La linguistique historique permet d'étudier l'histoire des langues en s'intéressant aux évolutions phonétiques, sémantiques et syntaxiques. Elle est notamment utilisée pour reconstruire des langues aujourd'hui disparues mais qui auraient donné naissance à des langues filles connues.
Les méthodes classiques de la linguistique historique se fondent sur une comparaison bilatérale minutieuse de deux langues. Ainsi, les linguistes cherchent à mettre en évidence des règles strictes et régulières concernant les évolutions de sons entre deux langues apparentées, c'est-à-dire des changements de prononciation constamment observés dans des environnements phonétiquement identiques. Ceci permet d'établir de réelles règles de changements des sons c'est à dire des règles spécifiques aux langues qui précisent comment les sons originaux ont évolué, afin de devenir ceux que l'on observe dans chacune des langues filles.
Par exemple, sont ici présentés les résultats obtenus par les méthodes classiques de la linguistique historique pour quatre langues provenant de la même langue mère, le latin. Afin d'établir ce tableau, les linguistes ont comparé séparément le latin et le sarde, puis le français et la latin, l'italien et le latin et enfin l'espagnol et le latin. Il s'agit donc à chaque fois d'une comparaison entre une langue fille et sa langue mère afin de voir quelles ont été les évolutions phonétiques.
Etude du lexique de quelques langues romanes
Anglais | Sard | Français | Italien | Espagnol |
'I sense' | /sento/ | /sa~/ | /sento/ | /sjEnto/ |
'sleep' | sonnu/ | /som/ | /sonno/ | /suEn^o/ |
'hundred' | /kentu/ | /sa~/ | /tSento/ | /sjEnto/ |
'five' | /kimbe/ | /sE~k/ | /tSinkwe/ | /sinko/ |
'I run' | /kurro/ | /kur/ | /korro/ | /korro/ |
'story' | /kontu/ | /ko~t@/ | /(rak)konto/ | /kuEnto/ |
En observant les résultats généraux, on remarque que certaines correspondances apparaissent clairement :
Sard | Français | Italien | Espagnol | |
(1) | /s/ | /s/ | /s/ | /s/ |
(2) | k/ | /s/ | /tS/ | /s/ |
(3) | /k/ | /k/ | /k/ | /k/ |
Pourtant, on a l'impression qu'il y a des ambigüités. Le son sarde 'k' correspond il en espagnol au son 's' ou au son 'k'. Le son français 's' correspond il en italien au son 's' ou au son 'ts' ? C'est l'observation des voyelles qui suivent ces consonnes qui permettra aux linguistes de conclure que les évolutions phonétiques sont bien régulières pour un contexte bien déterminé. La deuxième correspondance est en effet observée devant une voyelle frontale (i ou e) tandis que la troisième correspondance décrit un environnement différent.
L'interprétation de ces résultats sera que, dans la langue mère, le son 's' a été retenu dans les quatre langues filles alors que le son 'k' en début de mot été conservé dans les quatre langues sauf quand il était suivi d'une voyelle frontale. Ici la connaissance du latin aide fortement à l'interprétation des évolutions phonétiques qui sont observées au cours du temps dans les langues filles.
La linguistique historique permet d'identifier les mots qui sont réellement apparentés entre deux langues et évite aux chercheurs de se limiter à de simples ressemblances derrière lesquelles ne se cache aucun réel lien. Par exemple, en observant le mot allemand 'haben' et le mot latin 'habere' on serait tenté de penser que ces deux mots proviennent bien d'un seul et même mot. Pourtant, les méthodes classiques de la linguistique historique nous apprennent la correspondance entre le son latin 'c' et le son allemand 'h' ce qui permet de considérer que ce n'est pas le verbe latin 'habere' mais 'capere' qui est le plus proche de l'allemand 'haben'. Ainsi, la ressemblance phonétique de deux mots peut servir d'indice mais n'est en aucun cas considérée comme une preuve universelle par les méthodes classiques de la linguistique historique. Ce n'est que lorsqu'ils observent des correspondances phonétiques régulières entre deux langues que les linguistes concluent à la parenté des langues.
La difficulté de l'étude de la linguistique historique réside principalement dans le fait que les langues n'évoluent pas indépendamment les une des autres. Des emprunts, qui consistent à prendre des mots provenant d'autres langues, peuvent avoir lieu et ont tendance à brouiller les pistes de la linguistique. Ainsi, les méthodes classiques demandent beaucoup de travail et de temps avant de pouvoir certifier l'existence de liens de parenté. De plus, s'il est raisonnable de travailler sur les langues parlées actuellement pour établir des correspondances entre sons, il est bien plus difficile de s'intéresser à une filiation éventuelle des langues mères reconstituées. En effet, le manque de connaissances précises à propos de ces proto langages limite très fortement le travail des linguistes. Par conséquent, la linguistique historique tend à être limitée dans le temps, les linguistes considérant traditionnellement qu'on ne peut reconstituer d'origines communes datant de plus de 10 000 ans.