Les antécédents
En résumé
En Espagne, la politique de l’eau est menée par le gouvernement national. Pour la droite espagnole, gérer l’eau est synonyme de répartir la ressource en eau de manière à pallier aux inégalités climatiques entre le nord et le sud du pays, au moyen de transferts d’eau entre les bassins hydrauliques. C’est là l’objectif principal du Plan Hydrologique National de 2001, présenté par le gouvernement du Parti Populaire, avec le projet de grand transvasement de l’Ebre vers l’arc méditerranéen. Un tel transvasement comporte de nombreuses conséquences environnementales, d’où les interventions virulentes de nombreux groupes écologistes espagnols et internationaux et les questionnements de la Commission Européenne, chargée d’examiner le dossier : la viabilité économique et environnementale du projet est fortement remise en question. Les discussions n’ayant pas abouti avant la fin du mandat de José Maria Aznar, le projet n’est pas réalisé et est annulé par José Luis Zapatero à son arrivée au pouvoir à la tête du PSOE en avril 2004.
En détails
Le contexte politique et climatique
L’eau en Espagne, ou pourquoi le transvasement ?
Le PHN s’appuie sur la notion de « déséquilibre hydraulique » pour justifier la nécessité de transvaser de l’eau depuis le bassin de l’Ebre vers la Catalogne. Nous verrons plus loin que même cette notion est rejetée par les scientifiques qui s’opposent au PHN. Mais de quoi s’agit-il ? Le déséquilibre hydraulique fait référence aux inégalités d’accès à l’eau existant entre le sud aride de l’Espagne et le nord, avec 70% de l’eau disponible concentrée dans la zone nord, alors que l’arc méditerranéen et l’Andalousie regroupent 55% de la population, et disposent de seulement 23% de l’eau. D’après l’avant-projet de loi du PHN, l’objectif de celui-ci est de satisfaire les demandes d’eau actuelles et futures en utilisant de manière rationnelle les ressources de chaque bassin hydrographique et en parvenant à un équilibre hydraulique entre les bassins.
L’eau dans la Constitution : une politique de l’eau centralisée
Une disposition constitutionnelle accorde au gouvernement central la compétence exclusive de «légiférer, coordonner et gérer l’ensemble des ressources en eau qui traversent plus d’une communauté autonome ». C’est un passage d’une importance particulière parce que la plupart des grands cours d’eau traversent plus d’une communauté autonome ; le gouvernement central dispose ainsi d’une autorité exclusive sur leur gestion. On comprend donc que ce soit le rôle du gouvernement espagnol de gérer les liaisons entre les bassins hydrographiques, et qu’il ait pu publier le PHN sans consultation préalable de la communauté scientifique.
Sur cette carte les bassins concernés par le transvasement de l’Ebre sont le bassin de l’Ebre et le bassin intérieur de Catalogne. L’étendue du bassin de l’Ebre laisse présager des tensions interrégionales.
Un grand nombre d’acteurs concernés
De par son ampleur géographique et matérielle, le projet de transvasement de l’Ebre affecte plusieurs catégories d’acteurs, donc un grand nombre de personnes. En effet l’Ebre traverse la Cantabrie, la Castille-et-León, La Rioja, la Navarre et l’Aragon avant de se jeter dans la Méditerranée en Catalogne, et chacune des provinces où passe le fleuve considère avoir le droit de prélever de l’eau pour subvenir à ses besoins, mais c’est le gouvernement central qui gère la politique de l’eau. Celle-ci doit respecter la Directive Cadre de l’Eau, loi adoptée le 23 octobre 2000 par le conseil et le Parlement Européen, à laquelle l’Espagne adhère ; elle fixe des objectifs à remplir pour une bonne gestion de l’eau. L’Union Européenne a donc un le moyen de contrôler la politique de l’eau du gouvernement espagnol. Ensuite au niveau local en Catalogne c’est l’Agence Catalane de l’Eau qui fait appliquer la politique de l’eau. À ces acteurs il faut ajouter les utilisateurs de l’eau, les entreprises chargées de la purification, l’inspection et la distribution de l’eau, ainsi que la communauté scientifique et de nombreux groupes écologiques : la relative rareté de l’eau en Espagne en fait un enjeu stratégique.
