La fair value engendre la procyclicité |
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Qu’il s’agisse des acteurs en faveur des normes
comptables suivant la méthode mark-to-market ou ses opposants, il est
reconnu, que la comptabilisation par la fair value a amplifié les cycles
économiques : on parle de procyclicité. Ce nouveau système de
valorisation a pu favoriser la procyclicité, mais il présente cependant
des avantages certains. Pourquoi la fair value accentue la tendance actuelle des cours ?
Pour commencer, étudions le comportement d’une valeur
estimée par la fair value au cours des dernières années. Exemple d’obtention de fair
value en fonction du marché (en bleu turquoise). On voit que celle-ci
est exactement la moyenne du prix de la demande (vert) et du prix de
l’offre (rouge). L’activité économique réelle de l’entreprise entre
pour peu dans le calcul de sa valeur. Cette remarque prend d’autant plus
d’importance, que la fair value sert essentiellement à calculer la
valeur intrinsèque d’un actif et les fluctuations de son prix à court
terme n’ont donc aucune importance en théorie. On constate pourtant en
pratique que l’investisseur est à l’affût du moindre signe lui indiquant
qu’un actif va prendre ou perdre de la valeur. La fair value
accélèrerait donc l’instabilité d’un titre, car, en indexant la valeur
comptable sur la valeur de marché, on conforte la vision qu’a
l’investisseur du titre. C’est un peu comme si on lui disait : « Tu
avais raison, tu penses que le prix va baisser, donc la valeur comptable
doit baisser ». On obtient donc le cycle décrit par le schéma
suivant. La baisse constatée du prix de marché d’un titre, entraine sa
dépréciation en valeur comptable à la valeur de marché, ce qui suscite
la méfiance des investisseurs et se traduit par une tension sur les
produits de couverture (les marchés dérivés). Ces éléments alimentent
alors une nouvelle baisse du marché du titre… Par conséquent, la juste valeur accroit la tendance
actuelle du comportement de l’investisseur. Ceci serait très bénéfique,
si les marchés étaient parfaits au sens économique du terme. En effet,
le prix d’un actif aurait tendance à converger vers sa véritable
valeur, donnée comme équilibre de l’offre et la demande. Hélas,
certaines imperfections de marché viennent troubler cette théorie et le
débat autour de « fair value et procyclicité » pourrait se résumer
ainsi : peut-on continuer sur ce modèle avec des imperfections qui font
que la fair value génère de la procyclicité ? La fair value renforce la procyclicitéLe problème majeur que relèvent, à juste titre, les opposants à la fair value est que le marché est essentiellement composé d’acteurs humains, qui se fondent essentiellement sur les cours actuels pour acheter ou vendre. La fébrilité, lorsque les cours sont en hausse, et la frilosité, en cas de baisse, créent une certaine procyclicité, qui fait sortir le marché de sa convergence vers l’équilibre à la valeur réelle du produit. Dans ce contexte, Jacques Mistral, directeur des études économiques de l’IFRI –institut français des relations internationales- résume lors de débats le 11 septembre 2008 à Lisbonne : « En mettant des modèles économiques dans la tête de tous les acteurs
de l’économie, les économistes ont ouvert une boîte de Pandore : dans
cette conception, il existe une infinité d’équilibres de marchés
possibles. On est bien loin de l’ajustement automatique exposé dans les
théories libérales de l’école autrichienne. La cyclicité des marchés,
alternant des phases significatives de hausse et de baisse, n’a rien
d’une fluctuation erratique ou marginale vers un optimum de marché : ces
mouvements proviennent de comportements rationnels. » Cette dernière phrase s’explique par le phénomène
suivant : lorsqu’un investisseur fait des bénéfices, il aura tendance à
prendre plus de risques et en cas de problème, il sera très prudent. Ces
phases d’engouement ou de désintéressement font fortement fluctuer le
marché et nuisent à la stabilité de la fair value. C’est le même
processus, lorsque l’état fait des annonces par exemple d’indicateurs
économiques : une bonne nouvelle fera monter les cours… Schéma qui met en évidence l’importance de la vision de l’investisseur (et donc de sa frilosité) en fonction des fluctuations d’un titre. Ces
imperfections du marché et des investisseurs sont en fait peu ressenties
en temps normal ; mais, en période de crise, leurs effets deviennent non
négligeables et la fair value perd de sa crédibilité. Elle accentuerait
donc la procyclicité, si l’on en suit ce raisonnement. Ce pont de vue est partagé par la grande majorité des
économistes et beaucoup n’hésitent pas à dire comme Mireille
Bertelot –
associée de Deloitte- « Il est indéniable que ces normes ont joué un
rôle procyclique ». Cependant, d’autres économistes défendent la
valorisation sous forme de juste valeur. Les défenseurs de la fair value
Face à ces accusations, les
économistes en faveur du
mark-to-market réagissent différemment. Pour eux, le dispositif
comptable est absolument irréprochable, car il ne pose aucun problème en
dehors des temps de crise. En période de crise, la valorisation mark to
market fait en sorte que les bilans des banques reflètent exactement
l’étendue de la crise avec comme valeur des actifs une valeur de
transaction effectivement constatée sur les marchés et ceci
indépendamment de toute valeur intrinsèque estimée. Ce point de vue est
notamment partagé par Nicolas Véron, économiste chez Bruegel : « On accuse le recours à l’évaluation en Juste Valeur
d’introduire un élément de procyclicité. En tant que tel, cet argument
paraît peu recevable. La comptabilité a pour vocation de donner une
image de la situation des firmes dans des conditions de marchés données.
Les alternatives à la Juste Valeur amèneraient sans doute à une
situation absurde où les bilans des banques indiqueraient qu’il n’y a
pas de crise ! ». Ils avancent de plus le fait que la fair value est un
formidable instrument qui synthétise toute l’information de marché,
malgré la complexité de ce dernier. Selon eux, la seule information de
prix permet de palier à la nécessité de faire des modèles, car il tient
compte de tous les
comportements des acteurs. Cela n’était pas le cas du modèle précédent
de coût historique amorti. En effet, ce modèle ne prenait pas en compte
aussi précisément des fluctuations de marché, au contraire il les
filtrait. Il y a donc un gain en lisibilité et transparence. Pour ces comptables, le problème pourrait se situer
ailleurs : la procyclicité et la crise ne sont pas le fait des normes
comptables, mais plutôt celui les normes prudentielles. Autrement dit,
la façon de comptabiliser à une valeur de marché est bonne, mais les
ratios de fonds propres des banques sont mal établis quand ils
s’appuient sur cette même valeur de marché. Cette approche conduirait
alors au retraitement des états comptables pour élaborer les états
règlementaires des établissements financiers. C’est l’argument
qu’invoque Nicolas Véron : « Un problème demeure : l’usage de la valorisation
aux prix de marché oblige les banques, pour satisfaire aux exigences de
capitalisation, à vendre des actifs qu’elles n’auraient sans doute pas
eu à vendre si l’on avait eu recours à la valorisation en juste valeur.
Sur ce point, la question ne semble pas porter sur la comptabilité, mais
sur la formulation des ratios prudentiels. Il faut plutôt souhaiter une
réforme de Bâle II, que de la comptabilité ! » Au final, on peut résumer les arguments des deux
partis sous la forme du tableau suivant :
Tableau récapitulatif des principales
caractéristiques en rapport avec la procyclicité de la fair value. |
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