Début du XXème siècle
Le premier modèle mathématique en finance n’est pas la conséquence d’un krach boursier . En 1900, le français Louis Bachelier publie sa thèse « Théorie de la spéculation ». Cette thèse porte sur une spéculation que personne n’a encore étudié à l’époque : le commerce des emprunts sur la place de Paris (la Bourse). Elle constitue un premier modèle permettant de prévoir l’évolution de certains cours. Pour simplifier, Bachelier modélise la marche aléatoire par un « pile ou face » : le mouvement de cours « forment une séquence de variables aléatoires indépendantes et identiquement distribuées ». La « gaussienne » vient ainsi s’appliquer aux marchés financiers : les variations de faible amplitude se situent au centre de la courbe, car elles sont plus nombreuses. En revanche, les variations de grande amplitude, qui correspondent à des événements rares, se trouvent sur les bords de la courbe. Pour plus de renseignements suivre la modélisation brownienne.
À l’époque, la spéculation a mauvaise réputation, et la vente à découvert interdite : la spéculation est vue comme un jeu d’argent. Les mathématiques financières, qui existent à peine, ne sont pas considérées comme une discipline académique, ce qui explique le scepticisme des membres du jury le jour de l’examen de Bachelier, dont de grands mathématiciens comme Henri Poincaré. La thèse de Bachelier, qui est aujourd’hui considérée comme la fondation de la théorie financière, n’est pas retenue et très peu étudiée par ses contemporains. À l’époque de Bachelier, c’est donc moins l’emploi d’un modèle mathématique que le domaine d’application qui est mal vu. Si, vers 1900, il existe déjà plusieurs ouvrages sur les marchés financiers, il n’y a pas encore de controverse au sujet de l’utilisation de modèles mathématiques en finance.
Le premier grand krach boursier
La finance est considérée comme un domaine malsain auquel les intellectuels s’intéressent peu jusqu’au krach boursier de 1929. Celui-ci incite les économistes à étudier les marchés financiers pour mieux les comprendre. Si le domaine des marchés financiers commence à être étudié et réformé, il n’existe, à cette date, pas de nouveau modèle mathématique. Dans les années 30-40, des travaux de recherche sont menés sur le cours des actions de la Bourse de Londres, le cours du coton à New York, le cours du blé à Chicago, mais aucun aboutissement notable ne fait progresser la modélisation.
Les premières études montrent que personne ne peut prédire l’évolution des cours (entre 1933 et 1950). Dans les années 1950, Eugene F. Fama formule l’hypothèse d’efficience des marchés : si un marché est efficient, tous les acteurs ont accès aux mêmes informations car ils repèrent les mêmes tendances. Ils vont ainsi agir pour tirer profit de cette information et anticiper la même tendance. Ainsi, toute tendance anticipée se dissipe aussitôt, avant que quiconque n’ai pu en profiter. Cette théorie repose sur l’hypothèse d’un marché équitable.
Également dans les années 1950, Harry Markovitz s’intéresse au risque et élabore la théorie du portefeuille : pour minimiser le risque de perte, il vaut mieux « répartir ses paris sur plusieurs actions ». Un portefeuille est considéré comme efficient si le gain est maximal et le risque minimal. Pour chaque gain visé par un acteur des marchés, Markovitz montre qu’il existe un portefeuille efficient dont le risque associé est minimal. Néanmoins, il critique le modèle de Bachelier et la répartition du risque boursier selon une courbe en cloche, car elle n’est pas exacte. C’est la première remise en cause d’un modèle. Cette critique se restreint à un cadre académique, tout comme l’étude des marchés : la controverse associée à la modélisation concerne encore très peu de personnes à cette époque.
À la suite de cette théorie, William F. Sharpe étudie, dans les années 1960, la valeur des actifs : si les acteurs suivent la théorie de Markovitz, alors ils investissent tous dans le meilleur portefeuille, le « portefeuille du marché ». En « absorbant » les nouvelles informations qui portent sur les cours, le marché détermine entièrement ce portefeuille. Ce modèle est appelé modèle d’évaluation des actifs financiers (CAPM).