Pour une fiche détaillée des acteurs veuillez consulter l’onglet Acteurs
Les acteurs en faveur du PHN
On pourrait croire qu’il s’agit de tous les utilisateurs de l’eau, mais la situation n’est pas aussi simple, notamment à cause de tensions entre Madrid et Barcelone.
Les agriculteurs, regroupés par la FENACORE (Fédération Nationale des Communautés d’Irrigateurs). Pour les agriculteurs, ce transvasement de l’Ebre apparait comme une aubaine : ils vont obtenir de l’eau à prix bas et sans coûts supplémentaires, puisque c’est l’Etat qui fait construire les nouvelles grandes structures hydrauliques qui leur apporteront de l’eau.
Les agriculteurs ne paient l’eau que leur subventionne l’Etat que 0,03 euros le mètre cube, alors que l’eau provenant d’aquifères coûte entre 20 et 30 centimes pour les agriculteurs, et le coût moyen du mètre cube d’eau en Espagne s’élève à 0,96 euros (en 2006).
De manière générale, les agriculteurs soutiennent les propositions sur l’eau du gouvernement du Parti Populaire, étant plutôt conservateurs par tradition et par intérêt.
Le Ministère de l’Environnement et du Milieu Rural et Marin (ministère de l’environnement espagnol). C’est l’organe du gouvernement qui répond aux interrogations de la Commission Européenne en défendant le projet.
Les acteurs « contre » le PHN
Dès la publication du Plan Hydrologique National en février 2001, un tollé de manifestations y répond; les groupes écologistes et la communauté scientifique rejettent le PHN de manière unanime. La communauté scientifique, représentée par la FNCA (Fondation Nouvelle Culture de l’Eau), regroupant un grand nombre de professeurs universitaires et de chercheurs publient des rapports contre le PHN, critiquant même la raison d’être du PHN, c'est-à-dire le déséquilibre hydrologique en Espagne, et reprochant au gouvernement la marginalisation de la Communauté scientifique dans l’élaboration du projet.
Extrait d’une lettre de la communauté scientifique espagnole au Parlement Européen le 7 novembre 2001, diffusée sur le site internet du groupe écologiste Plateforme de Défense de l’Ebre. (Lien vers la version complète de cette lettre.)
« Dans ce processus, la Communauté scientifique a été marginalisée et ignorée, en violation de l’affirmation du mémorandum du PP. A ce sujet, il faut relever, d'une part le vote unanime et particulièrement critique des cinq scientifiques nommés par le Gouvernement lui-même au sein du Conseil National de l'Eau concernant le PHN, et d’autre part le refus de publier - et même de mettre à la disposition du Parlement et du Conseil National de l'Eau - les 80 avis techniques commandés par le Gouvernement dans des domaines universitaires, avis dans leur majorité clairement critiques envers le PHN. »
Les reproches faits au PHN
Les arguments de la Communauté scientifique contre le transvasement concernent non seulement des aspects techniques du projet, mais aussi la gestion de l’eau telle que la conçoit le gouvernement.
Le PHN se fonde sur des concepts obsolètes. Par exemple la notion de déséquilibre hydrologique entre le nord et le sud de l’Espagne, ou l’idée que l’eau des rivières se perd dans la mer, que l’on trouve dans le PHN, doivent être remplacés par une optique de développement durable. Dans son livre 60 réponses sur le PHN, le docteur de l’Université de Valence Franquet Bernis critique le PHN qui nie les différences climatiques entre les provinces espagnoles et qui rêve à une Espagne où les précipitations seraient les mêmes partout et où les puits fourniraient les mêmes quantités d’eau.
