Comment remédier à une pénurie en eau à Barcelone ?
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La technique et les coûts du dessalement


En résumé


Pour dessaler l’eau de mer, deux physiques s’affrontent : l’évaporation et l’osmose inverse. De nos jours, 61% des nouveaux projets de dessalement utilisent l’osmose inverse (l’usine de Perth, en Australie, par exemple, ci-contre), car produire un m3 d’eau dessalée par ce procédé coûte environ deux fois moins cher que par le premier procédé : de 0,4 à 0,8 euro. Mais le dessalement coûte encore beaucoup trop cher : il ne peut que difficilement concurrencer le m3 d’eau « traditionnel », à 0,25 euro. Dans certaines régions, où nappes phréatiques et rivières sont polluées par exemple, le dessalement est pourtant logiquement devenu compétitif.





En détails


1. Premier procédé : la distillation (par entraînement à la vapeur d’eau)


Le premier moyen de dessaler l’eau de mer est aussi le plus ancien. Aristote a décrit le principe de la distillation au IVe siècle avant Jésus-Christ, Abélard de Bath en a fait l’expérience au XIIe siècle en chauffant de l’eau de mer, et les marins s’en sont servis sur leurs bateaux.

Le principe est simple, il repose sur un changement de phase. Dans une usine de dessalement fonctionnant par distillation, l’eau de mer est vaporisée, laissant derrière elle les sels et les impuretés qu’elle contient. Une fois condensée, l’eau distillée est exempte de sels. Cette solution nécessite de grandes quantités d’énergie. Veolia est le leader de cette voie dite thermique.


Ci-dessus : L’usine de Porto Torres, au Nord de la Sardaigne (Italie), utilisant ce procédé

Ci-dessus : Usine de dessalement thermique (Oman)

2. Second procédé : l’osmose inverse


Au tout début du XXe siècle, s’inspirant de la nature osmotique des parois cellulaires, des chercheurs avaient avancé l’idée de l’utilisation d’une membrane pour séparer le sel de l’eau de mer. Dans les années 1960, des chercheurs américains et japonais, qui avaient développé des membranes semi-perméables à des fins industrielles, se rendirent rapidement compte que ces mêmes membranes pourraient être utilisées pour dessaler l’eau de mer.

Dans la nature, l’osmose est un phénomène essentiel aux équilibres biologiques. Mais le procédé industriel est qualifié d’ « osmose inverse » car, à l’aide d’une forte pression P (supérieure à la pression osmotique p), de l’ordre de 80 bars, on « force » l’eau salée à passer du compartiment le plus concentré en sel au compartiment d’eau douce. Comme les deux compartiments sont séparés par une membrane, le compartiment d’eau douce s’enrichit en fait en eau douce. Dans la réalité, si on avait laissé faire la nature, sans imposer ni membrane ni pression, l’eau douce se serait chargée en sel et l’eau salée se serait diluée. On aurait en fait appauvri les riches pour enrichir les pauvres. Mais l’osmose inverse enrichit les riches en appauvrissant les pauvres… Ci-contre, quatre cellules d’osmose inverse. C’est ici que ce phénomène a lieu.

Cette solution a recours à des membranes filtrantes spécifiques. Ce sont en fait des films de polyamides semi-perméables à l’eau. Leurs pores sont minuscules (moins d’un nanomètre de diamètre), une taille qui entraîne une sélection drastique. Seules les molécules d’eau traversent la membrane. Même les sels dissous ne passent pas, et encore moins les impuretés (virus, micro-organismes, particules solides) contenues dans l’eau.

Les membranes utilisées sont extrêmement fragiles. Elles s’endommagent rapidement si l’eau de mer contient trop d’impuretés. Si la matière s’accumule à sa surface, elle bouche les pores et rend le polymère inefficace. C’est pourquoi l’eau doit impérativement être traitée avant d’être filtrée par les membranes.

L’eau salée pénètre ainsi à gauche de la membrane sous une pression de l’ordre de 80 bars, et après passage membranaire, l’eau ressort débarrassée de 99 % de son sel.

