Reconnaissance ?

La question de la biopiraterie s’inscrit dans un mouvement plus large de revendications pour les peuples autochtones. En effet, elle leur serait un instrument utile pour obtenir des droits politiques leur conférant ainsi une réelle reconnaissance, telle qu’une réelle représentation dans les instances locales, ou même la possibilité de donner leur avis sur des sujets les touchant de près, comme dans notre présente affaire du Quassia Amara. Ce manque de reconnaissance expliquerait ainsi la forte concentration des revendications des accusations de biopiraterie en Amérique du Sud, du fait de l’existence de nombreux peuples autochtones. En France, cette question concerne principalement les Outre-Mer qui concentrent la majorité de la biodiversité, mais aussi des populations indigènes.

Tout d’abord, il est important de préciser que la législation française ne reconnaît qu’un peuple autochtone : il s’agit des Kanaks de Nouvelle-Calédonie.

Le peuple Kanak, SOURCE : Pinterest

Les communautés guyanaises qui sont impliquées dans l’affaire du Quassia ne sont pas reconnues officiellement. Selon Thomas Burelli, la question des populations autochtones est très peu développée juridiquement dans le domaine de l’éthique.

Le code éthique du Criobe-CNRS (Centre de Recherches Insulaires et OBservatoire de l’Environnement) adopté en 2015 et intégré au règlement intérieur de ce laboratoire, est le seul code éthique français traitant des recherches impliquant les populations autochtones et leur patrimoine culturel. Les chercheurs de ce laboratoire ou ceux accueillis en son sein sont tenus de le respecter.

Le projet de la loi sur la biodiversité prévoyait pourtant d’employer les termes de « communautés autochtones et locales » pour désigner les populations potentiellement victimes de biopiraterie. Toutefois, au nom du principe d’indivisibilité de la République Française, cette terminologie a été abandonnée au profit de « communautés d’habitants ». Ainsi, en Guyane, les peuples communément appelés autochtones dans ce cas de biopiraterie ne sont pas juridiquement désignés comme tel dans la loi. La dénomination des peuples autochtones est en effet une question sensible, mais ce revirement législatif est un pas en arrière dans la reconnaissance de ces populations selon Marion Veber, chargée du programme « Droits des peuples » pour France Libertés, qui s’exprime dans un article de Paris Match, dans le cadre de l’affaire du Quassia Amara :

La France est riche en peuples autochtones mais elle ne reconnaît pas ces populations

Les peuples autochtones manifestent lors des dernières manifestations guyanaises pour leur reconnaissance, SOURCE : Matière et révolution

La question de la qualification est donc essentielle pour la reconnaissance des peuples indigènes. En effet, sans quelconque qualification proprement définie, les populations peuvent difficilement organiser leur représentation et faire valoir leurs intérêts collectifs. La notion de communauté d’habitants n’est pas satisfaisante car elle ne confère pas une réelle reconnaissance et ne confère pas de droit. A ce titre, Gabriel Serville, député de Guyane, se prononce en faveur d’une notion juridique de communauté autochtone, en particulier à la suite de l’exploitation des savoirs ancestraux des populations autochtones guyanaises. Selon lui, cette qualification est nécessaire à la consultation des populations.

Dans la loi, on dit qu’avant toute démarche, il faut que les populations concernées puissent être consultées

La consultation des populations est censée aboutir à un partage des avantages liés aux ressources, intérêt majeur de cette loi sur la biodiversité de 2016. Voilà pourquoi la qualification des peuples autochtones est essentielle : une dénomination juridique permettrait aux individus désignés d’organiser la défense de leurs intérêts communs. Ceci serait le premier pas vers la représentation, et pallierait aux accusations de l’essentialisation de ces populations. Les peuples exploitant depuis des millénaires la plante du Quassia pourraient alors faire valoir leurs savoirs, et avoir suffisamment de poids pour être entendu par leur propre voix.
Ainsi, les questions liées à la biopiraterie mobilisent des enjeux plus larges concernant la reconnaissance des peuples autochtones. Celle-ci passe également par une lutte pour des droits politiques.
Le combat des peuples indigènes pour l’obtention de droits politiques est une question qui fut majeure dans les années 1980. Selon une chercheuse de l’IRD, les dénonciations de biopiraterie actuelles constituent le prolongement direct de la lutte menée par Darell Posey. Anthropologue américain, il a initié un mouvement massif de revendication de terres, mais aussi de reconnaissance des savoirs ancestraux indigènes au Brésil qui s’accompagnait d’une propriété intellectuelle. Alors, selon cette chercheuse, les accusations de biopiraterie s’inscrivent dans la continuité de tels travaux.

