La couverture de l’autoroute A13

Les serres du Jardin d’Auteuil sont au cœur de la controverse. Pour les préserver et les protéger, un groupe de trois associations (VMF, SPPEF et le groupe pour la sauvegarde du bois de Boulogne) a proposé une alternative au projet de modernisation de la FFT. Cet ambitieux projet alternatif propose en particulier de couvrir une partie de l’autoroute A13 pour pouvoir y construire des infrastructures sportives. Cette contre-proposition soulève divers questionnements qui ont été étudiés par différents acteurs et organismes à différentes périodes.

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La bretelle de l’autoroute A13
Source : http://infos.radars.free.fr/radars/radars75/r75-03.html

Le contre-projet satisfait-il le cahier des charges de la FFT ?

Le contre-projet a été proposé par les associations afin de réaliser l’extension du stade de Roland Garros tout en préservant l’intégralité des serres du Jardin des Serres d’Auteuil. L’un des enjeux majeurs de cette proposition était donc de répondre le mieux possible aux exigences de la Fédération Française de Tennis afin de permettre la modernisation de Roland-Garros. Cependant, toutes les études menées afin d’étudier la faisabilité du projet ne s’accordent pas sur tous les points.

Lors du dévoilement du projet de la FFT en 2012, les associations, inquiètes quant à la sauvegarde des serres tropicales d’Auteuil cherchent une solution alternative. Elles font alors appel à Dam Design un cabinet d’architecte dirigé par M. Darius Amir-Mazaheri. Celui-ci, après étude du cahier des charges de la FFT propose 7 variantes à l’extension vers les serres. Toutes ne répondent pas aux critères de la FFT de la même manière : certaines ne répondent pas à l’exigence du troisième terrain d’une capacité de 5 000 places, d’autres réduisent la part des espaces verts, les plus pertinentes utilisent l’espace gagné par la couverture de l’autoroute A13 pour y construire des courts annexes ou le nouveau court n°1 de 5 000 places, enfin l’estimation des coûts réalisées par Dam Design varie de -40 millions à +60 millions d’euros par rapport au coût du projet de la FFT.

En fait, la possibilité de chercher l’espace manquant à Roland-Garros sur l’autoroute voisine avait déjà été analysée en 2011 lors du lancement de l’appel d’offre par la FFT. Cependant cette alternative a très vite été abandonnée du fait de son coût, bien trop important.

Pourtant, l’analyse faite un an plus tard par Dam Design reste pertinente car la première étude ne s’était intéressée qu’à une couverture complète de l’autoroute. Or cela représente des travaux extrêmement lourds en termes de temps, d’investissement mais également de logistique. Les associations ont donc chargé Dam Design d’analyser le cas d’une couverture partielle de l’autoroute. Dam Design et les associations à l’origine de cette étude concluent alors à la pertinence de ce contre-projet. La couverture de l’autoroute permet de répondre aux enjeux de la modernisation du stade de Roland-Garros tout en préservant les serres d’Auteuil : elle permet la création d’un stade d’une capacité de 5 000 places, d’augmenter la capacité d’accueil du site tout en régulant différemment les flux de spectateurs. Cette étude a été par la suite transmise au ministère de l’Écologie qui l’a trouvée pertinente. Cependant, Matignon n’en a pas tenu compte par la suite.

Par la suite, d’autres analyses demandées par la FFT et les pouvoirs publics sont revenues sur le travail de Dam Design pour juger de la pertinence du contre-projet.

En 2014, lors des demandes de permis de construire, M. Haquin émet de fortes réserves envers le projet de couverture de l’A13. Pour lui ce projet demande des démarches administratives et juridiques bien trop importantes. Le problème majeur de ces démarches est leur impact sur la durée de réalisation des travaux qui double presque par rapport au projet de la FFT (passant de 4 ans à 7 ans).

A la suite de ces demandes, le ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie demande à une ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts et à un inspecteur de l’administration du développement durable de réaliser une expertise du projet alternatif porté par les associations. Manquant d’éléments de preuves, ce rapport statue tout de même sur la pertinence du projet sous certaines réserves et recommande fortement une analyse plus poussée du projet, notamment par rapport aux aspects environnementaux, financiers, juridiques et techniques.

Cette analyse sera écrite en mai 2015 par le cabinet Egis conseil dans son rapport « Etude de faisabilité technique et de pertinence fonctionnelle des deux projets d’extension ». Ce rapport confirme les affirmations de l’expertise demandée en 2014 par le ministère de l’Écologie : le projet alternatif satisfait dans les grandes lignes le programme de la FFT : nombres de courts et capacité associées, et surfaces bâties mises à disposition de la FFT. Cependant, la surface disponible étant inférieure à celle du site étendu vers les Serres, les surfaces libres et de déambulation sont réduites. D’autre part, la FFT et la mairie de Paris s’appuient sur les conclusions d’Egis pour rejeter le contre-projet en partie à cause des délais de réalisation : si le projet porté par la FFT pourrait (d’après les estimations de 2015) être rendu pour 2017, celui porté par les associations ne le serait qu’en 2025.

