L’importance de l’aspect médiatique dans la description de cette controverse justifie une étude quantitative approfondie des sources et des publications qui ont eu lieu au sujet des pilules contraceptives. Nous pouvons en particulier distinguer trois aspects pertinents : l’étude temporelle de la publication des sources – cohérente avec la chronologie de la controverse –, l’étude géographique qui nous renseigne sur les localités du déroulement de la controverse, et enfin l’étude des interactions des sources et des acteurs (Qui participe à la controverse ? Quels acteurs ont le plus d’influence ?).
Une disparité géographique
Tout d’abord, l’étude géographique des sources est pertinente dans l’interprétation de la controverse. En effet le caractère extrêmement personnel de cette controverse fait que différents pays peuvent s’en saisir à différents moments, et le débat se fait souvent à échelle nationale et non internationale. L’examen des provenances des publications à ce sujet est un bon moyen d’identifier les pays où cette controverse a émergé, et ceux qui n’ont pas encore été touchés par le débat.
Ci-dessous, les Figures 1a et 1b représentent le nombre d’articles scientifiques publiés sur Web of Science apparaissant lors de la recherche « contraceptive pill » en fonction de leur provenance, nationale dans le cas de la Figure 1a et continentale dans le cas de la Figure 1b. Nous avons ensuite représenté ces mêmes résultats sur une carte mondiale pour en avoir une meilleure visualisation, en prenant 3 différentes teintes pour quantifier approximativement le volume d’articles publiés.
Fig. 1a : Nombre d’articles apparaissant lors de la recherche « contraceptive pill » sur Web of Science, en fonction de leur pays d’origine (source des données : Web of Science Analysis)
Fig. 1b : Part des articles apparaissant lors de la recherche « contraceptive pill » sur Web of Science, en fonction de leur continent d’origine (source des données : Web of Science Analysis).
Fig. 2 : Cartographie de la provenance des articles apparaissant lors de la recherche « contraceptive pill » sur Web of Science (les couleurs sont à titre indicatif, le plus foncé représentant le plus grand nombre de publications) (source des données : Web of Science Analysis)
De véritables tendances peuvent se dégager cette l’étude géographique : les articles proviennent très majoritairement des pays développés, et surtout d’Europe et de l’Amérique du Nord. Tout d’abord, le caractère scientifique des articles publiés sur la base de données Web of Science peut expliquer en partie cette disparité dans leur provenance : les pays les plus développés sont aussi ceux qui effectuent le plus de recherche de pointe et qui publient le plus de travaux. Mais le caractère spécifique de cette controverse peut aussi servir à expliquer ces résultats. Les questions entourant la pilule contraceptive ne se posent que dans les pays où la contraception est devenue courante, et il est logique de voir que si ce débat passionne en Europe, il est quasiment inexistant en Afrique.
Un intérêt croissant et des marqueurs temporels
L’étude chronologique est elle aussi pertinente et permet de distinguer des grandes tendances. Les Figures 3 et 4 renseignent l’intérêt des chercheurs mondiaux pour la question en représentant le nombre de publications de travaux de recherche comprenant le terme « contraceptive pill » (Fig. 3) et le nombre de fois que ces travaux sont cités par d’autres travaux (Fig. 4).
Fig. 3 : Nombre de publications scientifiques comprenant le terme « contraceptive pill » en fonction du temps (source : Web of Science Citation Report).
Fig. 4 : Nombre fois que des publications scientifiques comprenant le terme « contraceptive pill » sont cités par d’autres travaux, en fonction du temps (source : Web of Science Citation Report).
La tendance est à une augmentation de l’intérêt mondial pour la question depuis les années 1990. En effet les études se sont multipliées à ce sujet, et surtout elles sont de plus en plus citées. Dans un scandale de santé publique comme celui-ci, l’avis des experts et chercheurs est toujours extrêmement important et constitue une base de données sur laquelle s’appuient les institutions gouvernementales pour décider de l’interdiction ou non d’un médicament, les laboratoires pour évaluer le risque qu’encourent leurs consommateurs, et les médias pour constituer un dossier solide sur la question.
Il faut néanmoins noter que cette étude à l’échelle mondiale cache de réelles disparités dans les chronologies à l’échelle nationale. Différents pays ont étés touchés par cette controverse à différents moments, et l’intérêt du public pour la question à une date donnée dépend profondément de la localisation géographique que l’on considère. La controverse des pilules contraceptives a été rythmé par des évènements relayés dans les médias : une nouvelle plainte d’une patiente lésée, un nouveau cas de décès, etc. Ces rebondissements ne touchent en général que le pays où ils se sont produits, et provoquent une nouvelle émergence de la controverse dans les médias et dans les débats publics.
A titre d’exemple, voici deux graphiques issus de Google Trends quantifiant l’intérêt pour la recherche « pilule troisième génération » en fonction du temps. Le premier graphique représente la courbe pour la France (Fig. 5), le deuxième pour l’Allemagne (Fig. 6). Si certains pics corrèlent, les courbes restent très différentes, reflétant différents évènements à l’échelle nationale.
La courbe de la France peut facilement être interprétée. Dans la Fig. 5, nous notons une hausse très significative de l’intérêt pour la recherche « pilules troisième génération » en fin 2012 : le mois de décembre 2012 correspond au moment de la plainte de Mario Larat et au début du déferlement médiatique. Ce graphique nous indique bien que le débat a passionné le public, qui s’est tout à coup beaucoup plus intéressé au thème de la contraception orale. Il reflète avec exactitude le rythme des évènements de la controverse.
Fig. 5 : Evolution de l’intérêt pour la recherche « pilules troisième génération » en France (source : Google Trends)
Fig. 6 : Evolution de l’intérêt pour la recherche « pilules troisième génération » en Allemagne (source : Google Trends).
D’autres données montrent la même tendance. La Figure 7 reprend le nombre de publications scientifiques comprenant le terme « contraceptive pill » en fonction du temps, mais en se restreignant aux publications françaises. Alors que l’on remarquait depuis le milieu des années 2000 une baisse du nombre de publications, ce nombre bondit en 2013, année du scandale médiatique. Ces données nous montrent que l’affaire Marion Larat et celles qui ont suivies ont non seulement passionnés le public mais aussi le monde scientifique qui a repris en aval des travaux sur l’évaluation du danger des pilules contraceptives.
Fig. 7 : Nombre de publications scientifiques françaises comprenant le terme « contraceptive pill » en fonction du temps (source : Web of Science Citation Report)
Un débat qui se déroule sur plusieurs plateformes médiatiques
interprétation de la cartographie des sites ou se déroule la quantification :
- les sites d’info ont un gros rôle (le Monde, qui a lancé la controverse, les Echos, etc…)
- les sites gouvernementaux ont un gros rôle
- entre les deux : les réseaux sociaux (Facebook, Linkedin), les blogs (Slate, Doctissimo, PourquoiDocteur) : les gens utilisent internet pour poser des questions et participent au débat
- les sites des laboratoires pharmaceutiques sont isolés (Bayer) : perte de confiance des usagères vis-à-vis des labos ?