Face aux problèmes soulevés par les pesticides sur la santé des agriculteurs, mais aussi sur celles des consommateurs et l’environnement, des alternatives aux traitements des plantes par le biais des produits chimiques existent.
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Le biocontrôle
Selon le site du ministère de l’agriculture : «Le biocontrôle est un ensemble de méthodes de protection des végétaux par l’utilisation de mécanismes naturels. Seules ou associées à d’autres moyens de protection des plantes, ces techniques sont fondées sur les mécanismes et interactions qui régissent les relations entre espèces dans le milieu naturel. Ainsi, le principe du biocontrôle repose sur la gestion des équilibres des populations d’agresseurs plutôt que sur leur éradication».
Parmi les sociétés proposant des solutions de protection des plantes par le biais de biocontrôle, on trouve des entreprises fabriquant également des produits phytosanitaires chimiques et membres de l’UIPP ou de l’ECPA. Parmi les 20 entreprises membres de l’ECPA, 15 adhèrent également à l’IBMA, l’association européenne du biocontrôle.
L’efficacité du biocontrôle est controversée. Certains scientifiques indépendant soutiennent que l’alternative du biocontrôle est viable, comme les cofondateurs du Laboratoire d’analyses microbiologiques des sols (Lams), Claude et Lydia Bourguignon (L’Usine Nouvelle, no 3399, p.48. La chimie tente de réinventer les pesticides. 20 novembre 2014.)
« Avec une agriculture sans monoculture, fondée sur la biologie et la biodynamie, on peut retrouver un sol en meilleur état, des plantes plus combattantes, moins réceptives aux maladies, et donc diminuer les produits de traitement et de fertilisation tout en retrouvant du rendement. »
Toutefois, les fabricants de pesticides nuancent l’efficacité de telles méthodes. Jean-Charles Bocquet affirme que :
« la mise en œuvre des produits sur le terrain, c’est plus compliqué parce qu’on est sur des mécanismes naturels, de relations entre plantes et agresseurs ou non agresseurs, et du coup, le positionnement de ces produits sur la culture est plus compliqué qu’un produit chimique »
Pour l’ECPA, la place des produits de biocontrôle dans le paysage de l’agriculture française est encore mal définie, car il s’agit de techniques peu utilisées et dont l’emploi dépend de nombreux paramètres variant entre chaque exploitation (comme l’humidité, la faune…) ce qui n’est pas le cas des pesticides chimiques. Pour les entreprises phytosanitaires, la place des produits de biocontrôle est celle donnée par Jean Charles Bocquet au cours de notre entretien :
« Actuellement, notre stratégie c’est de positionner les produits chimiques et les produits de de bio-contrôle, en complémentarité, c’est-à-dire qu’on est dans une phase de transition, qui à mon avis va durer longtemps, et donc ce que je considère aujourd’hui comme l’approche la plus intelligente, qui répond le plus aux attentes sociétales, c’est justement, quand on peut, c’est faire du bio-contrôle, mais il y a encore beaucoup de situations où on ne peut pas faire du bio-contrôle, donc à ce moment-là on prend le produit chimique »
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L’agriculture biologique
Selon le site du ministère de l’agriculture : « L’agriculture biologique constitue un mode de production qui trouve son originalité dans le recours à des pratiques culturales et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels. Ainsi, elle exclut l’usage des produits chimiques de synthèse, des OGM et limite l’emploi d’intrants »
Les industriels des produits phytosanitaires l’agriculture biologique est un besoin exprimé par la société, principalement par les classes aisées, car les produits issus de l’agriculture biologique coûtent plus cher que ceux obtenus dans l’agriculture traditionnelle ou conventionnelle. Elle ne serait pas pas en mesure d’assurer le besoin actuel en récoltes. Les motifs avancés par les industriels sont que l’augmentation de la population mondiale entraîne un besoin croissant en ressources alimentaires, que ne permet pas de fournir l’agriculture biologique. C’est ce qu’affirme Jean-Charles Bocquet au cours de notre entretien :
« l’agriculture biologique n’est pas la solution pour demain, au niveau de la planète. En 2050, on sera entre 9 et 10 milliards d’êtres humains, les terres disponibles à cultiver sont plutôt en régression qu’en augmentation, or l’agriculture biologique produit en moyenne, entre 30 et 50 % de moins sur un hectare que l’agriculture conventionnelle. Pour pouvoir produire la même chose, il faudrait pouvoir augmenter entre 30 à 50 % les surfaces cultivées, c’est à dire déforester le Brésil, l’Amazone, l’Indonésie etc… c’est pas tout à fait dans l’air du temps avec le réchauffement climatique… »
En outre, l’efficacité de la seule agriculture biologique est nuancée par Jean-Charles Bocquet, qui affirme que les cultures biologiques bénéficient des traitements utilisés par les cultures conventionnelle avoisinantes, qui éradiquent des populations de ravageurs dans une région, ce que les traitements utilisés en agriculture biologique seule ne permettraient pas de faire.
