Les défauts du ratio Cooke : vers un nouveau ratio de solvabilité

Nécessité de mettre en place des normes prudentielles plus sensibles au risque 

Les crises bancaires systémiques sont depuis longtemps considérées dans les pays industrialisés comme désastreuses, parce qu’elles affectent non seulement des banques illiquides et insolvables, mais aussi des banques solvables devenues illiquides par contagion. L’intervention d’un prêteur en dernier ressort, en général la banque centrale du pays, suffisait à restaurer la stabilité financière. On a observé cependant qu’ainsi protégées, les banques ont été incitées à prendre plus de risques et les défaillances d’établissements insolvables se sont multipliées ces dernières décennies. Ces défaillances ont ainsi fait peser des menaces sur la stabilité financière. Les dommages aux déposants et à l’économie ont atteint des montants exorbitants, souvent plusieurs points de pourcentage du PIB de ces pays.

Ces dysfonctionnements ont montré que la solvabilité des banques doit être surveillée par les autorités de régulation, avec la préoccupation constante de détecter précocement les changements de leur profil de risque. C’est dans cette optique, que s’est fait jour la nécessité d’inventer une nouvelle politique prudentielle plus soucieuse de moduler le besoin en fonds propres réglementaires des banques en fonction de leurs risques, plus exigeante en matière de publication d’informations sincères et pertinentes destinées aux investisseurs (y compris les déposants), et plus rigoureuse dans le respect de la conformité des pratiques bancaires avec les règles édictées par les autorités de supervision et de contrôle.

L’ensemble de ces préoccupations conduit à une question clé, celle de la possibilité d’observer à tout instant la juste valeur de la  (c’est aussi la vocation des normes IAS 32 et IAS 39, cf. la page traitant des normes IFRS) et son profil de risques. Ceci doit permettre à un investisseur possédant des connaissances de base en matière de gestion de l’entreprise de pouvoir « lire » directement les risques portés par l’établissement de crédit et sa santé financière.

La plus grande transparence voulue par ces normes doit conduire à une réelle discipline de marché, où des établissements en situation délicate sont sanctionnés par le marché par des conditions de refinancement moins favorables.

L’architecture générale du Nouvel Accord de Bâle

 

En réponse aux principales nécessités formulées dans le paragraphe ci-dessus, le dispositif  Bâle II repose sur trois piliers : exigences minimales de fonds propres, surveillance par les autorités prudentielles, transparence et discipline de marché.

Les accords de Bâle I, proposés en 1988 par le Comité de Bâle et signés par les gouverneurs des banques centrales et les responsables de la supervision et du contrôle bancaire de la plupart des pays du G-10, préconisaient une harmonisation des bases juridiques en matière de surveillance bancaire et imposaient un coefficient minimum de fonds propres de 8% homogène au niveau international : le ratio Cooke, qui fut adopté en 1992 comme ratio de solvabilité commun à tous les pays de l’Union Européenne.

 

 

Cependant, bien qu’il constitue un premier pas en matière d’évaluation quantitative de la solvabilité,  le ratio Cooke ne prend pas suffisamment en compte les différents risques pris par les banques au travers de leurs actifs. En effet, la classification des risques en quatre catégories seulement, en fonction de la nature de l’emprunteur et les pondérations de risque fixes correspondantes, ne tenaient pas suffisamment compte de la qualité réelle des actifs détenus. De plus, il était possible pour les établissements de procéder à des arbitrages entre les risques potentiels. Ainsi, pour réduire leur charge en immobilisation de fonds propres, les banques n’hésitaient pas à préférer acquérir des actifs réputés sans risques (les titres de dette souveraine émis par les États de l’OCDE), plutôt que continuer à accorder des crédits à des projets supposés plus risqués parce que portés par des entreprises privées. Les nouvelles techniques de diminution des risques, telles que la titrisation des crédits ou les produits dérivés sur les risques de crédit, étaient ignorés. Les risques opérationnels, qui comprennent les erreurs des opérateurs humains ou automatiques et les évènements qualifiés d’ « extraordinaires », n’étaient pas pris en compte.

Afin de pallier tous ces manques, le dispositif de Bâle II a, entre autres, créé un nouveau ratio de solvabilité : le ratio Mc Donough, calculé en pondérant le actifs selon le profil de risque associé à la catégorie de la contrepartie : grandes entreprises, États et administrations publiques, banques, particuliers et petites entreprises.

Tout d’abord, là où l’ancien ratio minimum de fonds propres ne couvrait que deux types de risques dans la définition des actifs pondérés, le risque de crédit et le risque de marché, l’accord Bâle II comporte des changements substantiels du traitement du risque de crédit, le maintien inchangé du dispositif de 1996 sur le risque de marché et l’introduction explicite du risque opérationnel qui conduit à inclure une mesure de ce risque au dénominateur du ratio de fonds propres d’une banque.

