Les agences de notation

 Avec les accords de Bâle II, les agences de notation ont joué, malgré elles, un rôle dans cette crise. Elles ont pour rôle d’évaluer, selon une échelle de risque, la probabilité de défaillance d’une entreprise quelle qu’elle soit. L'échelle de notes s'articule entre les notes "investment" (extrêmement solides à solides, AAA à BBB) et les notes "speculative", également appelées junk bonds. Ces notes (cf tableau ci-dessous) font office de référence, elles classent la qualité des différentes émission et conditionnent les taux auxquels les sociétés pourront emprunter de l'argent aux banques ou en faisant appel aux marchés obligataires.

Moody’s

Standard and Poor's

Commentaire

Aaa

AAA

Le risque est quasi nul, la qualité de la signature est la meilleure possible.

Aa

AA

Quasiment similaire à la meilleure note, l'émetteur noté AA est très fiable.

A

A

Bonne qualité mais le risque peut être présent dans certaines circonstances économiques.

Baa

BBB

Solvabilité moyenne

Ba

BB

A partir de cette note, l'affaire commence à être spéculative. Le risque de non remboursement est plus important sur le long terme

B

B

La probabilité de remboursement est incertaine. Il subsiste un risque assez fort.

Caa

CCC

Risque très important de non remboursement sur le long terme.

Ca

CC

Très proche de la faillite, emprunt très spéculatif.

C

D

Situation de faillite de l'emprunteur.

 

Avec cette note, le rôle premier des agences de notation est de réduire ce que les économistes appellent les asymétries d’information sur les marchés financiers : entre des émetteurs de dette ayant tout intérêt à assurer de leurs capacités de remboursement et des investisseurs ne disposant pas toujours des équipes d’analystes pour étudier dans le détail les émissions, les agences fournissent une opinion sur la capacité des émetteurs à ne pas faire défaut. Le rôle des agences est devenu essentiel car la réglementation a, de facto, rendu obligatoire pour un émetteur d’être noté avant de se présenter sur les marchés.

Cette technique de notation propre aux agences de notation a été étendue par la règlementation Bâle II à l’ensemble des établissements de crédit. Même si la règlementation  prévoit l’existence de notation interne, les régulateurs sont très attentifs à ce que les modèles internes ne défèrent que peu des éléments fournis par les agences, qui apparaissent comme des références en la matière. De plus les modèles internes doivent intégrer très rapidement dans leur notation des dégradations de notes opérées par les agences.

Or, et c’est en cela que les agences de notation interviennent dans la controverse, la réglementation prudentielle en vigueur depuis Bâle II leur fait tenir un rôle important, puisqu’il influe directement (par d’éventuelles provisions) et indirectement (par les exigences de fonds propres) sur les fonds propres des banques

De plus, officiellement les notes publiées par les agences ne sont que des opinions et non des labels ou autres garanties scientifiques. Cependant de simples experts, les agences de notation sont devenues avec l’instauration de la réglementation prudentielle actuellement, des quasi-régulateurs de la titrisation et des produits structurés (Un produit structuré est un produit conçu par une banque pour satisfaire les besoins de ses clients. C'est souvent une combinaison complexe d'options, de swaps, etc .... basée sur des paramètres non cotés, définition de Vernimmen). Elles fournissent aux banques qui créent ces produits structurés leurs méthodes et leurs modèles pour évaluer le risque de défaillance. Elles peuvent dès lors apparaître comme juge et partie.

Les accusations portées contre celles-ci

Depuis le début de la crise, de nombreuses accusations ont été portées à l’encontre de ces agences.

Il leur est tout particulièrement reproché leur supposée responsabilité dans la crise des subprimes et plus généralement dans celle de la titrisation. Sont ainsi en cause :

-          leur absence de réelle d’indépendance pour noter des structures qu’elles avaient contribué à élaborer

-          l’utilisation d’une même échelle de notation pour ces produits structurés et pour les produits obligataires classiques alors même que la nature des produits et des risques est bien différente.

Leur absence d’anticipation, notamment de la crise de liquidité, qui pouvait résulter des mécanismes de titrisation, a été vivement reprochée. L’illustration la plus remarquable en est que peu avant sa banqueroute Lehman Brother était encore noté « A » et que la plupart des établissements qui ont été sauvés par les Etats en septembre 2008 gardaient encore une notation « investment grad »...

De nombreuses voix se sont également élevées contre ces agences et leur mode de rémunération. En effet, les opinions qu’elles émettent sont censées être indépendantes. Or depuis les années 70, les agences sont rémunérées par les émetteurs alors qu’elles l’étaient auparavant par les investisseurs qui leur déléguaient ainsi une partie du travail de traitement de l’information. On estime aujourd’hui que 90% des revenus des agences proviennent des commissions facturées aux émetteurs de dette. Avant la crise des subprimes, près de 50% du revenu des agences provenait des produits structurés, produits dont elles avaient en amont, contribué par leurs conseils à la structuration.