Marie-Monique Robin affirme au contraire dans son livre Notre poison quotidien que l’agriculture biologique est à la hauteur de remplacer l’agriculture conventionnelle actuellement dominante. Ce raisonnement est également partagé par Paul François, qui a converti une grande partie de son exploitation en agriculture biologique. Toutefois, ce dernier précise que la conversion de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique demande un travail important et l’acquisition de nouvelles techniques, plus difficiles. En outre, il affirme que l’agriculture biologique a l’avantage de créer de l’emploi en transférant les coûts alloués aux produits phytosanitaires vers de la main d’oeuvre. L’agriculture biologique, selon lui, permet de dégager d’avantage de revenus que l’agriculture conventionnelle :
« Pour les céréales sur cinq ans, en intégrant l’année 2012 qui a été exceptionnelle pour le conventionnel, autant en terme de rendement que de prix de vente, une structure comme la mienne en agriculture biologique dégage 3 fois plus de revenus qu’une ferme en conventionnel, et jusqu’à 4 fois plus que l’agriculture OGM au Canada »
Néanmoins, l’industrie phytosanitaire ne rejette pas complètement l’agriculture biologique, dans la mesure où ils fournissent également les pesticides d’origine naturelle employés dans cette branche. C’est ce qu’ explique Jean-Charles Bocquet :
« partout où on peut faire du bio, faisons du bio. Ça se fait surtout autour des grandes villes etc… pour les circuits courts, en serre par exemple, c’est plus facile, parce que les insectes ne reviennent pas dans la serre »
Il souligne que contrairement à ce que pense l’opinion commune, l’agriculture biologique utilise massivement les pesticides (bien que ceux-ci soient d’origine naturelle), d’avantage que l’agriculture conventionnelle :
« Il y a une idée reçue qui est fausse, c’est que le bio n’utilise pas de pesticides, c’est faux. Le bio utilise beaucoup de pesticides. En quantité d’ailleurs, plus que l’agriculture traditionnelle, par contre effectivement ce ne sont pas des produits d’origine chimique de synthèse, comme le cuivre et le souffre, qui s’utilisent à des kilos hectares et non pas à des grammes hectares. »
Selon lui, malgré leur place croissante dans le marché des pesticides, les produits de biocontrôle ne sont pas suffisamment développés et efficaces pour remplacer à terme les pesticides de synthèse.
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L’agriculture raisonnée
Une autre méthode d’agriculture que l’agriculture biologique prétend apporter de meilleures conditions de travail aux agriculteurs, il s’agit de l’agriculture raisonnée. Crée par l’association Farre (Forum des Agriculteurs Responsables Respectueux de l’Environnement), l’agriculture raisonnée bénéficie d’un cadre légal clair précisé dans l’article L.640 3 du Code Rural. Le Décret n° 2002-631 paru au Journal officiel du 28 Avril 2002 définit l’agriculture raisonnée comme suit :
« Les modes de production raisonnés en agriculture consistent en la mise en œuvre, par l’exploitant agricole sur l’ensemble de l’exploitation dans une approche globale de celle-ci, de moyens techniques et de pratiques agricoles conformes aux exigences du référentiel de l’agriculture raisonnée. Le référentiel porte sur le respect de l’environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité au travail et le bien-être des animaux »
Jean-Charles Bocquet, ancien directeur général de l’UIPP, soutient que l’agriculture raisonnée est un réseau constitué dans le but de sensibiliser l’agriculteur à une utilisation réfléchie des pesticides. Il illustre ce propos au cours de notre entretient par une anecdote :
« Quand j’ai démarré, je me souviens, on avait des calendriers de traitement pour la vigne, c’est-àdire que tous les 15 jours, il y avait le produit A , et on disait, à partir du 15 avril, vous traitez tous les 15 jours. En fait c’est un peu idiot, parce que parfois, il n ‘y avait pas besoin de traiter. Et c’est là que l’agriculture raisonnée a été pour nous, un moyen de progrès parce que, avant de traiter, l’agriculteur allait voir dans son champ. Le fait d’aller voir dans le champ ce qui se passe, ça vous permet peut-être d’éviter de traiter dans un cas sur deux. Et donc là, vous traitez moins, vous risquez moins, vous protégez davantage l’environnement, vous vous protégez vous-même »
Cependant, l’association Générations Futures dénonce la futilité d’une telle appellation au regard du référentiel définissant le cadre de l’agriculture raisonnée. L’association publie sur son site un réquisitoire à l’encontre de cette dernière :
« Pour la « protection des cultures » et l’utilisation des pesticides, 8 mesures sur 17 sont tout simplement de l’ordre du respect de la loi. Le reste est du simple bon sens : observer l’état sanitaire des cultures avant de traiter, faire un inventaire annuel des stocks de produits phytosanitaires, être abonné à un service de conseil technique, être en mesure de vérifier le bon fonctionnement du pulvérisateur et de l’entretenir (!), avoir un dispositif évitant une contamination de la source d’eau utilisée pour le remplissage…Rien là-dedans qui remette en cause le système agricole conventionnel et réduise l’utilisation des pesticides ! Tous les pesticides homologués peuvent être utilisés, sans limitation du nombre de traitements ».
