Faut-il aller vers une compatibilité sectorielle ?

Nous avons déjà vu que la fair value, de par sa définition (cf. le point objectif sur le fair value) ne peut se servir à valoriser que des actifs placés sur des marchés actifs. Il faut donc d’autres outils de modélisation pour évaluer des actifs qui ne peuvent pas (ou plus comme c’est le cas en cas de crise) être côtés de façon fiable. On peut donc, pour pallier ce problème,  utiliser le coût historique amorti ou des algorithmes de modélisation de marché. Néanmoins, cette nécessité soulève une problématique autour de la fair value : 

Si la valorisation par coût de marché ne peut être appliquée partout, où faut-il placer la limite entre ce qui doit être évalué selon la norme IFRS 7 et ce qui ne peut l’être ?


ou, posée différemment : 

Faut-il aller vers un dispositif comptable sectoriel, c’est-à-dire adapté à chaque cas ?   

A cette réflexion s’ajoute le problème qu’amène la recherche de profit et d’indépendance des banques. Celles-ci, si elles ont compris la nécessité du dispositif prudentiel, préféreraient avoir un dispositif comptable et prudentiel commun à toutes les banques du monde afin d’assurer une concurrence optimale. Dans l’idéal, il serait aussi intéressant pour elles de pouvoir valoriser leurs actifs à partir de leurs modèles numériques (méthode mark-to-market) et non avec la fair value (méthode mark-to-model). C’est pour cela que lors de la crise les banques, poussées par l’état et le public pour relancer le crédit, ont demandé des amendements à l’omniprésence de la valorisation de marché. Il est donc ressorti de la crise une certaine latitude qui a été laissé aux banques étant donné le cas de forces majeures. Notons néanmoins que l’action de l’état a été au plus fort de la crise en faveur d’une modification des normes, cela est relativement temporaire car rappelons le, les normes IFRS ont été introduites après une initiative de l’état. En revanche, il est aujourd’hui clair que les banques préféreraient la méthode d’évaluation mark-to-model avec un dispositif sectoriel comme c’est plus ou moins le cas aux Etats-Unis où il existe trois types d’évaluation avec une juste valeur plus ou moins importante selon les cas.




Lors de la crise, les bureaux d’élaboration des normes comptables américain (FASB) et pro-européen (IASB) ont alors eu une attitude radicalement différente face à la pression des banques et de l’état. Alors que le bureau américain entamait des modifications dans les normes IAS, les membres du bureau de l’IASB restaient réservés pour ne pas avoir à affronter la tempête. On a alors par exemple pu lire dans les déclarations de la FASB (équivalent américain de l’IASB) en septembre 2008 : « Dans certains cas, utiliser des données non observables pourrait être plus approprié qu’utiliser des données observées (sur un marché fiable) » ou « La détermination de la juste valeur requiert du discernement –de la part des banques alors que la valeur ne doit pas se calculer ». 

Il est remarquable de noter que le bureau américain faisait de nouvelles modifications pour aller vers des normes plus sectorielles, son équivalent européen les adoptait un peu plus tard en prétextant une mise à niveau pour favoriser la concurrence. Notons ici que c’est le langage exact que pourrait tenir une banque. Voici la citation exacte de l’IASB en octobre 2008 qui tranche relativement avec sa position habituelle pro fair value ; à croire que la pression a fait son office
: « Dans le souci d’éviter une distorsion dommageable entre les banques européennes et américaines qui disposent déjà de cette facilité en norme FAS et qui n’allaient pas, dans la conjoncture présente, réclamer un ajustement sur la pratique européenne, nous autorisons à titre exceptionnel le changement de catégorie comptable pour les actifs financiers. ». 

Evolution de la position de l’IASB sur les normes sectorielles. Elle montre à quel point un point de vue sur un sujet peut changer en fonction des événements extérieurs. 

Cependant, il ne faut pas croire que cette possibilité laissée aux banques a été utilisée par toutes. Un nombre restreint partage la pensée d’UBS : « Nous y avions pensé [à adopter une reclassement permis], mais il est devenu clair que nous devions aussi indiqué au marché que nous avions choisi de faire ce reclassement et de lui montrer la différence. Le marché allait juste dire : « je peux tout voir de travers ! » ». Pour François Meunier, directeur adjoint de la Coface, ceci n’est pas une bonne nouvelle pour autant. A force de créer des situations en marge de l’application stricte des normes IFRS que ce soit à vouloir tout faire en fair value comme UBS ou en mark-to-model comme d’autres, on en arrive à ce qu’il appelle un risque de « course vers le moins disant ». En effet, les régulateurs ne demandaient pas l’évaluation à la juste valeur à tout prix (même quand il y a crise d’illiquidités), il fallait simplement s’en tenir aux normes instaurées et ne pas créer de spécificité à force de donner trop de marge de manœuvre aux acteurs.
 

Cela est d’autant plus vrai que les opposants à la juste valeur profitent de cette possibilité accordée aux banques concernant le maniement des comptes –alors même qu’ils la demandaient !- pour accuser la fair value de ne pas être capable de proposer un dispositif fiable. Cela s’explique par le fait que cette controverse mobilise un grand nombre d’acteurs dans les deux camps et les arguments peuvent différer : en fait toute faille dans la théorie que l’on voit comme moins pertinente va être dénoncée. Il est simplement à regretter que parfois ces problèmes soient abordés d’une manière non constructive car il est reconnu par tous qu’une norme comptable est nécessaire ; il est donc d’un intérêt commun de chercher à l’améliorer.