Le PHN privilégie une stratégie d’offre, c'est-à-dire que les provinces peuvent prétendre à disposer des mêmes quantités d’eau quelles que soient leurs caractéristiques géographiques.
Les causes des problèmes de pénurie, telles l’exploitation illégale de puits ou la prolifération de terrains de golfs, ne sont pas analysées.
L’offre de l’eau de l’Ebre crée de nouvelles demandes d’eau auprès des agriculteurs.
Le PHN alimente les déséquilibres territoriaux et pousse à un modèle de développement non durable sur le littoral méditerranéen.
Le bilan économique coût-bénéfice des transvasements de l'Ebre s'avère négatif, en contradiction avec les critères de rationalité économique exigés par la Directive Cadre. En effet les durées d’amortissement et l’énergie productible sont surestimées, alors que les coûts de pompage sont sous-valorisés. De plus les coûts de purification de l’eau de l’Ebre ne sont pas pris en compte. Le coût total du projet s’élève à 18 milliards d’euros.
L’impact environnemental est très grave : inondation de vallées, détérioration de l’état écologique de plusieurs rivières, aggravation de la pollution des eaux et diminution de la quantité de sédiments.
Pourquoi l’eau des fleuves ne se « perd » pas dans la mer ?
L’eau fait partie des écosystèmes et les entretient, elle ne peut en aucun cas être considérée uniquement comme une
ressource pour l’homme. Elle transporte dans les rivières des éléments nutritionnels indispensables à la vie. Dans
le delta de l’Ebre par exemple, si le débit du fleuve était compris entre 100 et 300m3/s (au lieu de 426m3/s en
moyenne), l’eau de mer remonterait dans le lit du fleuve jusqu’à 18km en amont de son embouchure, modifiant la faune
et la flore fluviales.
Les conséquences seraient nombreuses : l’apport en sédiments étant réduit de 90%, le déséquilibre entre l’érosion par
la mer et la déposition de matériels solides par le fleuve provoque le recul des lignes côtières, et la destruction
des écosystèmes du delta et de la faune marine à cause du manque de sédiments. Les sédiments transportés par les fleuves
sont indispensables à la survie de bancs de poissons (sardines et anchois) et à la régénération des plages de la côté
méditerranéenne.
Maria Rosario Vidal-Abarca Gutiérrez, docteur en écologie de l’Université de Murcie
La position de la Généralité de Catalogne
Le texte du PHN semble très favorable à la Catalogne, qui recevrait annuellement 190hm3 d’eau nécessaires pour l’agriculture et la consommation urbaine. Mais les relations entre le gouvernement central et la Généralité de Catalogne sont complexes, la Catalogne tenant à préserver son statut d’autonomie, et Madrid intervenant en Catalogne pour la politique de l’eau, ainsi que le prévoit la constitution. La Catalogne refuse le transvasement d’une part pour ne pas devenir dépendante des décisions du gouvernement central, et d’autre part parce que le delta de l’Ebre serait gravement affecté par le transvasement, or il s’étend sur une surface de 320 km², dont une partie en Catalogne, d’où des conséquences environnementales et économiques pour la région. Elle soutient une alternative ne comportant pas ces problèmes pour s’approvisionner en eau : le transfert d’eau depuis le Rhône.
Le mécontentement de la Province d’Aragon
Dès les premières apparitions de l’idée de transvaser de l’eau de l’Ebre à Barcelone, dans les années 1970, la province d’Aragon, qui est traversée par l’Ebre, s’oppose fermement au transvasement. Entre 2001 et 2003 elle fait appel à plusieurs reprises devant le tribunal constitutionnel pour dénoncer le manque d’intérêt légitime du projet de transvasement.
