La balance bénéfice/risque vue par les français

     Qu’il s’agisse des syndicats français, des associations médicales et sociales françaises, des utilisatrices de pilule, des médias ou encore des laboratoires, chacun a pu s’exprimer sur le rapport bénéfice/risque soulevé par l’EMA et l’ANSM, ainsi que sur la politique adoptée.

Une incompréhension due à un manque d’information

    Depuis le scandale lié à Marion Larat, les questions sur les risques liés aux pilules de 3ème et 4ème génération se sont multipliées, et la confrontation entre l’Europe et la France ne simplifie pas la compréhension du débat. Les utilisatrices sont les premières victimes de ce grand mouvement médiatisé, et surtout les dernières informées selon la majorité d’entre elles. Il suffit d’aller sur des forums tels doctissimo ou agoravox et de lire des témoignages d’utilisatrices de pilules de 3ème et 4ème génération dans des articles de presse généraliste pour se rendre compte du trouble environnant. Les françaises ont du mal à savoir comment réagir : Faut-il changer de génération de pilule ? Quel est le risque réel encouru ? Pourquoi parle-t-on des dangers des pilules seulement maintenant ? Qui décide de garder ou retirer les pilules de 3ème et 4ème génération ? Tant d’interrogations qui démontrent un problème d’information et de communication de la part des autorités françaises. Implicitement, ce sont donc l’ANSM et le ministère qui sont remis en cause. S’ils avaient bien expliqué la situation et rassuré les utilisatrices, il n’y aurait pas tant de questions sans réponses.

    De nombreuses françaises ne comprennent pas pourquoi les autorités sanitaires recommandent de ne pas changer de génération de pilule, tandis que la presse communique sans arrêt sur des risques de thrombose veineuse multipliés par 2 ou plus encore selon les sources ainsi que des décès liés aux pilules. Les réactions sont multiples. Certaines se disent qu’elles seront la prochaine Marion Larat, que les facteurs de risque ont été négligés dans leur cas et qu’elle préfèrent finalement abandonner toute prise de pilule. D’autres restent confiantes en le monde médical et ne changent pas de mode de contraception ou de génération de pilule. Néanmoins, la plupart ont décidé de discuter avant tout avec leur médecin ou gynécologue référent avant de prendre une décision.

Une volonté de rassurer

    Face à cet emballement médiatique et politique, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et le Planning familial appellent à la prudence, s’inquiétant du discrédit que des accidents, certes dramatiques mais néanmoins isolés, risquent de jeter sur l’ensemble des pilules, faisant peur aux utilisatrices. «Ce qui nous inquiète, c’est que l’on jette l’opprobre sur toutes les pilules (…) il ne faut pas diaboliser la pilule» [1], a déclaré Véronique Séhier membre du bureau du Planning familial. « Il ne faut pas changer de contraception avec laquelle on n’a pas d’effets secondaires, d’autant plus que les risques de thrombose interviennent dans les premiers mois » [2], a souligné le professeur Bernard Hédon, président du CNGOF.

    Il préconise une discussion avec le médecin afin de trouver la méthode qui aurait le meilleur rapport bénéfice/risque pour une patiente donnée.  une prescription individuelle. Il rappelle l’importance de l’évaluation des facteurs de risque : l’âge, les enfants, la sexualité. Cette volonté de clarification s’inscrit dans la politique de Marisol Touraine. Ce que craint avant tout le CNOF, c’est de devoir faire face à une nouvelle «panique à la pilule» [3] qui comme en 1995 au Royaume-Uni pourrait entraîner une «vague d’IVG» [4]. De plus, le risque de thrombose veineuse est à relativiser, ajoute le Collège, avec un risque «deux fois supérieur» [5] de thrombose lors d’une grossesse par rapport aux contraceptifs.

Une prise de position française contestée

    Dès le 9 janvier 2013, le syndicat de médecins libéraux FMF (Fédération des médecins de France) avait annoncé son intention de porter plainte contre l’ANSM en vue d’obtenir le retrait d’AMM (autorisation de mise sur le marché) des pilules de 3ème et 4ème génération. Comme l’expliquait Me Fabrice Di Vizio, avocat qui représente la FMF dans cette démarche, ce projet de plainte avait été motivé au nom du principe de précaution, comme le prévoit le code de la Santé publique, qui dit qu’« en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement » [6]. La FMF a vu dans le déremboursement des pilules de 3ème et 4ème génération, faisant suite à la plainte déposée par Marion Larat, une reconnaissance du caractère dangereux de ces médicaments par le Ministère : « Si un médicament est dangereux et que le rapport bénéfice/risque est défavorable, ce médicament doit être suspendu ou retiré (…) le non remboursement n’enlève rien à sa dangerosité » [7], avait estimé dans un communiqué Jean-Paul Hamon, président de la FMF.

    Ainsi, la FMF juge d’elle même le rapport bénéfice/risque des pilules de 3ème et 4ème génération comme étant négatif. D’après elle, les actions entreprises par l’ANSM et le ministère de la Santé ne sont pas assez convaincantes, et peu adaptées au réel risque encourru. Elle déplore également la réaction tardive de l’état français quant au danger des pilules de 3ème et 4ème génération. « Si un médicament est dangereux, comment se fait-il que les gouvernements et leurs organismes satellites dédiés ne s’en aperçoivent que plus de 10 ans après les premières alertes scientifiques et aient laissé les génériques se développer ? » [8], avait ajouté Jean-Paul Hamon.

