Qu’est ce que la performativité ?
Un modèle est une approximation de la réalité. En cela, on évalue un modèle selon la finesse et la justesse de son approximation. En physique, un modèle ne peut influer sur la réalité qu’il décrit : les lois de Newton décrivent le mouvement, elles ne le créent pas! Cependant, en théorie économique, le pouvoir des modèles est bien plus étendu. Il suffit par exemple de penser à l’équation de Black&Scholes, massivement employé sur les marchés financiers aujourd’hui. Cette équation est devenue vraie à force d’être utilisée. Plus elle est utilisée et plus elle devient vrai. C’est cela la performativité des modèles mathématique en finance.
Une autre manière de mieux appréhender la notion de performativité des modèles consiste à revenir à la définition linguistique de ce mot. Une phrase, un mot, une expression est performatif s’il réalise lui-même ce qu’il énonce, c’est-à-dire que produire (prononcer, écrire) ce signe linguistique produit en même temps l’action qu’il décrit. Par exemple, dire « je promets » constitue une promesse. C’est phrase est donc performative.
La performativité des modèles économiques sur l’économie
Tout d’abord, voici un extrait de notre entretien avec Laurent Clerc à ce sujet.
Pour Christian Walter, les modèles créent la finance plus qu’il ne la modélise. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas faux dans la mesure où dans la finance ce qu’il se développe beaucoup ce sont des produits complexes donc souvent synthétiques pour lesquels il n’y a pas de valorisation. Personne ne peut les comprendre donc on va valoriser ça à partir d’un modèle. Donc ce modèle il va permettre de valoriser le produit financier, de calculer le risque. On part de rien, donc c’est une pure conception de l’esprit, c’est un modèle qui va générer ça. […] Laurent CLERC
Donald Mackenzie, dans An equation and its worlds [MAC], traite de la performativité des modèles économiques et notamment de l’équation de Black&Scholes qui sert, rappelons-le, à prévoir le prix des options.
Avant de publier leur travaux, Black et Scholes expérimentèrent leurs équations sur le marchés. Ils remarquèrent alors que leur modèle était parfois relativement éloigné de la réalité. Cependant, après la publication de leur travaux, leur équation étant en quelque sorte, la seule existante, elle fut de plus en plus utilisée.Black et Scholes remarquèrent alors que leur modèle s’approchait de plus en plus de la réalité. Les raisons en sont variées, cependant, selon D. Mackenzie, l’utilisation de l’équation de Black&Scholes comme guide d’arbitrage, comme référence pour poser le prix d’une option a rendu l’équation auto-réalisatrice.
En effet, après la publication de leur travaux, Black décida de mettre en vente des feuilles de prix des options théoriques. Les acteurs présents sur le marché utilisèrent ces feuilles pour évaluer le prix des options et identifier celles de prix excessif et celles sous-évaluées. Ce faisant, ils ont modifiés les modèles de tarification d’une manière qui a augmenté la validité de prédiction du modèle de Black&Scholes, en particulier en aidant à passer les tests d’hypothèse clé de l’équation : la volatilité de toutes les options sur le même stock à même échéance doit être égale. Cette hypothèse est la plus critiquable du modèle car elle est quasiment toujours fausse en réalité. Cependant, en utilisant le modèle, elle rend la volatilité constante : l’équation devient auto-réalisatrice et perfome donc la réalité des marchés.
En plus de cette idée de prophétie auto-réalisatrice qui fait que les modèles viennent à créer le monde qu’ils tentent de modéliser, nous allons voir que les acteurs ne sont pas toujours rationnels au sens que l’entendent les modèles.