Document : des éléments du débat. Source : Article de "La Tribune" 27/08/2000
POUR LE P.H.N
La nécessité du projet
« Toute étude des ressources hydrologiques du pays nous démontrera qu'il y a des bassins pour lesquels il n'existe guère de solution sans apport extérieur. Et cela même en multipliant les mesures d'amélioration des infrastructures, d'usage plus intensif des eaux souterraines, de désalinisation, de régulation du cours », souligne Francisco Cabezas, qui a coordonné depuis le ministère de l'Environnement l'équipe qui a rédigé le PHN. « Nous ne voulons nullement assécher l'Ebre, mais bien utiliser une partie de son eau excédentaire pour résoudre un problème qui n'offre pas d'autre solution ».
Les équilibres naturels
Au ministère de l'Environnement, Francisco Cabezas se défend : « Il est faux que nous n'ayons pas pris en compte les critères écologiques, comme l'établissement d'un taux minimum de renouvellement pour chaque bassin, en dessous duquel il est exclu de descendre. Mais il s'agissait de parvenir à un moyen terme entre diverses préoccupations tout aussi légitimes l'une que l'autre. Notre critère, d'ailleurs, n'est pas purement productiviste : nous ne voulons pas stimuler avec le transvasement l'installation de nouvelles cultures irriguées dans le Levant, par exemple, mais seulement empêcher la disparition de celles qui existent déjà. Sinon, nous n'aurions pas établi de limitation à la superficie irriguée. »
Le prix
« Je ne connais aucune région où l'agriculture d'irrigation ne soit pas subventionnée, en commençant par la Californie tant citée en exemple », rétorque Franciso Cabezas. « Nous voulons aller vers un rapprochement entre coûts et prix, mais toute politique en ce sens doit être progressive. La conscience sociale, d'ailleurs, va dans cette direction : même les organisations d'agriculteurs reconnaissent aujourd'hui que l'extension des zones irriguées ne peut pas être indéfinie. » Le PHN représentait-il l'occasion rêvée... mais finalement perdue pour aborder enfin ce dossier explosif ?
Madrid et Murcie
A Madrid, on s'efforce, sans grand succès, de tempérer l'ire aragonaise. « Aujourd'hui, ce n'est pas l'eau qui détermine les mouvements de population, mais bien le contraire », assure au ministère de l'Environnement Francisco Cabezas, le coordinateur du PHN. « C'est l'eau qui va là où se trouvent les consommateurs. Personne ne quitte sa région pour un transvasement. » Mais c'est dans la région de Murcie, mise tout particulièrement sur la sellette, que l'on se défend avec le plus de vigueur des accusations aragonaises. « Nous ne voulons pas le transvasement pour accroître notre superficie irriguée, mais bien pour éviter la mort des cultures existantes », souligne Alfonso Galvez, président d'Asaja à Murcie. « Je suis agriculteur, et comme tel j'étais opposé à ce qu'une limite soit imposée aux nouvelles cultures irriguées dans notre région. Mais j'ai dû céder pour faciliter un consensus national. Chacun doit savoir transiger. » Et d'ajouter : « Et puis, nous sommes fatigués de nous voir accusés de gaspiller les ressources naturelles. L'image de l'agriculteur de Murcie les pieds dans l'eau après avoir inondé ses champs n'est plus qu'un cliché. Nous avons dépensé des milliards de pesetas pour moderniser nos systèmes d'irrigation. Mais la question de fond, c'est que, dans notre région, avec sept mètres cubes d'eau à peine, on crée un emploi dans l'agriculture. Ce qui n'est vrai dans aucune autre zone du pays. » Ce sont décidément bien des débats fondamentaux sur le modèle de développement de l'Espagne que pose aujourd'hui en filigrane la bataille de l'eau !