Afin d’illustrer le propos, il est intéressant de citer le rapport d’information du député du Nord, M. Sébastien Huyghe, consacré aux « défaillances de la régulation bancaire et financière ». La commission des Lois de l’assemblée nationale a adopté le 23 décembre 2009 ce rapport qui concluait les travaux d’une mission d’information parlementaire présidée par le député des Ardennes et président de la commission M. Jean-Luc Warsmann :

« Proposition 16 : «  Afin d’améliorer la transparence de l’information financière, obliger les agences de notation, d’une part, à utiliser une échelle de notation différente selon qu’il s’agit de produits structurés complexes ou de produits simples et classiques et, d’autre part, à affiner leurs notations en intégrant dans leurs évaluations le risque de liquidité et les risque opérationnels, à côté de risques de crédit. »

Proposition 17 : « Afin de mieux prévenir et gérer les conflits d’intérêts, ne plus lier les recettes des agences de notation au montant des émissions notées grâce à la mise en place d’un paiement au forfait des agences de notation […] »

Proposition 18 : «  Créer les conditions d’une véritable concurrence entre agences de notation et favoriser l’émergence de nouveaux acteurs européens, davantage spécialisés sur certains secteurs d’activité que ne le sont les grandes agences généralisées : d’une part en affirmant  que les obligations requises par les autorités publiques, en matière de réglementation bancaire ou de l’épargne notamment peuvent être satisfaites par d’autres agences que les trois agences historiques […] »

Ce rapport gouvernemental illustre les différentes accusations qui sont faites à l’encontre des agences de notation, et encore une fois leur impact sur la crise économique est manifeste compte tenu des réglementations en place.

Changement d’opinion dans le cadre de la crise de l’Euro

Ainsi a posteriori les différents acteurs de la controverse reprochent aux agences de notation de ne pas avoir su anticiper et donc dévaluer des entreprises qui se sont effondrées par la suite. C’est dans ce sens que des mesures ont été prises et le rapport gouvernemental précédemment cité va dans ce sens.

Pourtant, le discours et notamment celui de la classe politique a radicalement changé, quand les agences de notation ont abaissé la notation de certains états de la zone euro. En effet, le 27 avril 2010, Standard and Poor’s a abaissé de trois crans la note de la Grèce, de « BBB+ » à « BB+ » la reléguant dans la catégorie des investissements spéculatifs. Le même jour Standard and Poor’s a dégradé de deux crans la note du Portugal de « A+ » à « A-». Ceci a poussé Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI, à intervenir en déclarant qu’il ne fallait pas « trop croire » ce que disent les agences de notation, « même si elles ont leur utilité ». Le ton est plus agressif du côté de l’Elysée qui dénonce les agences de notation « qui font la pluie et le beau temps » et « amplifient » la spéculation dont est victime actuellement la zone euro, en ajoutant : « c’est incroyable ! »

Le discours n’est donc plus le même entre la période de crise, où il a été reproché aux agences de notation de ne pas avoir abaissé les notes à temps, alors qu’avec la crise de la zone euro c’est au contraire la critique inverse qui est faite. Il apparait en tout cas clairement que les agences de notation jouent un rôle controversé dans l’économie actuelle que ce soit pendant la crise de 2008 et encore actuellement.  

Des torts partagés

Au-delà des critiques légitimes, les agences de notation ne sauraient être tenues pour les seules responsables des crises financières depuis le début du siècle.

Il faut prendre en compte les responsabilités des investisseurs, qui ont partiellement renoncé à leur responsabilité d’évaluation du risque des actifs qu’ils détiennent et le délèguent aux agences de notation ou celles des Etats et des régulateurs qui leur ont donné un rôle de certificateur sans leur imposer de véritables cahiers des charges.

En fait, les agences participent d’un fonctionnement général des marchés qui tend à passer de situations d’euphorie, où les risques sont minimisés, à des situations inverses. On peut dire qu’elles tiennent leur rôle dans ce type de fonctionnement au lieu de servir à le contrecarrer. Mais peut-on leur en attribuer la seule responsabilité alors que ce ne sont pas des institutions de régulations ?

Pour l’économiste André Orlean, Directeur d’étude à l’Ecole de Hautes Etudes en Scinces Sociales et à l’Ecole Normale Supérieure,  souligne, dans son livre De l’euphorie à la panique : penser les crises financières :

« l’autorité véritable, durant l’euphorie comme durant la crise, c’est le marché lui-même ; c’est de lui que dépendent les réputations et les profits ; c’est lui qui contraint les agences de notation. Ce que l’on peut reprocher à ces dernières, dans cette crise (des subprimes) comme dans les précédentes, c’est d’être toujours à la remorque du marché pour ce qui est des tendances de fond. Pour cette raison, ces agences n’ont eu aucun impact stabilisateur au cours de la période analysée. Elles ont conforté les évolutions du marché, à la hausse comme à la baisse ». (De l’euphorie à la panique : penser les crises financières 2009)

De même, dans la crise grecque, l’économiste Marc Touati, écrit dans les colonnes du Monde du 29 avril 2010 :

« les marchés sont comme ça. Une fois qu’on les oriente dans une direction, ils ont du mal à s’arrêter. Et ce qui devient dangereux, c’est que c’est "auto réalisateur". Plus les taux d’intérêt augmentent, plus le risque de défaut augmente, et plus la notation se dégrade. Mais il ne faut pas inverser le problème. Ce n’est pas seulement un problème de notation et de dette publique, c’est surtout un problème de faiblesse de la croissance. Aujourd’hui, dans la grande majorité des pays de la zone euro, il n’y a pas assez de croissance économique simplement pour payer les intérêts de la dette. Il y a eu des erreurs de gouvernance économique de la zone euro ».

Il est clair en effet que les agences de notation ne pourrait être tenue pour responsable des gestions discutables des dirigeants des structures (entreprises, collectivités…) qu’elles notent.