La spécificité de la période dans la controverse
Les années 1990 sont avant tout les années du dopage intensif. Les doses consommées sont très importantes, le dopage débridé et les performances très impressionnantes: il a une absence quasi-totale de contrôles et d’institutions régulatrices efficientes. Cette période de notre controverse est de plus marquée par un silence des observateurs quant à la suspicion qui pouvait planer sur les coureurs. Là où aujourd’hui beaucoup d’observateurs n’hésitent pas à prendre la parole pour s’insurger, parfois sans preuve, du caractère plausible de telle ou telle performance, la suspicion était à l’époque totalement étouffée. Jean Pierre Ollivier nous expliquait: » Je n’ai jamais eu de coureur qui venait me dire : oui je suis chargé. Et même si j’avais une info, je ne pouvais pas la distiller dans la presse, on risquait la correctionnelle. Un jour sur le Tour de Lombardie, j’interviewais deux coureurs de chez Festina dans leur chambre d’Hôtel. Et le soigneur de l’équipe, Willy Voet, est rentré dans la chambre sans me voir. Il a alors soulevé une serviette et en dessous : des seringues. Il est évident que ces seringues, ce n’était pas pour aller à la chasse au papillon. Mais supposez que j’aille raconter ça, aussi tôt c’était le procès. Tout le monde se taisait, personne ne voulait en parler. »
« A mon époque, 100% du peloton se dopait; j’ai connu deux personnes qui ne se dopaient pas: Gilles Delion et Christophe Bassons »
Erwaan Mentheour
Certains scientifiques comme Patrick Laure affirment que « Il peut exister un lien entre dopage et cancer« . Et cela se constate tout particulièrement chez les coureurs ayant subi de plein fouet la vague EPO tel Ivan Basso (affaire Puerto) ou Lance Armstrong. Finalement, la consommation de produits dopants crée parfois, de part le cocktail mis en jeu, des addictions à certains produits. On pense tout particulièrement à Marco Pantani, le Pirate ayant eu des problèmes liés à la prise d’insuline et surtout de cocaïne, ce qui causera sa perte en 2004, décédé à la suite d’une surdose (il est retrouvé avec 6 fois la dose mortelle).
Les années EPO
Les années 1980 sont marquées par trois grands champions:
- Bernard Hinault
- Laurent Fignon
- Greg LeMond
A l’aube des années 1990, une nouvelle génération de coureurs arrive. Voici comment Greg LeMond parle de cette période de transition:
Combien de fois ai-je pu lire ou entendre des commentaires de jeunes professionnels constatant que le cyclisme prenait une tout autre dimension depuis qu’ils avaient rejoint les rangs d’une équipe pro… En 1996, deux ans après ma retraite sportive, un coureur américain me l’affirma: « Le vélo est bien plus éprouvant maintenant qu’à l’époque où tu roulais. »
Toutes les théories sur la méthodologie de l’entraînement comme sur la diététique ont volé en éclats en 1991. En 1990, je remporte mon troisième et dernier Tour. Un an plus tard, je termine largué à plus de 13 minutes du vainqueur, Miguel Indurain.
Des vitesses jamais atteintes devinrent la norme. De bons coureurs certes, mais pas des champions patentés, se mirent à survoler la discipline. Ceux qui tenaient le haut du pavé jusqu’alors étaient devenus trop vieux, trop gras ou trop fainéants pour préserver leur rang.
De tout temps, les vainqueurs du Tour de France avaient su démontrer leurs aptitudes lors de leurs deux premières années professionnelles. Mais ce ne fut plus le cas dans les années 1990. Des coureurs alors considérés comme des équipiers et non des leaders se métamorphosèrent en champions. Cette « évolution » déstabilisa, et même brisa la carrière de bons coureurs, persuadés qu’ils étaient juste trop âgés pour rivaliser.
Pour en avoir le cœur net, j’ai alors décidé de consulter Adrie Van Dieman, l’un des meilleurs physiologistes du monde. Sans réponse, je me tournais alors vers Yvon Van Mol, le médecin de feue l’équipe ADR, avec laquelle j’avais remporté le Tour de France 1989. Je voulais savoir si des études pouvaient expliquer ce qui n’allait plus chez moi. Le docteur Van Mol m’ausculta et ne décela rien de particulier qui pouvait expliquer ma baisse de niveau. Il me fit simplement savoir que j’avais juste besoin d’EPO, de /testostérone, d’hormone de croissance pour maintenir ma compétitivité. C’est pourquoi j’ai décidé de mettre un terme à ma carrière.
Greg LeMond, LeMonde 08/07/2009
Dans sa revue « La Preuve par 21 », Antoine Vayer, à l’aide des calculs de Frédéric Portoleau, souligne une explosion des puissances développées par les coureurs. En 1991, 11 coureurs dépassent les 410 W, seuil qu’il considère comme devant alerter les observateurs sur l’authenticité d’une performance, alors qu’on ne dépasse jamais 8 sur les autres Tour. Plus impressionnant encore, ils sont à chaque fois au moins 3 à dépasser les 430W entre 94 et 96, avec à chaque fois un coureur dépassant même la barre des 450W. Cette explosion des performances s’explique par une prolifération massive de substances dopantes, comme l’explique justement Greg LeMond. Alors qu’aujourd’hui, on parle de « micro-doses » permettant de rester sous les seuils de détection, à l’époque, il était question de doses pleines et entières.
Un révélateur encore plus objectif de cette explosion des performances consiste à regarder les temps d’ascensions des cols clefs des Tour de France, principalement lorsqu’il s’agit d’une arrivée au sommet où les coureurs se donnent « à fond ». Bien évidemment, une ascension dépend des conditions de courses: longueur de l’étape, scénario, enjeux. Malgré tout, l’éloquence de ces résultats montre clairement que la réponse ne se trouve guère dans les facteurs précédemment cités. Parmi les cols régulièrement plébicités (Galibier, Tourmalet, Peyresourde, Luz Ardiden, Madelaine, Ventoux, Télégraphe…), intéressons nous au plus symbolique: l’Alpe d’Huez, 21 lacets et un col devenu mythique.
Mis à part les temps d’ascension d’Armstrong (38:00), toutes les meilleures performances se situent soit en 1995, soit en 1997. Lors de son ascension de 1995, Pantani monte l’Alpe en 36:50, temps que seul lui même sera capable de titiller (36:55 en 1997), soit près de 10 minutes plus rapidement qu’Hinault et LeMond en 1986. Il pulvérise ainsi le record de montée d’Herrera (41:50 en 1987) et inscrit son nom dans l’histoire de la montée. Derrière lui, Ullrich (1997), Indurain, Zulle et Riis (1995) signent tous des temps inférieurs à 38:10, ce qui témoigne de la densité du peloton à cette époque. A titre de comparaison, Quintana, coureur le plus rapide en 2013 et 2015 ne descendra jamais en dessous des 39:00 (39:55 en 2013, année de la double montée, et 39:23 en 2015). On mesure alors l’ampleur des performances réalisées pendant les années 1990.
L’hégémonie de l’EPO s’arrête brutalement avec l’affaire Festina, qui met en lumière le premier cas de dopage organisé de grande ampleur. La controverse prendra alors un tournant majeur: le public prend conscience de l’ampleur du dopage dans le cyclisme de l’époque, les stars de l’époque sont déchues et leur sport perd considérablement en crédibilité. Le traitement de la controverse dans les médias change: le sujet n’est plus tabou et devient au contraire récurrent, revenant de Tour en Tour.
Source:
La Preuve par 21, Antoine Vayer
« Il peut exister un lien entre cancer et dopage »- Libération, 15/06/2009