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Le contre-projet est-il faisable techniquement ?

La faisabilité technique du projet alternatif est l’un des deux points qui ont systématiquement été étudiés lors des différentes expertises et analyses effectuées à propos de la modernisation de Roland-Garros. Le second point concerne l’impact financier des différents projets (voir ci-dessous).

Dès 2011 lors du lancement d’appel d’offre par la FFT et la première étude de couverture de l’autoroute A13, les experts montrent qu’il est techniquement faisable de couvrir l’autoroute A13. Cependant, cette première analyse qui envisageait une couverture totale de l’autoroute juge ce projet non pertinent car les difficultés techniques restent très importantes, sans compter le surplus de coût que cela imposait. En 2012, à la demande des associations en faveur de la sauvegarde des serres d’Auteuil, le cabinet d’architecte Dam Design rend un rapport d’expertise qui vient nuancer la première analyse effectuée. Dans ce rapport, le directeur du cabinet, M. Darius Amir-Mazaheri développe sept alternatives au projet de la FFT. Le but de son travail est d’étudier l’existence de solutions permettant de répondre au cahier des charges de la FFT quant à la modernisation du site tout en préservant le Jardin des Serres d’Auteuil. Pour cela, les sept projets qu’il propose sont étudiés afin d’être réalisables techniquement. En février 2015, une expertise du projet alternatif porté par les associations réalisée par une ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts et à un inspecteur de l’administration du développement durable à la demande du ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie s’appuie sur ces travaux pour confirmer la faisabilité de la couverture de l’autoroute A13. A l’aide d’une coupe réalisée par Dam Design, l’expertise montre que les normes de sécurité (respect des normes incendies et gestion de la bretelle de sortie qui doit être déplacée) sont respectées par le projet.

Le cabinet Egis se penche par la suite plus particulièrement sur la faisabilité technique du projet alternatif et mène une étude approfondie. Le rapport public que le cabinet remet à la FFT en mai 2015 liste les différentes contraintes imposées par la couverture de l’autoroute A13 en se basant sur une analyse fonctionnelle poussée. Il faudrait dévier la bretelle de sortie de l’A13, ajouter des carrefours et des feux, dévier environ 800 véhicules par heure en période de tournoi. Et ce, tout en respectant les trois impératifs suivants :

  • Ne pas empiéter sur l’avenue de la porte d’Auteuil
  • Conserver un accès direct entre le triangle historique et les nouvelles couvertures
  • Conserver l’accès de service de l’A13

De ce fait, il apparaît nécessaire de couvrir l’autoroute sur au moins 145m, et d’avoir un nombre de voies variable. Pour ce faire, deux options se présentent : soit construire dans la continuité du tunnel, soit construire à une distance suffisante afin d’assurer l’indépendance aéraulique. Cependant, dans le deuxième cas, l’indépendance ne peut être assurée sans engendrer une perte de fonctionnalité. La première option est donc celle retenue par le cabinet. Le rapport, s’il admet que le contre-projet est plus complexe à mettre en œuvre que celui de la FFT, conclue sur la faisabilité technique du projet alternatif porté par les associations.

Malgré ces analyses techniques, lors de la demande de permis de construire effectuée en novembre 2015, l’inspecteur M. Brodovitch ne considère pas la couverture de l’autoroute A13 comme envisageable. En effet, pour lui, le PLU parisien ainsi que les conventions européennes rendent l’autoroute inconstructible.

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Le contre-projet est-il viable économiquement ?

Nous arrivons donc au deuxième point sujet à débat autour du projet alternatif de modernisation du stade de Roland Garros : son coût. Les différentes alternatives proposées en 2012 par Dam Design n’ont pas le même coût estimé. Par soucis de praticité, Dam Design a décidé d’estimer les coûts de ses différentes propositions relativement au coût du projet de la FFT. Ainsi les experts du cabinet estiment que la solution la moins chère envisagée coûterait 40 millions d’euros de moins à la FFT que le projet d’extension vers les serres, et la plus onéreuse dépasserait le coût initial de 60 millions d’euros. Cependant, ces chiffres sont remis en cause par la FFT qui considère le projet alternatif comme étant bien trop onéreux, et de ce fait nécessitant un budget trop important.

Cette position est validée par l’expertise réalisée à la demande du ministère de l’Écologie et par le rapport du cabinet Egis. En effet, même si le projet proposé par les associations a un prix bien inférieur à une couverture totale de l’autoroute A13, il reste un surcoût non négligeable par rapport au projet de modernisation porté par la FFT. Le surcoût du projet alternatif serait, d’après les estimations d’Egis, compris entre 47 et 54 millions d’euros hors taxe et hors actualisation. La prise en compte de l’actualisation augmenterait ces chiffres d’environ 14 millions d’euros.