Les populations lient leurs droits politiques à la biodiversité. Les savoirs sont devenus une arme politique qui servent à défendre des droits.

La reconnaissance des savoirs traditionnels est une question essentielle. Elle confère une réelle reconnaissance intellectuelle aux peuples concernés. Selon Marion Veber, une représentante de France Libertés, les actes de biopiraterie révèlent le mépris envers ces savoirs. En effet, les savoirs ancestraux, à l’origine de savoirs traditionnels des peuples autochtones seraient considérés par certains comme inférieurs à la science. L’utilisation du Quassia faite par les autochtones n’aurait pas de valeur scientifique pour lutter contre le paludisme. Le fait que les chercheurs s’adonnent à breveter des éléments de la nature révèle qu’ils ne considèrent pas les connaissances des autochtones comme étant scientifiques. C’est donc une vision occidentale de la science qu’elle dénonce, ethnocentrée. Les scientifiques se permettraient de piller les savoirs des autochtones, sans reconnaître qu’ils ne sont pas les producteurs et détenteurs originels de ceux-ci. Les actions de biopiraterie reflètent ainsi la mésestime prononcée de l’Occident pour les connaissances des indigènes, mais aussi pour leur culture.

Au contraire, une chercheuse de l’IRD dénonce la vision occidentale que projette France Libertés sur les autochtones. Selon celle-ci, il s’agit d’une universalisation de la marchandisation des savoirs, qui ne fait pas partie des coutumes de ces populations guyanaises.

En effet, défendre les indigènes comme étant détenteurs de savoirs renvoie à une notion de propriété très occidentale. L’ONG aurait donc plaqué un raisonnement marchand qui n’est pas celui des présents indigènes. Ceux-ci réaliseraient tout d’un coup qu’ils possèdent des savoirs, au sens d’une propriété, et se mettraient à les défendre à la suite de l’exposition de l’injustice qui leur serait faite. Pour autant, avant cela, les indigènes ne se seraient pas manifestés car ce concept n’était pas le leur. Les arguments avancés par cette chercheuse nous reconduisent à la question de l’instrumentalisation de ces populations.

On a rendu marchand les savoirs locaux. Les populations savent maintenant qu’elles sont détentrices des savoirs. Il y a une marchandisation, capitalisation des savoirs. On ne s’intéresse qu’aux connaissances utiles et utilitaires.

On a imposé une vision occidentale du monde, on vole les savoirs marchands

 

SOURCE : rio20.net

Aujourd’hui, on occidentalise donc les peuples autochtones et ils découvrent des notions qui n’étaient pas les leurs. Les peuples autochtones peuvent ainsi vouloir breveter leurs savoirs, pour limiter la biopiraterie. Selon Choralyne Dumesnil, chercheuse en droit, ils cherchent à acquérir la propriété intellectuelle afin d’asseoir leur propriété sur leurs savoirs. Toutefois, ils n’ont pas toujours conscience des conséquences de cette brevetabilité. En effet, ils peuvent ignorer que la durée de vie du brevet est limitée, souvent à 20 ans. Les savoirs finissent par tomber dans le domaine public et de fait, ils peuvent être utilisés par toute personne qui le souhaite, même sans autorisation. Cette question renvoie à son tour aux enjeux liés au brevet.
Ces revendications politiques passent également par la défense de la biodiversité. En effet, ces populations ont tendance à pâtir de l’industrialisation et de la surconsommation qui porte atteinte à l’environnement. Dans une lettre de 2004, des communautés indigènes se sont manifestées pour faire entendre leur voix à ce sujet. Elles demandent à être écoutées en tant que premières victimes des pollutions qui touchent l’environnement commun. Voici ce que ces communautés expriment :

Quand on sait les désastres de cet empoisonnement sur la santé et la génétique on ne comprend vraiment pas l’inertie des responsables. Aurait-on supporté longtemps cette situation s’il s’agissait d’un département de l’Hexagone ?

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