La presse grand public :
Alors que la controverse portant sur les CDS secoue les experts en les entraînant dans des batailles de chiffres que seuls les initiés peuvent comprendre, les profanes tentent de comprendre le cœur du problème en s’appuyant sur les informations fournies par la presse généraliste. Si elles sont le plus souvent exactes, ces informations semblent souvent incomplètes et les journalistes concernés survolent le débat en tentant d’expliquer en quelques colonnes un problème profondément complexe.
L’article de presse classique traitant du sujet se contente de donner du CDS une définition d’assurance contre le défaut de remboursement d’un crédit (ce qui en soi et à la base est vrai) en oubliant pas de rappeler que derrière cette définition synthétique se cache un produit à la réalité plus complexe. Ceci n’est pas faux non plus, cependant on reste toujours dans cette atmosphère de mystère et d’hermétisme qui ajoutée à l’image négative que les institutions financières développent depuis plusieurs années feraient presque de ceux qui possède cette science de sombres sorciers qui, de leur bulle coupée de la société et de ses réalités contribueraient chaque jour au déséquilibrage de l’économie mondiale. Une fois la description passée on en vient immédiatement à l’aspect le plus noir de ces produits : leur possible usage spéculatif à travers ce qu’on appelle les CDS nu. L’intérêt du détenteur des CDS se trouvant alors dans la faillite de l’entité sous jacente. On trouve d’ailleurs implicitement dans ces articles le raisonnement largement considéré comme faux par les experts (mais qui parait logique) qu’une spéculation à la hausse sur le marché des CDS implique une hausse des spreads obligataires.
Dans le cas des CDS souverains, le spéculateur se retrouve alors dans le fait moralement répréhensible de spéculer sur la faillite d’un état. Ainsi la cupidité de quelques-uns entraine les Etats concernés dans la spirale infernale de la hausse des taux, d’une dette impossible à refinancer, spirale dans laquelle les agences de notations (ne les oublions pas) ne manqueront pas de finir de les enfoncer par une dégradation de la note de leur dette. Tel est l’article type qu’on peut régulièrement lire notamment en période de hausse brutale des taux obligataires.
La presse spécialisée :
Les articles de la presse spécialisée se veulent bien sur plus nuancés. L’actualité fait que la très grande majorité des articles sont consacrés aux CDS souverains. Les thèmes abordés sont sensiblement les mêmes : description de l’instrument, CDS nu et spéculation mais aussi problème de la concentration du marché et relations entre marché dérivé et marché sous-jacent. Les avis y sont souvent beaucoup plus nuancés et éclairés notamment sur la complexité des rapports qu’entretiennent les marchés obligataires et dérivés et sur l’ambigüité entre le caractère de « canari dans la mine de charbon » et de « renard dans la basse-cour » (pour reprendre une formule utilisée dans un article coécrit par Laurent Fransolet) qu’on prête aux CDS. Les experts interrogés se placent parfois en opposition claire et affichée avec ce que la presse grand public peut présenter.
Il ressort finalement un véritable problème intrinsèque à la nature du sujet : sa complexité. On conçoit assez facilement la difficulté qu’on peut éprouver pour s’approprier le sujet dans toute sa richesse et toutes ses nuances. Nous l’avons d’ailleurs nous même expérimentée à début de nos démarches. La compréhension du sujet passe tout d’abord par l’acquisition de tout le vocabulaire propre au monde de la finance. Bien qu’une vulgarisation soit possible (et qui est également le but de ce site), elle est difficile à faire tenir dans les quelques colonnes qu’un journal grand public veut bien lui consacrer.