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Le contre-projet est-il vraiment nécessaire par rapport au projet de la FFT ?

C’est sur ce dernier point que les associations d’un côté et la FFT et la mairie de Paris de l’autre sont le plus en désaccord. En effet, le projet de modernisation de la FFT prévoit de s’étendre sur le Jardin des Serres d’Auteuil. Pour cela, les serres tropicales de la partie sud du jardin seraient détruites et les collections qu’elles abritent déplacées dans d’autres jardins parisiens. La Mairie se charge de ces déplacements. Elle affirme qu’ainsi les collections, aujourd’hui non ouvertes au public seraient alors mieux valorisées qu’elles ne le sont actuellement et que ce déplacement est sans danger pour les plantes.

Les associations contestent fortement ces affirmations. Pour elles, les collections abritées par les serres tropicales sont une grande richesse, mais une richesse fragile. De plus, il est plus cohérent pour elles de rester au sein du Jardin des Serres. D’autre part, même en admettant que la biodiversité présentée dans les serres tropicales gagnerait à être déplacée, le Jardin abrite d’autres serres à la valeur patrimoniale plus grande. Notamment, les serres dites « historiques » : des serres du XIXème siècle dessinées par Jean-Camille Formigé et classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Les différents collectifs qui cherchent à protéger ce Jardin veulent préserver ce patrimoine historique et vivant. Pour eux, l’extension du stade vers le Jardin en est une menace directe : bien que le projet de modernisation en cherche pas à toucher à ces serres historiques, le jardin est un endroit calme, de sérénité. Or, l’arrivée pendant deux semaines de plusieurs milliers de spectateurs nuirait fortement à l’intégrité de cet endroit.

Ainsi, en mai 2015, en réaction à la conclusion du rapport d’Egis, le président de Vieilles Maison de France regrettait que « le patrimoine soit une variable d’ajustement d’équipement de la ville de Paris qui est en plus une ville où il y a très peu d’espace verts ». De même, Agnes Popelin expliquait « On nous rabâchait que nous mettions en danger la candidature de Paris pour les JO de 2024. Or, c’est tout le contraire. Le CIO (Comité International Olympique) a mis la défense de l’environnement comme un facteur déterminant dans ses choix. Il faut donc être exemplaire ». Au même moment, Gilbert Ysern, directeur de la FFT, argumentait le choix de la fédération : « On est confrontés à des difficultés fonctionnelles majeures. On est à l’étroit dans notre stade, les flux ne fonctionnent pas et c’est pour cela que l’on a un projet, notre projet. Pourquoi choisirait-on celui qui ne correspond pas à notre besoin ? ».

En effet, l’étude sur la faisabilité technique et la pertinence fonctionnelle des deux projets d’extension du cabinet Egis donne l’avantage au projet de modernisation de la FFT sur plusieurs critères. Comme le souligne Gilbert Ysern, le projet de la FFT permet au tournoi d’avoir accès à plus d’espace, au détriment du Jardin d’Auteuil. Cela permet cependant d’avoir une meilleure régulation des flux de spectateurs au sein du site : dans le cas du projet alternatif, pendant le tournoi la grande affluence de spectateurs dans la zone Ouest imposerait la fermeture de l’entrée porte d’Auteuil. En revanche, les flux des autres utilisateurs du site seraient identiques dans les deux projets de modernisation. De même, l’impact sur les voies publiques du projet de la FFT est bien moindre que celui du projet porté par les associations. Ce dernier impose en effet de couvrir une portion de l’autoroute et de déplacer une des bretelles de sortie, soit en période de tournoi environ 800 véhicules par heure à dévier, et une perte en nombre de places de stationnement. Au niveau de l’impact visuel, chaque projet a son inconvénient : la couverture de l’autoroute dans un cas, et la construction d’un stade au milieu d’un jardin dans l’autre. La FFT et la Mairie de Paris font confiance aux travaux de Marc Mimram et Patrick Corajoud, mais les associations restent sceptiques. Enfin, si le projet de la FFT a un bilan carbone deux fois moins lourd que celui des associations, son impact écologique est plus important que celui du projet alternatif. Ce dernier respecte la faune et la flore environnantes, alors que le projet de modernisation présenté par la FFT a un impact sur l’habitat de différentes espèces animales et végétales.

Renforcée dans ses convictions par la conclusion (controversée par les associations) du rapport d’Egis, la FFT ne considère pas le contre-projet comme nécessaire, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord à cause du surcoût engendré par la couverture de l’autoroute, d’autre part car elle considère son projet suffisamment respectueux de l’environnement. En revanche, les associations accusent la FFT et la Mairie de Paris de négligence envers la valeur patrimoniale et environnementale du Jardin des Serres d’Auteuil. Pour elles, la construction d’un stade sportif dans ce milieu le menace directement. De ce fait, le contre-projet est pour les associations une nécessité.