Comme nous avons pu le voir précédemment, la plupart des acteurs ont une confiance aveugle dans l’approche classique des modèles mathématiques car ils donnent l’impression d’un contrôle des risques, d’un contrôle de l’incertain. La conséquence principale est de n’avoir des acteurs qui n’utilisent qu’un seul modèle, une seule approche sur les différents produits. De cette conséquence, il en découle plusieurs remarques.
Arbitrage économique
La notion d’arbitrage économique est essentiel en finance. Elle définit une situation dans laquelle un acteur doit faire un choix entre plusieurs projets d’investissements. Dire que les modèles favorisent l’arbitrage économique signifie qu’ils permettent à un acteur de faire un choix sur des bases rationnelles et non aléatoires.
Si l’on s’intéresse plus particulièrement à l’histoire de la finance depuis les années 1900, on voit que cette théorie n’est pas absurde. En effet, avant les années 50, le marché des options était considérée comme un pur jeu de hasard, un domaine malsain dont les intellectuels n’avaient bien que faire. A ce moment là, les régulateurs dont la FED, imposaient des règles très strictes aux marchés avec notamment des frais de commissions sur les échanges.
C’est ensuite avec l’apparition de l’équation et de la formule de Black-Scholes à la fin des années 60, que la finance fait un bond spectaculaire. En effet, le fait que ce modèle puisse permettre de donner un prix et de quantifier le risque des options a complètement changé la donne. Les acteurs avaient désormais de vraies bases sur lesquelles appuyer leurs échanges. En d’autres termes, le modèle a joué le rôle d’arbitre économique.
« L’intérêt par contre du modèle, c’est que ça met de la cohérence, c’est-à-dire que vous ne pouvez pas dire « il se passe ci et ça » si c’est complètement incompatible, alors que si on résonne un peu comme ça sans cadrer, soit les chiffres, soit les grandeurs macro-, ou microéconomiques, des fois on peut aboutir à des résultats ou des raisonnements qui sont erronés. Dans le cadre d’un modèle, c’est contraint, c’est un peu comme si un philosophe développe un système de pensée, peut-être qu’il est complètement faux ce système de pensée, mais en tout cas il est cohérent, c’est-à-dire que les concepts s’articulent bien. » Laurent CLERC
Dans cette citation tirée de notre entretien avec Laurent Clerc, on comprend que les modèles, peu importe la réalité qu’ils décrivent, permettent de donner un cadre aux échanges, de les contraindre. Cette caractéristique des modèles est tout à fait essentielle pour notre économie
Mimétisme spéculatif
L’approche unique telle que nous l’avons précédemment décrite amène également à un mimétisme de la part des acteurs. La compréhension de ce phénomènes est assez simple. En effet, si tous les acteurs ont le même modèle, à un instant précis ils vont tous par exemple estimer à la hausse tel actif. Cet actif va ainsi connaître dans l’instant suivant une tendance haussière importante. A l’inverse, le mimétisme augmente d’autant plus les tendances baissières.
« En 1929, en 1987 et sans doute en 1998, les excès des marchés révèlent l’existence de bulles. A chaque fois, les prix des actifs semblent s’être éloignés de leur valeur fondamentale. Certains économistes, et non des moindres comme John Maynard Keynes, estiment que dans ces périodes les marchés sont dominés par des effets de mode et de mimétisme. »[MON5]
Ainsi, l’existence de ces effets de mode accentue la probabilité de trouver des bulles spéculatives dans le marché. En effet, l’effet de mimétisme renforce la spéculation dans les marchés et donc la création de bulles. Les acteurs qui spéculent n’ont que faire de savoir si l’actif sur lequel ils parient est proche ou pas de sa valeur supposée. Ils ont tout intérêt à simplement aller dans le sens du marché. Par exemple, si le marché est à la hausse, ils ont intérêts à jouer sur le fait qu’il va augmenter encore plus pour entretenir la tendance haussière afin de vendre à un plus haut prix le lendemain.
En situation d’incertitude, copier l’autre améliore ses propres performances. Soit l’autre partage votre ignorance et votre position n’est pas plus incertaine, soit il sait quelque chose et, en l’imitant, vous améliorez votre situation. L’apparition d’une bulle spéculative correspond au moment où l’imitation se généralise et où plus personne, ou presque, ne possède l’information sur la valeur fondamentale des titres. [MON5]
Nous venons ainsi de voir qu’une utilisation abusive des modèles peut avoir des conséquences réelles et indésirables sur les marchés. Beaucoup d’acteurs s’accordent sur le fait que l’utilisation des modèles a en effet était abusive dans la période avant la crise.
Dans la partie suivante nous traiterons du problème de comment prévoir l’imprévisible ?