Les normes prudentielles engendrent-elles une forte procyclicité ?

La question de la procyclicité est l’une des premières critiques qui est formulée à l’encontre des normes prudentielles. Il est intéressant de noter avant toutes explications, que cette critique a également été utilisée à l’encontre les normes comptables, mais pour d’autres raisons relativement distinctes.

Les normes prudentielles sont procycliques

En ce qui concerne les normes prudentielles, le caractère procyclique de la régulation en place se retrouve dans la manière de déterminer les fonds propres à immobiliser pour les banques. C’est cette méthode qui entraîne cet effet d’amplification du cycle.

Les fonds propres nécessaires sont calculés à partir du ratio suivant :

Le premier pilier de Bâle II impose donc que le rapport des fonds propres sur la somme des risques soit supérieur à 8%.

En période de difficulté économique et financière, le numérateur diminue logiquement du fait des provisions à constituer.

Toutefois le dénominateur augmente en parallèle.

En effet, les risques de crédit sont calculés en fonction de différents paramètres dont PD (Probabilité de défaut de la contrepartie), LGD (Taux de perte en cas de défaut sur la ligne de crédit).  Logiquement, les risques de crédit augmentent si la probabilité de défaut augmente ainsi que le taux de perte. Or la probabilité de défaut et le taux de perte en cas de défaut s’accroissent irrémédiablement en période de difficultés économiques. Cette dégradation globale du portefeuille génère donc un volume de risques pondérés de crédit plus important.

De même, les risques de marché sont calculés en fonction de paramètres comme la VaR (Value at Risk). En période de crise, la dégradation des marchés et l’augmentation de la volatilité qui en résulte génèrent un montant de risques pondérés plus important.

En période difficile, les risques de crédit et de marché s’accroissent, augmentant d’autant le dénominateur du ratio règlementaire de fonds propres.

En résumé, avec la définition du ratio de solvabilité de Bâle II, une période de difficulté financière et économique s’accompagne d’une baisse du numérateur ainsi que d’une augmentation du dénominateur. Ce double effet a pour conséquences d’abaisser le ratio de solvabilité, en particulier en dessous de la barre des 8% réglementaires.

Néanmoins, cette procyclicité semble inhérente à tout ratio de solvabilité.

Ainsi plusieurs études ont été menées par des économistes, afin d’établir dans quelle mesure une réglementation générait effectivement une procyclicité. Ainsi une étude menée par des économistes et financiers, respectivement de Cambridge et de l’Université de Chicago, compare trois méthodes pour calculer les poids correspondant au risque de crédit sur un portefeuille bancaire et concluent que ces trois méthodes conduisent à une certaine procyclicité. Ce qui crée aujourd’hui controverse est que la méthode employée dans le ratio Bâle II semble être celle qui amplifie le plus le cycle.

C’est ce que souligne également pour les risques de marché, Laurence Scialom, professeur d’économie à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense qui écrit :

« Ainsi, les modèles VaR (value at risk) utilisés par les banques pour déterminer leur capital réglementaire sont basés sur une conception du risque conçue comme un jeu contre la nature. C’est à dire que chaque banque suppose être dans un environnement où le risque provient de facteurs exogènes et non des interactions entre les actions des acteurs du marché. […]

Pour bien comprendre : le modèle utilisé ressemble à celui de la météo où le climat n’est pas affecté par les prédictions des météorologues et par les actions que suscitent ces prédictions. En clair s’il est prévu qu’il pleuve, le fait qu’une bonne part des agents informés prenne un parapluie ne va pas faire pleuvoir !

Le problème est que le climat de la finance n’est pas assimilable au climat dans la mesure où en période de stress financier le risque n’est plus exogène, il devient endogène : il résulte des répercussions croisées des actions de chaque participant. Si l’on continue à tirer la métaphore : le fait que tout le monde ouvre un parapluie va précipiter la pluie ! En d’autres termes, les variations de prix d’actifs sont amplifiées par les actions des participants au marché qui elles-mêmes sont dictées d’une part par l’affaiblissement de la confiance qui affecte collectivement les acteurs du marché et d’autre part par les méthodes mêmes de couverture des risques dictées par la VaR. »

Procyclicité – Contracyclicité - Fonds propres économiques

Toutefois, le débat sur la cyclicité du ratio Bâle 2 ne s’arrête pas à la procyclité. Une étude en remontant le temps réalisée par le Cabinet McKinsey et tirée de l’Agéfi montre que la réglementation aujourd’hui en vigueur testée depuis 1988 crée en plus un décalage dans le temps entre les exigences de fonds propres demandée par la théorie de Bâle II et les défauts d’entreprise constatés dans la réalité :

  

Le cycle des exigences de fonds propres apparait en décalage avec celui de l’économie. Les exigences de fonds propres consécutives à la crise s’accroissent fortement et peuvent constituer un frein aux banques pour financer la relance de l’économie à la sortie de crise.

 

Conscient de cela, les régulateurs ont prévu de créer à coté du pilier 1, un pilier 2 sensé créer un matelas de fonds propres pour amortir l’effet des crises. Ce principe est illustré par un document de la Banque de France :

 

Ainsi au montant calculé pour vérifier les exigences du pilier 1 (courbe en pointillés), s’ajoute un montant de fonds propres nécessaires pour « passer » les crises économiques (principe du capital économique) qui fait l’objet d’une décision des autorités bancaires, pour constituer le ratio cible que doit vérifier l’établissement de crédit (courbe rose). L’établissement, pour exercer son activité, doit présenter au total des fonds propres supérieurs (courbe verte). Il est alors sensé de permettre à l’établissement d’absorber les crises

Jean-Charles Rochet, professeur d’économie à la Toulouse School of Economics qui s’est longuement penché sur la réglementation bancaire conclut :

« Même si les exigences en capital contenues dans Bâle II sont indéniablement procycliques, il n’est pas certain qu’elles accentueront sensiblement les fluctuations du volume de crédit accordé par les banques, dans la mesure où les banques elles-mêmes ont intérêt à ajuster leur capital économique pour amortir ces fluctuations.»

Ce principe d’amortisseur du pilier 2 s’est avéré cependant très théorique et les effets de la crise ont fortement dégradé les fonds propres de banques bien au-delà de ce qui était anticipé. Il est vrai que la fixation du montant de fonds propres liés au pilier 2 ne repose pas aujourd’hui sur des éléments totalement objectifs (est-il d’ailleurs possible de prévoir l’ampleur des crises) et fixer un montant trop conséquent de fonds propres pour amortir la procyclicité des exigences de fonds propres liés au pilier 1, et des lors renforcer la sécurité du système, reviendrait à demander aux établissements financiers d’immobiliser un montant de fonds propre très conséquent obérant fortement leur capacité à prêter à l’économie.