Le décalage presse spécialisé / presse grand public :
Pourquoi alors une telle controverse ? Un tel décalage entre les avis des experts et l’image qu’en a le public. Développons à présent une comparaison dont la portée et la pertinence a ses limites et qui n’engage que les auteurs. Rappelez vous, il y a bientôt exactement deux ans le vol AF447 d’Air France disparaissait mystérieusement dans l’Atlantique. Les quelques données récupérées ont mis en évidence des incohérences de vitesses que les experts ont dans l’ensemble attribués au givrage des capteurs de vitesse : les fameux tubes Pitot. Ces derniers ne manquaient pas de rappeler que l’accident ne pouvait être le fait de cette simple cause mais d’un enchainement de facteurs défavorables restant à déterminer. En exagérant on pourrait dire qu’il n’en fallait pas plus pour donner aux médias une cause suffisante à l’accident. Ces derniers ne manquaient cependant pas de rappeler qu’ils ne pouvaient en être la seule cause…après un reportage de quinze minutes traitant de la fiabilité des sondes, des modèles, de ceux utilisés par les vieux avions et des compagnies qui avaient décidé de les remplacer…etc.
La relation des CDS aux médias présentent des similitudes. Ces derniers s’attachent à la spéculation et à la relation (pas encore claire) entre marché obligataire et marché dérivé dont ils ne traitent qu’un seul sens. La hausse des spreads obligataires se fait sentir, on cite alors les CDS comme l’un des coupables les plus plausible et les plus évident alors tous les experts affirmeront cette hausse est en réalité due à un ensemble complexe de phénomènes corrélés et ne peut se résumer à ce simple phénomène qui y contribue dans une mesure à déterminer. C’est uniquement lorsque son raisonnement le pousserait à l’abrogation pure et simple de l’instrument que le journaliste se tempère et lui reconnait une certaine utilité économique. Cet aspect est souvent trop peu développé, beaucoup trop peu en tout cas pour que la majorité des gens en oublie le sentiment commun d’un produit intrinsèquement mauvais et purement spéculatif.
Et Internet dans tout cela ?
Essor du Web oblige, nous avons noté dans le cadre de notre travail de quantification, la présence de vidéos à but pédagogique visant à mieux faire saisir à l’internaute curieux, les ficelles de ces produits dépeints comme complexes par les grands médias dont les flux baignent leurs journées. Nous ne nous sommes intéressés dans notre étude, qu’au site de vidéos en ligne YouTube. On y recense environ 260 vidéos sur présentant le terme exact « Credit Default Swap » dans leur titre ou dans leur descriptif. Ces vidéos sont soit des vidéos didactiques crées à l’initiative de leur auteur ou soit des extraits complets ou non de reportages, d’extraits de journaux TV, d’émissions ou d’interviews traitant directement ou indirectement du sujet. Elles sont très majoritairement en langue anglaise. Ces vidéos traitent, dans leur ensemble, sérieusement le sujet. Les plus anciennes ont été publiées à l’automne 2008, période à laquelle les CDS ont été dévoilés aux yeux du grand public (28 septembre 2008 et 8 octobre 2008 pour les deux vidéos les plus anciennes qui sont aussi les plus vues).
Avant ces vidéos ont en trouve notamment trois traitant du sujet postées en mars 2008. Ces vidéos appartiennent toutes à la même chaine de vidéos traitant de produits financiers et ont toutes été postées par le même auteur. Leur contenu est cependant plus technique et moins abordable à première vu ce qui explique leur moindre visionnage par rapport aux vidéos les plus vues (postées à l’automne 2008) qui elles ont été crées dans un contexte de crise propice à la médiatisation de ces produits et dans le but de rendre leur compréhension accessible au plus grand nombre (c’est-à-dire à de parfait non initiés). On constate sans grande surprise une hausse marquée du nombre de visionnages et notamment du nombre de commentaires à partir de l’automne 2008.
En voici une (en deux parties et en anglais) extrêmement didactique. Style décontracté, simple, très accessible et volontairement plus informel afin de ne pas décourager un internaute qui démarre la vidéo plein de complexes quant à sa capacité à comprendre ces outils financiers (donc déjà par essence empreints d’un certain mystère que seuls les initiés peuvent lever) et que la presse qu’il écoute tous les jours lui décrits comme horriblement complexes.
La première vidéo.
Et la suite…