En effet, le référentiel de l’agriculture raisonnée ne donne aucune borne à la quantité d’utilisation de produits phytosanitaires.
Toutefois, Générations futures n’est pas seule à critiquer la superficialité de l’agriculture raisonnée. Selon des scientifiques comme Samuel Feret et Jean-Marc Douguet, les pratiques afin de réduire l’utilisation de pesticides mises en avant par le réseau Farre sont un prétexte pour faire valoir un investissement de la part des industriels de l’agrochimie dans une démarche de la réduction des risques, dans le but de répondre à une attente sociale (Samuel Feret et Jean-Marc Douguet. Agriculture durable et agriculture raisonnée : Quels principes et quelles pratiques pour la soutenabilité du développement en agriculture ? Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS,2001, vol. 9, n ° 1, 58-64.) :
« La création en 1993 du réseau Farre (Forum pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement) à l’initiative des Organisations professionnelles Agricoles (OPA), notamment la FNSEA et l’UIPP, témoigne des premiers signes d’une pression sociale à l’égard de l’agriculture pour intégrer la problématique environnementale »
Devant l’échec de l’implantation de l’agriculture raisonnée en France, l’ECPA tente au niveau européen d’instaurer une nouvelle réglementation, notamment à travers la directive européeene « utilisation durable des pesticides ». Cette directive comprend un volet sur la protection intégrée des cultures, qui s’organise en trois phases, expliquées par Jean-Charles Bocquet au cours de notre entretien :
« il y a trois phases : la prévention, l’observation et l’intervention.
Dans la 1ère phase, en fait l’agriculteur fait des rotations sur ses parcelles, il utilise des variétés moins sensibles aux maladies ou aux insectes, donc tolérantes, ça diminue la probabilité d’avoir à traiter.
Ensuite la 2ème phase, il va voir ce qui se passe dans ses parcelles, avec ses outils d’aide à la décision etc… et là en fonction du besoin il décide d’intervenir.
On arrive alors à la 3ème phase qui est la phase d’intervention. Et pour la phase d’intervention, il doit de manière systématique, privilégier, dans l’ordre suivant : d’abord les méthodes physiques, ensuite les méthodes biologiques, et seulement en dernier ressort, les méthodes chimiques. Mais l’intervention chimique n’est pas exclue de la protection intégrée des cultures »
Selon Jean-Charles Bocquet, ces méthodes d’agricultures ont du mal à s’implanter en Europe en raison des différences entre les cahiers des charges de chaque pays membres et celui proposé par l’ECPA au niveau européen.
L’objectif exprimé par les entreprises phytosanitaires à travers des directives comme « utilisation durables des pesticides » ou l’agriculture raisonnée, explique Jean-Chalres Bocquet, est de ne pas se limiter à donner des recettes d’utilisation des pesticides aux agriculteurs, mais de les impliquer dans une démarche de réflexion avant chaque prise de décision, à l’instar de ce qui se fait en entreprise.
Ainsi, ces trois méthodes que sont le biocontrôle, l’agriculture raisonnée et l’agriculture biologique offrent, malgré leurs défauts respectifs, des portes de sortie pour les agriculteurs qui veulent diminuer leur consommation de pesticides. Va-t-on voir la consommation générale diminuer, comme le prévoit le plan Ecophyto 2 ?