CONTRE LE P.H.N
Le professeur Narcis Prats, qui enseigne à l'université de Barcelone et est reconnu comme l'un des grands spécialistes de l'Ebre, rétorque : « La notion d'excédent, en matière hydrologique, est douteuse : c'est une invention d'ingénieur ou d'économiste, qu'un spécialiste de l'environnement ne partage pas. Le delta de l'Ebre, par exemple est déjà en difficulté aujourd'hui : la salinisation augmente, tout comme la présence d'algues. Un quart de la superficie du delta est en train de s'effondrer lentement parce qu'elle est trop à raz du niveau de la mer. Seuls les sédiments peuvent freiner le processus, mais ce sera impossible si le niveau d'eau douce charrié par le fleuve se réduit, que ce soit à cause du transvasement ou de nouveaux barrages ».
Professeur d'écologie à l'Université autonome de Madrid, Carlos Montes renchérit : « Le Plan est inspiré par des notions du début de ce siècle, lorsque l'Espagne connaissait les âfres de la faim et l'encouragement à l'agriculture constituait la grande priorité nationale. Aujourd'hui, la situation est tout autre et il faut prendre en considération d'autres variables, comme le maintien des équilibres naturels. Les bassins constituent un écosystème en soi, avec son propre système d'autorégulation, et on ne peut pas allégrement transvaser l'eau de l'un à l'autre en calculant simplement la somme arithmétique des excédents et déficits supposés. » Et de conclure : « Le PHN est un plan d'ingénieurs. Qui bénéficie en outre de l'appui des constructeurs, des compagnies hydroélectriques et des agricultures, c'est-à-dire de trois lobbies au pouvoir déterminant. »
« Le PHN n'aborde que la question de l'offre et ignore la gestion de la demande », affirme le professeur Narcis Prats. Et son collègue Carlos Montes précise : « Nous sommes un pays au climat méditerranéen qui se permet de gaspiller le liquide. Il faut en finir avec la notion obsolète qui veut que l'eau soit une ressource illimitée et gratuite. » Le consommateur espagnol, en effet, ne paye pas la matière première, mais seulement l'amortissement des infrastructures qui permettent de capter, canaliser, transporter et rendre potable le liquide. Les fortes disparités entre situations hydrologiques des régions espagnoles expliquent d'ailleurs que le prix de l'eau pour la consommation urbaine (fixé par les mairies) enregistre d'énormes différences selon les villes.
L'Aragon
Au lieu d'apporter le développement là où se trouve l'eau, le gouvernement de Madrid veut apporter l'eau là où se trouve déjà le développement. C'est la redistribution à l'envers ! » Président du gouvernement régional d'Aragon, le socialiste Marcelino Iglesias fulmine. Comme tous ses administrés d'ailleurs. Sa région a en effet conscience d'être la plus affectée, et de loin, par le PHN. Celle qui, à travers le transvasement de l'Ebre, apportera la contribution la plus lourde. « Il existe d'autres méthodes », bougonne Marcelino Iglesias. « On peut recycler davantage l'eau utilisée tant dans les villes que les campagnes, dessaler, moderniser les systèmes d'irrigation les plus dispendieux comme ceux par inondation. Mais le Plan se limite dans la pratique à un transvasement. » Son ministre régional de l'Environnement, Victor Longás, n'est pas en reste. « Les agriculteurs de Murcie exigent l'eau pour accroître encore leur rendement, tandis que ceux d'Aragon la veulent tout simplement pour survivre. Le transvasement aura pour seul effet d'accroître encore la demande : la région de Murcie a déjà promulgué quatre lois successives augmentant la superficie maximum d'irrigation autorisée. Va-t-elle en élaborer maintenant une cinquième ? On ne peut analyser le problème de l'eau uniquement en termes de rentabilité : il faut aussi parler d'égalité de droits. » « Le Plan enrichit les riches aux dépens des pauvres », assure pour sa part Rafael Escamero, président en Aragon d'une des principales organisations agraires, Asaja, qui s'est divisée en deux sous l'impact de la polémique. « Qu'est-ce qui empêche que les