Interviews

Durant notre travail d’analyse de la controverse, nous avons été amenés à effectuer un certain nombre d’interview. Nous avons interrogés quelques personnes qui sont intéressées par notre sujet, et qui ont travaillé dessus.

Nous avons interviewé trois personnes : Esther Pivet, coordinatrice de Vigi Gender, qui lutte contre la diffusion du genre à l’école, Michel Fize, sociologue français retraité qui s’est intéressé en particulier à la jeunesse et à l’adolescence et enfin Nicole Mosconi, spécialiste en sciences de l’éducation et qui a étudié sur le terrain les inégalités de sexes à l’école.

Vous pourrez trouver sur cette page des retranscriptions d’extraits de ces interview afin de vous faire une idée de la position de ces acteurs sur quelques points centraux de la controverse. Nous précisons que toutes les personnes interrogées nous ont donné leur accord pour qu’on puisse les citer comme suit.

Qu’est-ce que le genre ?

Esther Pivet : « Le genre est un concept sociologique basé sur un postulat : les différences entre hommes et femmes sont des constructions sociales, y compris les différences corporelles pour les plus puristes. Toutes ces différences sont construites car on aurait agi différemment suivant le sexe de l’enfant. Sous couvert d’égalité, les théoriciens du genre souhaitent déconstruire ces différences puisque les différences sont des inégalités pour eux. Il faut commencer dès le plus jeune âge, donc à l’école. Le sexe biologique ne définirait en rien notre identité, le corps permet uniquement de prendre du plaisir. Il y a donc un genre neutre et on pourrait donc choisir son sexe. Une dernière définition du genre serait celle de notre orientation sexuelle. Ces pratiques sexuelles nous donnent alors des droits. Le corps sexué ne nous définit plus comme personne, ce qui nous définit c’est ce que nous voulons être, et cela peut changer. »

Pensez-vous que les caractéristiques différentes associées aux hommes et aux femmes résultent de facteurs biologiques (ce qui serait inné) ou sont au contraire des constructions culturelles acquises ?

Nicole Mosconi : « Je ne pense pas que ce soit biologique. Vraiment, je suis très convaincue que de plus en plus, on est sur un système de construction de statuts, de rôles, qui existe très tôt (on peut voir apparaître des phénomènes de différenciation dès la naissance). Il y a une célèbre expérience de psychologie où on montre un petit film avec un bébé de 4-5 mois habillé en jaune (dont on ne connaît pas le sexe). On met un jouet avec un personnage qui sort de la boîte très violemment, avec un ressort. Le bébé se met à pleurer. Si dit que le bébé est un garçon aux étudiants et qu’on leur demande la raison pour laquelle il pleure, ils répondent « C’est parce qu’il est en colère ». Si on leur dit que c’est une fille, ils répondent « C’est parce qu’elle a eu peur ». Il y a une autre observation qui a été faite sur un bébé garçon jusqu’à ses deux ans. Sa grand-mère, en le voyant à la maternité s’est exclamé : «Oh mon Dieu, qu’est ce qu’il est viril ce petit bébé !». Il avait un jour… Cela prouve que les parents attendent quelque chose de différent de leur fille ou de leur garçon. Si leur enfant déroge à ce système, très souvent les parents sont gênés. Les injonctions sont quand même très fortes, même si elles ne sont pas toujours exprimées. Plein de choses se passent sans être exprimées. »

Esther Pivet : « Les théoriciens du genre sortent l’argument que tout est une construction sociale pour remettre en cause le réel. Ça n’a pas de sens de penser que les jouets formatent les ambitions des enfants. Majoritairement, les filles préfèrent les poupées mais elles peuvent jouer aux voitures si elles veulent. Hommes et femmes ont des aspirations différentes (goût du combat chez l’homme, empathie plus développée chez la femme), et ceci est dû au fait que la femme porte l’enfant, ce qui est une vérité biologique que l’on ne peut pas nier, ou que l’homme a de la testostérone. A force de vouloir supprimer les différences, comme une fille n’a pas envie d’être un garçon, et vice versa, on se raccroche à ce qui nous reste (soit notre corps). »

