Alors que l’administration française commence à mettre en forme une politique de développement cohérente de la Loire et de ses affluents, les collectifs écologistes se fédèrent afin d’être plus efficaces. C’est en 1986 que le WWF s’établit sur les rives de la Loire et commence à encadrer la contestation au sein du collectif Loire Vivante, qui deviendra SOS Loire Vivante en 1989. C’est l’heure des premiers succès, et peu à peu la pensée « gestion durable » s’installe. Les prémices du Plan Loire Grandeur Nature sont ébauchées.
Suite à la création de l’EPALA (cf. page historique précédente), le WWF, en accord avec FNE (France Nature Environnement) décide de créer le réseau Loire Vivante. Cette collaboration est le fruit d’une remise en cause féconde du programme de barrages prévu initialement par l’EPALA. La conscience de l’impact des barrages sur l’écosystème environnant est alors relativement limitée. Pour preuve, c’est à cette période seulement que les premières études vétérinaires exhaustives sont réalisées. Le WWF met particulièrement en avant le caractère fondateur de la thèse d’un vétérinaire, François Cohendet, qui traite du «Saumon d’Allier : Sa vie, son devenir, son histoire ». Il identifie clairement le barrage de Poutès comme un obstacle majeur :
« Le barrage gêne considérablement la migration des adultes vers les zones situées en amont, ce qui entraine une sous-exploitation de 30 km de zones des frayères, stérilise plus ou moins totalement 13 km de cours d’eau et réduit fortement la productivité des frayères sur 60 km à l’aval, soit une réduction de productivité sur les 100 km de frayères potentiellement les plus productives »
L’émergence de ces premiers avis d’experts en faveur du saumon de la Loire coïncide avec les premiers travaux de modification du barrage de Poutès pour faciliter la remontée du grand migrateur. En coopération avec le CSP, EDF fait installer en 1986 une passe à bassins et un ascenseur à poisson pour permettre la montaison des adultes. En 1987, la rampe de dévalaison est installée, ce qui permet théoriquement de faciliter la dévalaison des jeunes saumons. S’en suit tout une période d’étude de ces nouveaux dispositifs pour calibrer leur efficacité.
La Loire devient un centre de contestation majeur et le lieu de féroces débats sur l’impact des barrages hydroélectriques sur l’environnement. Avant de s’en prendre à Poutès, Loire Vivante proteste activement contre la construction d’un nouveau barrage à Serre de la Farre. Celui-ci a pour unique objectif de pouvoir réguler les crues de la Loire, notamment à Brive-Charensac où 7 ans plutôt une crue meurtrière a fait huit victimes. Afin d’aborder dans de bonnes conditions sa première grosse campagne, Loire Vivante change de statut et devient SOS Loire Vivante (SOS LV). Un bras de fer entre l’Etat et SOS LV s’engage dès lors : une enquête d’utilité publique est lancée sur place pour solliciter l’avis de la population locale sur le barrage. SOS LV organise ses premières grosses manifestations. En 1988, une manifestation regroupe 1000 personnes brandissant des poissons en carton qui deviendront les symboles de la lutte de l’association. Le WWF continue d'encourager activement ces actions et fin 1988, le président du WWF Philipe d’Edimbourg lance lors d’un discours : « Vive la Loire sauvage ! »
En 1989, malgré des milliers d’avis défavorables, le Ministère de l’Environnement juge d’utilité publique la construction du barrage de Serre de la Farre. Cette nouvelle provoque une mobilisation sans précédent de SOS LV et WWF qui occupe le chantier de construction. Une occupation du site (appelée « cabane de la Loire ») est organisée pendant 2 ans sans interruption. S’en suit un rassemblement de 10 000 représentants écologistes venus de toute l’Europe pour sensibiliser le public à la nécessité d’une gestion durable des fleuves. Après des tractations houleuses, l’Etat décide de repousser le début de la construction et commande à SOS LV une étude d’impacts prévisionnels du nouvel ouvrage. SOS LV acquière ainsi le statut d’interlocuteur privilégié de l’Etat sur les questions ligériennes, et donne une grande crédibilité politique à son action. Lors des municipales locales, trois candidats membre de l’association obtiennent des scores de l’ordre de 20 %.
La contestation se poursuit en 1990 et une rencontre avec le premier ministre de l’époque Michel Rocard est organisée. A la suite de quoi, l’EPALA reçoit des consignes qui l’obligent à reconsidérer ses plans de gestion des nouveaux barrages. En parallèle, une nouvelle campagne baptisée « Sauvons le Saumon » est lancée. C’est dans ce cadre que les premières publications appelant à la destruction du barrage de Poutès sont distribuées à la population. SOS LV organise même une marche allant de l’estuaire jusqu’aux frayères de l’Allier pour mettre en avant le nombre d’obstacles à la migration. Ce mouvement se poursuit en 1991 avec l’occupation non violente de l’usine de Poutès-Monistrol, pour mettre une nouvelle fois en lumière l’impact du barrage.
Les nombreux efforts de SOS LV finissent par payer mi-1991 puisque le projet de barrage est abandonné par l’état au profit d’actions de moindre envergure laissant au fleuve plus de liberté.
Le 3 janvier 1992, la loi sur l’eau est adoptée. Pour la première fois, l’eau est définie comme un patrimoine nationa commun dont la gestion se doit d’être équilibrée. Pour cela, la loi prévoit la mise en place dans chaque bassin ou groupement de bassins d'un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), chargé de fixer les orientations fondamentales de la gérance des ressources en eau. Ces schémas directeurs sont complétés dans chaque sous-bassin par des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Fort de sa nouvelle crédibilité, de ce nouveau terrain d’opération et conscient de son pouvoir de lobbying, SOS LV lance un appel en faveur d’un programme de gestion du fleuve baptisé : « Quatrième Solution ». Celui-ci comprend des opérations de nettoyage des berges, de destruction de constructions trop exposées, de dispositifs d’alerte automatique, de mise en place de structures pour un tourisme doux...En plus de quoi, le programme initié et financé par la WWF LIFE/Loire Nature fait émerger la notion d’espace de liberté associé au fleuve.
Le sort des saumons trouve encore et toujours une place primordiale dans le programme de SOS LV qui lance en 1993 une campagne de pétitions contre le barrage de Poutès. Enfin, l’année s’achève sur un colloque de réflexion baptisé « des saumons et des hommes »,organisé à Brioudes, qui réunit des pêcheurs professionnels et amateurs, des experts internationaux et des acteurs locaux pour décider de la stratégie à adopter pour favoriser le retour du saumon migrateur dans la Loire.
Tout ceci préfigure le Plan Loire Grandeur Nature qui sera lancé en 1994.