cultures sous serre d'Almería se réalisent ici : nous avons le même niveau d'ensoleillement. Il est à tout le moins paradoxal de stimuler l'irrigation dans les régions qui n'ont pas d'eau et de la négliger dans celles qui en disposent ! » « La politique hydrologique constitue l'une des bases de la politique de développement territorial », souligne Marcelino Iglesias. « Et les choix du gouvernement de Madrid dans ce domaine vont aggraver les déséquilibres. Demain, 80 % du territoire espagnol, c'est-à-dire tout le centre, risque de se voir converti en une espèce de tiers-monde intérieur fournissant la matière première et la main d'oeuvre à un arc méditerranéen qui sera asphyxié par un développement trop intensif. Nous sommes en train d'assister à une désertification démographique de zones entières de l'Espagne, au premier rang desquelles la nôtre, et le PHN ne fera que l'accélérer. » Un problème aujourd'hui au centre de toutes les préoccupations à Saragosse : face aux 77,6 habitants par kilomètre carré qu'enregistre l'Espagne, l'Aragon n'en compte que 24,9, une densité qui descend même au niveau dramatique de 9,3 dans la province de Teruel, qui a perdu entre 1981 et 1996 quelque 10 % de sa population. La main-d'oeuvre s'enfuit vers le littoral et sa rente de situation.
La décision revient à l’Union Européenne
Entre le gouvernement espagnol qui défend son projet, et la Catalogne et la communauté scientifique qui le rejettent, soutenues par les groupes écologistes, qui tranche ? La législation européenne prévoit que la Commission Européenne approuve le projet avant qu’il soit réalisé, en s’appuyant sur les critères établis par la Directive Cadre de l’eau. Cette loi, adoptée le 23 octobre 2000 par le Conseil et le Parlement Européen est une disposition visant à promouvoir une meilleure gestion de l’eau en Europe par les moyens suivants :
La récupération et la conservation du bon état écologique des rivières, lacs et aquifères, respectant des critères physico-chimiques, biologiques et morphodynamiques.
Le bassin hydrographique est le cadre territorial de la gestion de l’eau. Les eaux côtières doivent être intégrées dans ce cadre, ainsi que les deltas et les estuaires.
Mise en place de nouveaux critères de rationalité économique, avec la mise en place d’ici 2010 de prix de l’eau incitant l’épargne.
Favoriser une participation citoyenne active pour la recherche efficace et solide de résultats. L’Union Européenne a d’autant plus de poids dans sa position d’arbitre de la controverse que c’est elle qui doit financer le projet de transvasement.
Extrait d’une lettre de la Commission Européenne au gouvernement espagnol du 23 mai 2002 :
« la Commission a reçu un grand nombre de plaintes, tant d'ONGs que de citoyens, ainsi que diverses demandes et pétitions du Parlement Européen, sur le Plan Hydrologique National Espagnol (PHN). Toutes ces demandes parlementaires, pétitions et plaintes posent la question de savoir si le Plan, et en particulier le transvasement de l'Ebre, remplit les exigences de la politique et de la législation environnementale européenne existante. […] La finalité de cette lettre est d'exprimer les points sur lesquels la Direction Générale de l'Environnement considère qu'il existe des motifs de préoccupation sur le respect de la législation communautaire, et d'inviter également les autorités espagnoles à fournir une information supplémentaire spécifique à ce sujet. »
L’élection de Zapatero clôt momentanément l’affaire
Le dossier se trouve encore en suspens lorsque Zapatero est élu 1er ministre en mars 2004, et dès le 18 juin, le conseil des ministres annule le PHN, le remplaçant par le programme AGUA (Action pour la Gestion et l’Utilisation de l’Eau) qui prévoit la production de 621 hm3d’eau douce par an grâce à la construction d’usines de dessalement. Mais le problème de l’approvisionnement en eau de Barcelone n’est pas résolu puisque l’usine destinée à alimenter la métropole n’entrera en service qu’en juin 2009.
Suite de la controverse : la controverse en 2008