Les années 1950-60 sont considérées comme une époque facile à Wall Street, ce qui n’est pas le cas par la suite, notamment dans les années 1970, pendant lesquelles l’inflation et la fin de l’indexation du dollar sur l’or font que les marchés deviennent un moyen de gagner beaucoup d’argent : le marché d’options gagne en importance dans le monde de la finance et attire de nombreux chercheurs.
L’équation de Black-Scholes
Dans les années 1960-1970, Fisher Black et Myron Scholes développent une théorie permettant d’évaluer le prix des options sans connaitre le cours final de l’action au moment où son option expire : il suffit de connaitre le prix cible de l’option, sa date d’expiration et sa volatilité. Cette théorie permet donc d’attribuer un prix au risque : si une action est très stable, elle n’est pas intéressante car la probabilité que son cours s’élève suffisamment pour parier dessus est faible. En revanche, si une option est risquée, son cours fluctue beaucoup plus, ce qui peut rapporter un gain important. La nouveauté de la formule de Black-Scholes est que la valeur d’une option peut être calculée fréquemment, ce qui est utile dans un contexte où les cours varient en permanence. Néanmoins, elle repose sur une courbe en cloche (gaussienne). Le mathématicien Robert C. Merton formalise ensuite cette théorie en faisant quelques suggestions à Black et Scholes. Ceux-ci testent ensuite eux-mêmes leur formule sur des marchés réels, ce qui n’a pas été le cas des chercheurs précédents. L’équation de Black-Scholes sort donc du cadre académique dans lequel ont été développés tous les modèles précédents. (L’équation de Black-Scholes en détail)
Les universitaires sont de plus en plus demandés sur les marchés et leur travail est reconnu : Markovitz, Sharpe, Scholes et Merton reçoivent des prix Nobel (Black est décédé avant). Leurs modèles mathématiques deviennent le fondement de la finance moderne. La finance devient « à la mode », notamment parce qu’elle permet aux acteurs de gagner beaucoup d’argent. Si la controverse peut, pour la première fois atteindre un public plus large, elle se restreint à des mathématiciens et à des économistes initiés aux mathématiques.
Pour plus de détails sur l’histoire des théories mathématiques en finance, se référer à [MAN].
Les années 1990 et après
Le 19 octobre 1987 a lieu un autre krach dont aucun modèle n’avait prévu l’arrivée. Certains experts considèrent que c’est l’utilisation excessive de la formule de Black-Scholes qui a conduit à cette crise. Les modèles sont une première fois vraiment remis en cause. D’autres crises dans les années 1990 soulignent à nouveau le problème : les modèles mathématiques attribuent une probabilité quasi-nulle à des évènements qui arrivent fréquemment, ce qui est relié à la distribution gaussienne en cloche. Des mathématiciens se tournent vers de nouvelles voies et cherchent des équations alternatives. Néanmoins, le système repose tellement sur les équations de Black-Scholes qu’il ne parvient pas à s’en défaire. Si les crises engagent les discussions sur l’utilisation des modèles mathématiques en finance, ceux-ci ne sont finalement que très peu modifiés.
La question de l’utilisation des modèles mathématiques en finance est peu répandue dans la société au début des années 1990, ce qui explique la faible affluence de publications scientifiques avant. À partir de 1990, la tendance change et de plus en plus de documents sont publiés. Ce changement est une réponse aux nombreuses crises qui ont eu lieu à la fin des années 1990, notamment en Asie (1997) et en Russie (1998). En effet, après une crise financière, les gens se tournent vers les équations mathématiques pour trouver le problème et savoir où le modèle a échoué. Les modèles sont ensuite, adaptés et corrigés et de nouveaux modèles et méthodes émergent. On constate néanmoins que les équations utilisées sont encore les anciennes.
La crise des subprimes
Pour plus de détails sur la crise des subprimes et son rapport avec les modèles, se référer à La crise des subprimes.