Afin de mesurer leur risque de crédit, les banques ont le choix entre trois options qui déterminent en conséquence le niveau de fonds propres requis : elles peuvent utiliser d’une part les évaluations externes d’agences de notation reconnues : c’est l’approche standardisée. D’autre part elles peuvent utiliser leurs modèles de notation interne  en adoptant :

-soit une approche simple, c’est la notation « Fondation », en anglais  IRB-F pour Internal Ratings Based Approach Foundation.

-soit une approche complexe, c’est la notation « Avancée », en anglais  IRB-A pour Internal Ratings Based Approach – Advanced.

L’approche standardisée

La pondération des risques est plus diversifiée que dans le ratio Cooke puisqu’elle est désormais échelonnée sur la base des notations externes d’agences de rating reconnues. Prenons comme exemple les notations (simplifiées) de l’agence de Standard & Poor’s :

 

 

Notation

/Pondération du risque selon la contrepartie

AAA

AA,  A+

A- , BBB+

BBB-,  BB+

B- ,  Inférieur à B-

Sans notation

État    

 

0

20

50

100

150

100

Banques    

 

20

50

50

100

150

50

Entreprises   

 

20

50

100

100

150

100

Particuliers

 

 

 

 

 

 

75

 Tableau des exigences en fonds propres selon la notation Standard & Poor’s

 

 

 

Si l’entreprise n’a pas de notation externe, ce qui est le cas des PME, la banque doit appliquer une pondération de 100 %. Le traitement de tous les types d’actifs est prévu.

 

L’approche notation interne (IRB Approach)

C’est la deuxième façon d’évaluer le risque de crédit sur la base, cette fois, des évaluations ou notations internes des banques. Cette méthode est réservée aux établissements disposant d’un savoir faire reconnu par leurs autorités de contrôle en matière de mesure et de gestion des risques. Pour calculer la pondération du risque, la banque doit calculer cinq paramètres pour chaque crédit :

 

• La probabilité de défaillance (PD). La règlementation pose qu’un défaut est enregistré lors de la première occurrence d’un non paiement face à une obligation financière, quelle qu’elle soit.  Cette probabilité est généralement observée par le biais d’une notation donnée par la banque.

• L’exposition en cas de défaut (ECD).  Elle correspond au montant dû par la contrepartie au moment où elle fera défaut sur un engagement donné à un horizon correspondant à celui utilisé pour la probabilité de défaut.

• Le taux de recouvrement (TR). Il mesure la part du montant de l’exposition au moment du défaut que la contrepartie sera à même de rembourser.

• Le taux de perte en cas de défaut (PCD). Il est défini simplement comme le complémentaire du taux de recouvrement.

• La durée du crédit (M)  il s’agit du délai imparti à l’emprunteur pour honorer ses engagements.

 

Ces paramètres sont ensuite pris en considération dans les fonctions utilisées pour le calcul des actifs pondérés du risque.

 

Dans l’approche notation interne simple IRBF, la banque estime elle-même la probabilité de défaillance de ses débiteurs, mais utilise les valeurs fournies par l’autorité de contrôle pour les autres paramètres de calcul des risques.

Dans l’approche notation interne complexe IRBA,  tous les paramètres sont évalués par la banque elle-même. Ce dispositif nécessite évidemment un investissement assez conséquent de la part de la banque, puisqu’elle doit assurer elle-même la récolte de données sur un historique de 5 années et le traitement de toutes les informations nécessaires à l’obtention d’un modèle interne conforme aux exigences des régulateurs. En contrepartie d’une meilleure connaissance par une banque de ses risques grâce à ses modèles internes, le comité de Bâle tolère que son exigence en fonds propres réglementaires soit moins élevée avec la méthode de notation interne qu’avec la méthode standard.

 

 

Comparaison des différentes approches : Un crédit d’1 million d’euros accordé à une entreprise notée BBB est pondéré à 17,5 % pour un taux de perte estimé de 10 %, et à 87 % pour un taux de perte de 50 %. Les actifs pondérés du risque s’élèveront à 175 000 euros dans le premier cas et à 870 000 dans le second ; 8 % de ces sommes devront être couverts par des fonds propres, soit respectivement 14 000 et 69 500 euros.

À titre de comparaison, l’approche standardisée, de même que Bâle I, exigeraient dans ce cas une couverture en fonds propres de 80 000 euros. Bien entendu, cet exemple ne suffit pas pour conclure que le nouveau dispositif Bâle II est, en toute circonstance, moins coûteux en fonds propres pour la banque, tant le nombre de combinaisons possibles des paramètres est élevé. Il est simplement plus adapté au profil de risque de la contrepartie.

 

Source : Dominique LACOUE-LABARTHE,

Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux IV et Directeur du GRAPE-UMR CNRS 5113