    Cette menace de plainte à l’encontre de l’ANSM est en réalité une façon pour le syndicat de dénoncer selon lui une communication désastreuse de la part de l’ANSM, et d’obliger cette dernière à argumenter sa position et d’augmenter sa transparence. Selon le directeur de la FMF, le directeur général de l’ANSM, Dominique Maraninchi, n’a  »pensé qu’à protéger son agence » [9], en floutant le débat sur les pilules et en évitant de s’opposer directement à l’EMA. D’après lui, l’ANSM a abandonné les professionnels de santé face aux interrogations et à la panique des patientes et a donc par cela démontré sa faiblesse. Face au manque d’informations, les médecins se sont vus décrédibilisés.

    Finalement, la FMF n’a jamais concrétisé son projet de plainte, car l’annonce seule lui suffisait à témoigner son indignation.

Une déception vis-à-vis de l’Europe

    Bien que les syndicats et associations de médecins français ne se rejoignent pas nécessairement sur tous les aspects liés à la prise de position par rapport aux pilules de 3ème et 4ème génération, tous tombent quand même d’accord sur le fait que l’Europe aurait dû demander la suppression de ces pilules sur le marché. En effet, tous avaient soutenu la décision de Marisol Touraine et de l’ANSM de demander une ré-évaluation des risques à l’EMA. Et tous ont été déçus, à l’instar des autorités sanitaires françaises, de la pauvre conclusion du rapport de l’EMA et de la quasi-absence de changement quant aux pilules dangereuses.

    Par exemple, même si le Formindep (association pour une formation et une information médicales indépendantes) approuve la volonté de l’EMA de mettre l’accent sur l’information et particulièrement le diagnostic d’embolie pulmonaire encore rarement évoqué auprès des patientes, le docteur Françoise Tourmen, formatrice en contraception et membre du Formindep regrette, en revanche, que l’Europe n’ait pas adopté une attitude plus ferme en recommandant en première intention les pilules de 2e génération, « comme le préconise de longue date la revue Prescrire, et la Haute Autorité de santé depuis 2007″ [10].

Un acteur qui reste muet

    Il est intéressant de noter l’absence de communication de la part des laboratoires pharmaceutiques quant aux risques liés aux pilules de 3ème et 4ème génération et de leur implication au sein des différents scandales.

    Sur ce rapport bénéfice/risque, les laboratoires tiennent une place majeure puisque ce sont eux et leurs chercheurs qui peuvent faire avancer concrètement les avantages des nouvelles générations ou bien diminuer les risques des 3ème et 4ème générations. Toutefois, leur parole se fait rare. Leur silence apparait comme essentiel pour leur stratégie de communication et de markéting : avouer un quelconque risque serait catastrophique pour les ventes. Un cadre du secteur pharmaceutique nous avouera qu’« en ce qui concerne les grands laboratoires de contraceptifs, ils n’ont pas non plus répondu, pour d’autres raisons : ne pas perdre du chiffre d’affaire. » [11]

    Depuis la prise de parole de Marion Larat en décembre 2012 accusant directement Bayer pour ses pilules de 3ème génération Méliane, Moneva, Jasmine, Jasminelle et Melodia,  de nombreuses jeunes femmes, victimes d’accidents graves, ont porté plainte contre plusieurs laboratoires pharmaceutiques. Le laboratoire Effik est également mis en cause pour ses pilules Désobel 20 et 30, Carlin 20 et 30. MSD France (groupe Merck) est visé pour ses pilules Mercilon et Varnoline. Biogaran, filiale deServier, est également concerné par les plaintes pour la pilule Désogestrel. Enfin, Pfizer est lui pointé du doigt pour Harmonet.

    Cette affaire devrait toutefois profiter à quelques laboratoires : les fabricants de pilule de 1ère et 2ème génération. Ainsi, six laboratoires se partagent quasiment l’intégralité du marché des pilules contraceptives de 2ème génération. En effet, un seul un type de pilule existe en 1ère génération, il est commercialisé par Janssen Cilag et six pilules 2ème génération sont délivrées chacune sous une marque différente.

    Finalement, c’est un monde médical profondément changé qui semble se dessiner. Mais comment ces perturbations se manifestent-elles ? Entre remise en cause des médecins et méfiance des patientes, il est difficile de retrouver un rapport médecin/patient confiant. Rendez-vous ici pour en savoir plus.

Sources des citations :

[1] : Contraception : « ne pas diaboliser la pilule », Le Figaro, 02/01/2013 [lien]

[2] : Que faut-il faire lorsqu’on prend une pilule de 3e ou 4e génération ?, Le Monde, 17/01/2013 [lien]

[3] à [5] : Marisol Touraine : « Il faut éviter de donner le sentiment que la pilule serait un danger », Le Monde, 03/01/2013, [lien]

[6] : Principe de précaution du code de la Santé publique [lien]

[7] : Pilule de 3e génération : un syndicat de médecins porte plainte, L’Express, 09/01/2013 [lien]

[8] : [7]

[9] : Pilule 3G, la FMF met la pression sur l’ANSM pour l’obliger à clarifier sa position, Le Quotidien du Médecin, 10/01/2013 [lien]

[10] : Pilules : l’avis de l’Agence européenne critiqué, Le Monde, 21/10/2013 [lien]

[11] : Entretien avec un cadre d’un laboratoire pharmaceutique [lien]