Des stéréotypes à déconstruire

Des stéréotypes hérités du passé
Des stéréotypes véhiculés par la société
-dans les jouets
-des attentes différentes selon les sexes
-des différences dans les habits
-des stéréotypes dans les livres pour enfants
Ces stéréotypes se retrouvent dans les manuels scolaires
Les enseignant-e-s véhiculent des stéréotypes sexistes
A qui la faute ?

 

En 2014, le Commissariat  général  à  la  stratégie  et  à  la prospective rend son rapport intitulé « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons – Un enjeu d’égalité et de mixité dès l’enfance », rédigé par Marie-Cécile Naves et Vanessa Wisnia-Weill (Naves, Wisnia-Weill, 2014). Ce rapport, commandé par Najat Vallaud-Belkacem, s’intéresse aux stéréotypes entre les filles et les garçons dans la vie quotidienne et l’enseignement. Dans ce rapport, les auteurs admettent que « la  construction  de  l’identité  sexuée  continue d’être très précocement imprégnée de stéréotypes ». Quels sont ces stéréotypes et où sont-ils le plus présents à l’école et lors du développement des jeunes enfants ?  

Des stéréotypes hérités du passé

Michel Fize, sociologue retraité du CNRS et spécialiste des questions de l’adolescence, la jeunesse et de la famille,s’est intéressé entre autre dans ses études à l’histoire récente de notre société afin d’en comprendre les mécanismes présents. Il nous a confié dans un entretien que nous avons eu avec lui qu’il lui semble que le culturel a beaucoup contribué à définir des rôles sexués que l’on pensait il y a quelques années être des rôles naturels. Il était en effet impensable il y a 40 ans de voir une femme conduire un bus ou être chef de chantier. C’était dit « contre leur sexe », ces métiers étaient définis comme masculins. C’est donc bien la société qui a créé ces distinctions. Selon lui, les femmes ont été tenues à l’écart en se voyant assigner des qualités physiques et intellectuelles inférieures, car rendre les femmes savantes, c’était risquer de déstabiliser la société, de remettre en cause le patriarcat. Toujours selon lui, aujourd’hui la société sort tout juste de ce modèle archaïque et on se rend juste compte qu’une partie de ce que l’on pensait inné chez les femmes est simplement issu d’une vision très machiste de la société. Il a également évoqué la période où les femmes commençaient à s’émanciper. A l’époque (dans les années 60-70), les femmes qui se sentaient l’égale des hommes, a contrario de ce que leur imposait la société avaient tendance à se masculiniser (début du port du pantalon, coupe de cheveu « à la garçonne », etc.). Ainsi, une part des stéréotypes genrés que l’on observe aujourd’hui seraient des conséquences directes de notre histoire.

Des stéréotypes véhiculés par la société

           Dans les jouets

Mais quels sont ces stéréotypes qui commencent à agir dès la plus tendre enfance ? Michel Fize admet qu’ils sont très visibles dans les magasins de jouets. Les filles sont incitées à jouer plus à la corde à sauter et les garçons plus au ballon. Un garçon qui choisirait de jouer à la corde à sauter serait traité de « tapette » et une fille qui voudrait jouer au ballon se ferait dire qu’elle est un « garçon manqué ». Pour autant, Michel Fize est un peu réticent à définir ces comportements comme des stéréotypes véhiculés par la société. En effet, il pense qu’il y a tout de même une part de naturel à ces comportements. Il explique que si on obligeait tous les petits garçons à jouer à la corde à sauter, en leur expliquant que c’est un jeu comme un autre, pas nécessairement « féminin », il n’est pas convaincu qu’il n’y aurait pas une sorte de « révolution des garçons ».

           Des attentes différentes selon les sexes

Pourtant, Nicole Mosconi (professeure, membre du Centre de recherche éducation et formation (CREF) et spécialiste de science de l’éducation), en se basant sur des travaux de neurobiologistes comme Catherine Vidal , avance qu’il y a plus de différence entre individus du même sexe qu’entre individus de sexes différents [16]. Une différenciation binaire des individus selon leur sexe n’est donc pas très cohérente. Ainsi, tous les comportements qui visent à différencier d’une certaine manière les filles et les garçons sont des stéréotypes, souvent injustes. Elle note également que la société a des attentes très différentes pour les enfants, selon qu’ils soient des filles ou des garçons. Elle évoque notamment une expérience psychologique où on montre un petit film avec un bébé de 4-5 mois habillé en jaune (dont on ne connaît pas le sexe). On met un jouet avec un personnage qui sort de la boîte très violemment avec un ressort. Le bébé se met à pleurer. Si on demande la raison aux étudiants, en leur disant que le bébé est un garçon, ils disent « C’est parce qu’il est en colère ». Si au contraire, on leur dit que c’est une fille, ils répondent « C’est parce qu’elle a eu peur ». Cela prouve que les parents attendent quelque chose de différent de leur fille ou de leur garçon, et si leur enfant déroge à ce système, très souvent les parents sont gênés.

