en compte ?
On fait attention aux incertitudes de calcul : souvent à cause des effets du vent. Par soucis d’incertitude on ne fait pas de conclusion sur certaines performances.
Les grandes puissances présentent-elles des risques sur la santé ?
Certainement, les coureurs vont au-delà de leurs limites. La puissance de 480 Watt peut être tenue par un sportif du dimanche pendant un sprint sur 20s
En ce qui concerne le radar de Porte à Pierre saint Martin, il s’agit d’un oubli ? (NDLR : Porte finit deuxième derrière C Froome)
On se concentre sur ceux qui terminent en tête du classement général. Pour Froome, il est même possible que le chiffre dit « en puissance moyenne » indiqué pour l’ensemble de son Tour ne soit pas le maximum de ce qu’il puisse faire.
Estimez-vous que Froome se protège de la controverse en gérant ses montées en fin de Tour?
C’est possible, il vaut mieux gagner le Tour avec 1 min d’avance plutôt qu’avec un quart d’heure : c’est moins louche.
La minutie de la préparation de l’équipe Sky influe-t-elle beaucoup ?
Oui, je pense que ça doit influencer un petit peu, ils font attention à chaque détail, mais est-ce que ça peut expliquer une telle domination ? Ils essayent peut être de nous faire que croire que c’est grâce à la science qu’on est meilleur.
Le développement du matériel joue-t-il vraiment ?
En montagne pas trop, toutes les équipes ont des vélos de même poids, les accélérations sont faibles et la vitesse assez constante. Cependant cela peut fortement jouer sur les performances en contre la montre (essais en soufflerie).
Le plateau ovoïde, qu’en pensez-vous ?
Nous ne le prenons pas en compte dans les calculs. On ne connaît pas trop l’influence de ce type de plateau. Il existe de ce fait une petite défaillance des mesures causée par la variation de vitesse angulaire, la mesure de watts est un peu faussée.
Et la manière de pédaler de Froome ?
Elle m’interpelle quand même. Sa capacité à mouliner aussi vite dans une pente à 10 % est assez impressionnante.
A-t-elle un vrai gain aérodynamique ?
Au-delà de 25 km/h, il existe un petit gain
Le journaliste n’a-t-il pas un devoir de réserve (ex : Laurent Jalabert) ?
Ils ne doivent pas avoir la même liberté de parole que moi et Antoine. Quand on fait partie du milieu on ne pas tout dire.
Comment expliquez-vous la volonté de la part de certaines équipes de publier des choses incohérentes ? (NDLR : Référence à l’ascension de Tejay Van Garderen dans la Toussuire en 2014 et des performances de Nairo Quintana sur le Tour de Catalogne 2013, dont les chiffres ont été publiés respectivement par BMC et la Movistar)
C’est une manière de communiquer et faire croire que les performances sont humaines.
Prenez vous en compte certaines circonstances de courses dans vos mesures ?
Quand on fait des analyses sur des montées on essaye de voir combien de temps le cycliste a été abrité, ainsi que la distance totale et le rythme général de l’étape.
Avez-vous pris des données pour des cyclistes et des performances plus anciennes?
Oui j’ai analysé des données plus anciennes mais les calculs sont moins précis à cause des vélos qui étaient différents (problème de coefficient de frottement, de pneumatiques). J’ai effectué des hypothèses qu’il faut prendre avec des pincettes. Ce qui a changé est la densité de coureur. Il y a moins de différence de niveau aujourd’hui entre les leaders et les équipiers. On maîtrisait moins certains paramètres qu’aujourd’hui. D’autre part, du point de vue des calculs, plus la pente est forte, moins il y a d’incertitudes. Aujourd’hui nous disposons de plus de données cartographiques et topographiques en France. Les données disponibles s’améliorent et permettent d’avoir des mesures plus précises.
La spécialisation des coureurs peut-elle influencer la puissance que développe un coureur ?
Le fait de se ménager dans la plaine peut influencer mais le coureur qui joue pour la gagne doit être bon partout.
Les coefficients de roulement, les prenez-vous en compte ?
Oui ils sont de 0,04 pour une route en bon état. On augmente le coefficient en cas de route dégradée. Dans l’interprétation que nous effectuons il faut inclure les facteurs température et répétition des cols qui jouent. Nous continuons les recherches de modélisation. A un moment nous avions pensé représenter le peloton comme un fluide avec des particules. Cependant il n’y a pas assez d’expériences pratiques pour évaluer l’aspiration dans les montées de cols. Les coureurs changent de position tout le temps. L’aspiration modifie les pressions et les forces aérodynamiques autour du coureur. Des articles existent pour avoir l’effet de l’aspiration sur deux coureurs.
Quel avis avez-vous concernant le dopage mécanique ?
Il existe des moteurs électriques qu’on peut dissimuler. Il existe tout de même le problème lié aux batteries qui sont lourdes et encombrantes mais pourquoi ne pas avoir des batteries pour avoir un apport éphémère ? S’il existe un soutien mécanique on ne peut pas le détecter par notre méthode indirecte.
Que pensez vous de la roue qui tourne toute seule de Ryder Hesjedal ? (NDLR : Vuelta 2014)
Ça m’a surpris que le vélo dispose d’autant d’énergie pour tourner tout seul.
Le cyclisme propre est-ce crédible ?
J’ai bien peur qu’il faille tricher pour gagner des grands tours. Les coureurs savent passer outre le passeport biologique. Les mentalités n’ont pas changé, on veut tricher. Il y a toujours plus d’argent en jeu, je ne suis pas très optimiste pour les prochaines années.
Clément Chadebec et Alexandre Himmelein