Michel Fize : « Il est difficile de répondre à cette question puisque inné et acquis sont toujours très enchevêtrés. On ne peut pas dire : « il y a 5% d’inné et 95% d’acquis ». L’important, c’est que c’est une question d’aspiration. Pourquoi il y a moins de femmes PDG que d’hommes ? Parce que souvent, les femmes se retrouvent à effectuer la double journée de travail, avec le rôle de maman, que n’a pas à subir l’homme. Si on leur supprime ça, peut être que plus de femmes aspireraient à devenir PDG. Il faut renverser certains préjugés : les enfants ont besoin autant de leur père que de leur mère. Or même lorsqu’ils n’ont pas de modèle masculin, les garçons continuent à se comporter comme des êtres masculins, ce qui prouve l’aspect inné des caractères sexués. Mais le culturel a beaucoup contribué à définir des rôles sexués que l’on pensait des rôles naturels. Il était impensable il y a 40 ans de voir une femme conduire un bus ou chef de chantier etc. C’était dit « contre leur sexe ». On a créé ces distinctions. Les femmes ont été infériorisées car on leur assignait des qualités physiques et intellectuelles inférieures. Rendre les femmes savantes, c’était risquer de déstabiliser la société, de remettre en cause le patriarcat. Avant la question de mixité ou non, la question pour les filles était présence ou absence. Il y a donc plus de culturel que l’on imaginait à l’époque mais il pourrait tout de même y avoir une part d’inné. »

Est-ce que ces différences sont un problème ?

Esther Pivet : « Ces différences relèvent du réel, et ne sont pas un problème. Le corps nous définit. Il peut y avoir des personnes mal dans leur corps, qui se sentent hommes quand ils sont femmes par exemple et c’est pour eux une souffrance : ils doivent être accompagnés. Chez l’homme il y a une unité entre corps et esprit, contrairement aux animaux. Une désunité entre corps et esprit provoque un mal-être et c’est finalement l’unité que nous recherchons tout au long de notre vie. »

Michel Fize : « Les filles qui se sentaient égales il y a 50 devaient se sentir viriles. Aujourd’hui, les femmes revendiquent leur féminité, mais ce n’est pas une raison pour qu’elles se sentent inférieures à l’homme : égales mais différentes. Ceci se voit depuis une quarantaine d’années avec le retour des talons, des jupes, etc. Ce problème est un faux problème. On a reconnu depuis peu l’existence d’un troisième genre. On ne peut pas rêver comme dans les années 60 de l’unisexe. Il y a des sexes différents, d’abord d’un point de vue biologique et il y a des rôles différents qui sont construits, donc les différences peuvent encore se réduire. De là à ce qu’il y ait un rôle unique, pourquoi pas, il y a cinquante ans, on aurait jamais imaginé une femme ministre. Ce dont on a peur en affirmant des sexes différents, ce sont les discriminations et les inégalités. Il faut mettre au cœur du débat le thème de l’égalité (comme le fait par exemple Emmanuel Macron, et d’autres avant lui), pour que les femmes aient les mêmes salaires que les hommes etc. »

Que peut-on mettre en place à l’école pour atteindre l’égalité ?

Nicole Mosconi : « Un ancien étudiant qui présentait sa thèse a demandé aux enseignants ce qu’ils faisaient pour l’égalité des sexes, et s’ils faisaient quelque chose. Sur ces personnes là, il y en a pas mal qui ont proposés un certain nombre d’expériences qu’on peut faire en classe. Certains travaillent sur la grammaire (pourquoi il y a un genre masculin / féminin en français, contrairement en anglais par exemple). On peut dire aux enfants que le genre est une invention des langues. On peut aussi faire des choses sur les métiers (métiers « de garçons » ou « de fille »). On peut travailler sur les albums de jeunesse pour montrer à quel point les stéréotypes sont présents (ce sont des représentations sociales déterminés par la structure sociale). On peut travailler en maths pour dire aux filles qu’elles peuvent être bonnes en maths et certains stéréotypes comme « Tu dois aimer les mathématiques mon garçon, même si tu n’y comprends rien. »  peuvent être combattus. »

Esther Pivet : « L’Education Nationale conseille plusieurs livres ou pièces de théâtre qui s’appuient sur l’idéologie du genre. Certaines sont particulièrement choquantes. Ce n’est pas le lieu de l’école de montrer ce genre de chose. L’école doit enseigner des savoirs objectifs. »

Michel Fize : « On atteint l’égalité en diversifiant les méthodes. Peut-être faut-il revoir les modes d’enseignement pour les filles et les garçons (ex : instauration de classes de 12…). Il faut personnaliser, sexualiser l’enseignement. Prendre en compte que pour les garçons, l’école peut leur être plus insupportable qu’aux filles. »