           Des différences dans les habits

Il a aussi été observé que, très tôt, on observait des habitudes vestimentaires inégalitaires entre filles et garçons. Dans « Construire son identité de fille et de garçon: pratiques et styles vestimentaires au collège », Aurélia Mardon, maître de conférences en sociologie à l’université de Lille 1,  souligne que « le vêtement participe à la fabrication du marquage sexué des corps et contribue à la division sexuelle du travail, inégalitaire entre les sexes (Mardon, 2017). Les enfants eux-mêmes sont invités à marquer cette différence de plus en plus tôt ». Les garçons sont sous l’influence de la « norme hétérosexuelle » qui leur impose de ne pas s’habiller en rose ou de ne pas « ressembler à une fille ». Chez les filles, on surveille la décence de leur tenue : « s’il s’agit d’être féminine, il ne faut pas tomber dans la provocation ou  la  vulgarité ». Une tenue jugée trop vulgaire sera associée à une provocation à l’agression sexuelle et à un risque d’échec scolaire. Cette féminité très stricte imposée aux femmes dès leur plus jeune âge entraine des comportements qui, selon Christian Baudelot sont difficilement conciliables avec la vie professionnelle : « pour les hommes, le travail et la conquête de la masculinité sont en continuité, tandis que pour les femmes, le travail et la  féminité sont en conflit ». Cette féminité serait pourtant loin d’être imposée si l’on en croit les propos  de Michel Fize, c’est plutôt selon lui un moyen pour les femmes de s’émanciper des inégalités sexistes en s’affichant différentes des hommes mais pas inférieures pour autant.

           Des stéréotypes dans les livres pour enfants

Selon le rapport du Commissariat  général  à  la  stratégie  et  à  la prospective cité plus haut, les stéréotypes genrés seraient également très présents dans la littérature jeunesse : « les  femmes  et  les  hommes  sont  souvent  représentés  comme  ayant  «  naturellement  »  ou  a  priori  des  caractéristiques  distinctes,  ce  qui  les  conduirait  à  occuper  des  rôles  sociaux  et  professionnels  très  différents et inégalitaires ». Pour affirmer cela, ils se basent sur une étude réalisée en 2007 à partir d’un corpus de 91 albums illustrés, publiés entre 1997 et 2007 et évoquant une large  palette  de  métiers révélant que  « Sur  les  2  538  personnages  figurant  dans  ces  livres,  on  comptait  1  989  hommes  (78  %)  et  549  femmes  (22  %).  Les  hommes  occupaient  414  métiers  différents,  contre  161   pour  les  femmes.  Les  métiers  «  masculins  »  étaient  plus  prestigieux, voire  héroïques (militaire,  pompier,  pilote  d’avion,  astronaute,  explorateur,  scientifique,  sportif)  ;  il  s’agissait  aussi  de  métiers  d’encadrement.  Les femmes,  quant  à  elles,  exerçaient  des  métiers  d’aide,  d’accueil,  d’enseignement  ou  liés  à  l’apparence  (hôtesse,  secrétaire,  assistante-dentaire,  maîtresse  d’école,  mannequin. Enfin, la grande majorité des métiers (82 %) étaient énoncés au masculin. Il est donc plus difficile,  pour  une  fillette  ou  une  jeune  fille,  de  s’y  projeter.  De  plus,  cela  participe  de  l’invisibilisation du travail féminin »

Ces stéréotypes se retrouvent dans les manuels scolaires

Le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) déplore le rôle joué par les manuels scolaires dans la perpétuation de stéréotypes à l’école : «Dans les manuels de lecture de CP, les femmes représentent 40% des personnages et 70% de ceux qui font la cuisine et le ménage, mais seulement 3% des personnages occupant un métier scientifique» (Beyer, 2017). Dans l’étude « Égalité   femmes-hommes   dans   les   manuels   de   mathématiques : une équation irrésolue ? », du Centre Hubertine Auclert, il est également observé que « dans  les  manuels  de mathématiques,  les figures féminines seraient cinq fois moins nombreuses ».

Les enseignant-e-s véhiculent des stéréotypes sexistes.

Il n’est également pas rare que les enseignant-e-s véhiculent des stéréotypes sexistes. Leïla Excracher a réalisé une étude en 2004 dans les classes maternelles de l’Hérault. Après trois mois d’observation, elle affirme que l’école transmet une vision archaïque des sexes. Par exemple, lorsqu’on présente les gants, on présente les gants pour Papa pour la moto et le jardinage, et les gants pour Maman pour la vaisselle (Chevassus-au-Louis, 2015).

Leïla Excracher a également observé que les enseignants ne savaient pas comment réagir face à des objections comme : « mais moi ma Maman aussi a des gants de moto ». Dans la plupart des cas, les instituteur-risse-s répondent par la réprobation ou le silence.

Nicole Mosconi évoque quant à elle la difficulté qu’ont les enseignant-e-s pour réagir et condamner des propos sexistes venant des élèves.

A qui la faute ?

Pour Leïla Excracher, la faute n’est pas aux enseignants mais plutôt à l’institution Éducation Nationale. Elle regrette d’ailleurs que ses travaux soient parfois perçus comme un blâme du corps enseignant, car ça n’en n’est pas du tout le but. Les enseignant-e-s ne font que reproduire les stéréotypes véhiculés par la société.

Nicole Mosconi insiste sur la formation des professeurs dans les IUFM. De nombreux outils pédagogiques existent. C’est donc le rôle des centres de formation de faire connaître ces outils aux enseignants, de les sensibiliser et de les accompagner autour de ces questions compliquées et sensibles.

Le Haut conseil à l’égalité constate néanmoins que les Espé (écoles de formation des enseignants qui ont succédé aux IUFM) ne s’intéressent pas systématiquement au sujet du traitement différenciés des sexes à l’école : seule la moitié de ces écoles propose un module sur le sujet (Beyer, 2017).

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