Diversité des approches
La régulation des marchés s’appuie tout d’abord sur un suivi d’indicateurs de marchés délivrés par des modèles mathématiques. Les modèles standards de valorisation des prix des actifs, comme l’équation Black-Scholes, permettent aux institutions de régulation de suivre la trajectoire des prix et de comprendre la déviation des cours boursiers par rapport aux valeurs fondamentales, en essayant ainsi de suivre la création de bulles spéculatives. Un autre type de modèle macro-économique permet de tester différentes dispositifs de régulation sur le système économique pour en déduire les retombées, c’est la politique macroprudentielle, visant à établir différents scénarios et prévoir les mesures de régulation nécessaires. A cela s’ajoute des modèles quantifiant le risque, prenant comme paramètres différents indicateurs de marchés donnés par les modèles précédents, mais aussi des informations d’enquêtes et des résultats financiers des banques, le but étant de croiser différents indicateurs pour mieux évaluer les risques. Cette diversité de modèles permet d’avoir une multitude d’information pour établir différentes réponses possibles aux phénomènes financiers à réguler, procurant alors une approche plus robuste.
Échec du système de régulation
Cependant, suite à la crise, ces modèles macro-économiques n’ont pas su évaluer le risque d’accélération du processus d’effondrement des actifs. En effet dans ces modèles probabilistes cette accélération a un risque quasi nul de se produire. Ceci n’a rien d’étonnant car le phénomène d’accélération est corrélé aux comportements des agents, à ce mimétisme général, faussant alors l’hypothèse fondamentale de la rationalité des acteurs qui cherchent toujours à maximiser leur gains. Ceci cesse en effet d’être vrai, les acteurs n’ont plus confiance en l’information des marchés, les modèles deviennent alors inefficaces. Les interconnexions entre les institutions financières deviennent aussi par temps de crise plus complexes, et participent à ce phénomène d’accélération. Ces éléments constituent donc les principales limites quant à la régulation du marché par la modélisation du système financier. De nombreuses critiques apparaissent dans la presse vis à vis de la régulation qui n’assume pas la réalité du risque, notamment celui lié aux comportements des acteurs.
« Analyser avec différentes disciplines la philosophie, les sciences politiques, la sociologie, l’histoire de la pensée, l’économie et l’actuariat les postulats de la finance moderne, et établir le rôle crucial joué par ces à priori théoriques dans les modélisations mathématiques et dans les constructions sociales des normes réglementaires actuelles. » Christian Walter, économiste français [ROD].
L’idée est donc de refonder le cadre conceptuel actuel en dépassant les hypothèses simplistes de l’économie classique.
Le comportement des agents
C’est donc sur ces éléments que se sont basées les différentes volontés de réformes du système de régulation. La prise en compte des comportements des acteurs au sein des modèles macroprudentiels s’est développée suite à la crise, ainsi que l’interdépendance des différentes institutions. Des modèles dits de contagion donnent de nouveaux indicateurs de marchés en incluant les effets de mimétisme des acteurs. D’autres modèles plus sophistiqués modélisent une population d’agents qui ont plus ou moins une bonne connaissance de la situation économique, l’asymétrie d’information des marchés est prise en compte. Dans notre entretien avec le directeur de la stabilité financière à la Banque de France, Laurent Clerc affirme que ces modèles commencent à se développer au sein des institutions de régulation. Cependant, selon Laurent Clerc, le changement de cadre théorique dans les modèles n’empêchera pas une nouvelle crise.
« L’innovation financière, les nouveaux produits financiers poseront toujours de nouvelles questions de valorisation et de risques […], les nouvelles règles ça fonctionne un certain nombre d’années et ensuite le système commence à trouver des alternatives pour contourner et après on est reparti dans une autre logique. » Laurent Clerc, entretien.
Le risque systémique : quelles mesures de régulation ?
Ces modèles sophistiqués ne sont pas appliqués dans les banques par exemple, le risque est alors modélisé « simplement » par des lois de probabilités gaussiennes où un événement tel que la crise des subprimes a une probabilité quasi-nulle de se produire. Les banques sont alors tenues de mettre du capital en fonction des risques encourues, ne prenant pas en compte ce risque de l’événement rare. Vint alors la question de l’arbitrage par les régulations financières, doit-on imposer des contraintes en capital élevées pour réduire les risques des événements rares d’accélération et d’effondrement boursiers ? Deux solutions sont envisageables : calculer ces exigences en capital par des modèles de quantification de risque, c’est ce qui se fait traditionnellement, ou alors limiter le rôle des modèles, qui donneront des indications sur le marché actuel, et dès qu’il y a un risque de bulle financière, les contraintes en capital seront imposées, plus élevées que ce que prédisent les modèles, pour permettre aux banques de pouvoir faire face aux événements d’effondrements.
« Il y a des phases où l’économie est assez dynamique, et on a alors le sentiment que le risque diminue. Or en fait, c’est le moment où il augmente le plus ». Laurent Clerc, entretien
D’où la nécessité d’établir des seuils et des exigences supplémentaires en capital. Il y a donc ces deux tendances qui s’opposent.
Mais « c’est plutôt vers une limitation de l’utilisation des modèles » que l’on se dirige » nous dit Laurent Clerc.