Au total, 61% des nouveaux projets de dessalement utilisent l’osmose inverse.

Degrémont, la filiale de Suez Environnement spécialisée dans le traitement des eaux, maîtrise particulièrement cette technique.

Ci-dessus : L’usine d’El-Hamma à Alger, la plus grande d’Algérie, utilisant l’osmose inverse, et inaugurée en février 2008

3. Vers une technologie hybride ?


Une offre hybride a peu à peu été développée à partir de l’exemple de Degrémont à Fujaïrah, aux Emirats Arabes Unis. Cette usine, dont les travaux ont commencé en 2001, a une capacité de 170 000 m3 par jour (62 millions de m3 par an). La technologie dite hybride associe, de manière complémentaire, la filière thermique et l’osmose inverse afin d’optimiser la consommation énergétique en fonction des périodes de consommation.





4. Avantages et inconvénients de chacun des deux procédés


  • Les deux procédés rejettent de la saumure, hélas.

  • Une unité de dessalement par osmose inverse prend souvent moins de place qu’une unité de dessalement par distillation ; l’osmose inverse est exclusivement recommandée pour les petites unités de production (10 000 m3 par jour) ; les deux procédés peuvent être utilisés pour les grandes unités de production (de 200 000 à 800 000 m3/jour).

  • L’osmose inverse s’impose souvent, dès que l’usine de dessalement n’est pas couplée à une centrale électrique.

  • Malgré le prétraitement, le dessalement par osmose inverse nécessite moins d’énergie que le dessalement par distillation. La distillation requiert entre 6 et 7 kWh pour produire un m³ d’eau distillée. Et ce chiffre s’élevait à 15 kWh il n’y a pas si longtemps. Quant à l’osmose inverse, les pressions exercées nécessitent des énergies comprises entre 3 et 4 kWh pour produire un m3 d’eau. Ce chiffre s’élevait à 12 kWh il y a plusieurs dizaines d’années, mais les quantités d’énergie nécessaires restent énormes. Pour l’osmose inverse, le prix de l’énergie représente environ 40% du coût total de la production d’un m3 d’eau.

  • Le coût de l’osmose inverse est devenu inférieur à celui de la distillation en 1995, avec l’apparition d’une nouvelle génération de membranes.

  • La voie thermique rejette beaucoup plus de CO2 que l’osmose inverse car les usines de dessalement utilisant le premier procédé sont souvent couplées à des centrales thermiques utilisant les énergies fossiles traditionnelles, telles que le pétrole et le charbon.

  • La voie thermique offre l’avantage, si on couple l’usine de dessalement à une centrale existante, de pouvoir récupérer de l’énergie qui y est perdue.


5. L’évolution des choses au cours du temps


La technologie de l’osmose inverse, qui constituait 20% des unités de dessalement au début des années 1980, s’impose aujourd’hui devant les procédés de distillation. On voit sur le graphe suivant que la tendance s’inverse en 1999.


6. Les coûts des deux procédés


Même si son coût a été divisé par dix en vingt ans, pour flirter aujourd’hui avec la barre des 50 centimes d’euro le mètre cube, le dessalement coûte cher, trop cher encore pour les pays qui souffrent le plus cruellement du manque d’eau. Pour preuve, l’usine de dessalement qui sera installée à Barcelone représente un investissement de 159 millions d’euros. La production d’un m3 d’eau dessalée coûte de 0,4 à 0,8 euro pour l’osmose inverse, et de 0,65 à 1,8 euro pour la distillation. Celle d’un m3 d’eau d’une origine plus conventionnelle coûte 0,25 euro.

Mais récemment, les sources conventionnelles d’obtention d’eau douce sont devenues plus coûteuses. Dans certaines régions, les nappes aquifères littorales sont épuisées avant de pouvoir se remplir de façon naturelle, ce qui conduit à leur contamination par l’eau de mer. Tous ces facteurs font que dans certaines régions, le dessalement est devenu une solution compétitive en termes de coût par rapport aux méthodes traditionnelles utilisées pour répondre aux besoins en eau.


suite de la controverse : aspect environnemental du dessalement