Une instrumentalisation de la parole des autochtones?
Aujourd’hui, la parole des différentes tribus autochtones de Guyane qui exploitent le Quassia Amara est centrale. En effet, ce sont leurs propos qui sont centraux et sujets à débat entre certains chercheurs de l’institut de recherche et développement et la Fondation France Libertés.
En particulier, Catherine Aubertin, une chercheuse de l’IRD affirme dans un article du Hufftington Post :
Force est de constater que les accusations de biopiraterie n’émanent pas des personnes directement concernées. Elles viennent de personnes ou d’associations qui, de l’extérieur, se posent en porte-voix des communautés autochtones.
L’auteur considère que les personnes qui reprennent la parole des autochtones n’ont aucune légitimité pour le faire. Elle pense que les personnes qui mettent sur le devant de la scène les paroles des autochtones ne devraient pas le faire et instrumentalisent leur parole, pour apitoyer le public sur leur cas. En effet, le public est plus facilement touché par des paroles de personnes décrites comme sans défense que pour celles qui au contraire volent et exploitent leurs connaissances. Or, c’est comme cela qu’elle pense que les ONG, et dans le cas présent France Libertés, présentent les chercheurs, c’est-à-dire ici les personnes qui travaillent à l’IRD. Seulement, cette instrumentalisation pose des problèmes pour l’avancée de la recherche. Dans ce même article, elle dit que :
Les instrumentalisations politiques des oppositions aux brevets mettent un coup d’arrêt à ce processus, aux espoirs de voir aboutir les recherches, leur valorisation et, bien évidemment, le partage des avantages des résultats de la recherche, car les industriels se détournent de ces brevets attaqués, trop risqués pour eux.
La recherche serait donc freinée par ces accusations, qui font passer les chercheurs pour des barbares et des pirates. Au contraire, la chercheuse affirme que la recherche est menée pour satisfaire un intérêt général. A travers cet intérêt, le partage des avantages est bien réalisé. En effet, la découverte d’un vaccin contre le paludisme est un avantage pour tous, et sa découverte permettra sa diffusion, aux occidentaux et aux autochtones.
Schéma récapitulatif de la situation et des effets de l’instrumentalisation de la parole des autochtones, d’après l’IRD, SOURCE : Groupe de controverses
Les représentants de la fondation France Libertés, au contraire, affirment qu’ils ne réalisent pas d’instrumentalisation des paroles des autochtones. Une représentante de la fondation, Marion Veber, affirme que les cas de biopiraterie leurs sont connus grâce à plusieurs voies. Les autochtones peuvent contacter directement les ONG, comme France Libertés, et leur demander de les représenter pour protéger leurs intérêts. Dans d’autres cas, la Fondation peut aussi tomber sur une affaire, un cas de biopiraterie qu’elle souhaite représenter. Mais avant de rendre publique l’affaire, la Fondation contacte les populations concernées et leur présente la situation en leur demandant s’ils souhaitent être représentés.
C’est quand même souvent nous qui avons des soupçons, qui leur demandons est-ce que vous avez conscience qu’il y a eu un brevet qui a été posé là dessus, sur cette plante, sur ces savoirs, et le plus souvent la réponse est non. (…) Et ensuite de voir avec eux s’ils souhaitent agir à nos côtés ou pas.
SOURCE : Marion Veber
L’affaire du Quassia Amara a été découverte par cette fondation ainsi qu’un chercheur en droit travaillant en collaboration avec cette dernière, Thomas Burelli. Ils sont tombés de manière par hasard sur cette affaire, qu’il leur a semblé être un cas important de biopiraterie.
Ils ont ensuite médiatisé le cas, après avoir parlé aux autochtones guyanais de la situation. Pour eux, il n’y a donc pas d’instrumentalisation de la parole de ces autochtones, et c’est bien la pensée de ces peuples que la Fondation expose.
C’est l’association qui met en lumière des cas de biopiraterie grâce à leur réseau déployé sur le terrain ou bien à leur comité scientifique.
SOURCE : Marion Veber
Thomas Burelli, le juriste associé à France Libertés explique plus explicitement le déroulement de l’affaire :
Nous avons bel et bien contacté les communautés et les avons associées à l’opposition devant l’Office Européen des Brevets. Alors que le cas de biopiraterie en lien avec Quassia Amara a été identifié en avril 2015, nous avons contacté des responsables de l’Organisation des Nations Autochtones de Guyane (ONAG – notamment Alexis Tiouka et Florencine Edouard) dès le mois de mai 2015. Nous avons discuté de la possibilité d’associer l’ONAG comme co-déposant de l’opposition au brevet. L’ONAG a soutenu notre démarche, notamment par la publication d’un communiqué de presse dès la médiatisation du cas. L’ONAG n’a néanmoins pas souhaité être identifiée comme co-déposant. L’organisation est régulièrement informée de l’avancement de la procédure. Cela ne pose aucun problème dans la mesure où tout tiers peut s’opposer à un brevet auprès de l’Office Européen des Brevets.
Cette situation assez controversée est très bien illustrée par Rodolpho Zahluth Bastos dans un article de 2009. La question de l’instrumentalisation de la parole des autochtones est assez délicate et complexe. En effet, certains chercheurs ont observé que des peuples autochtones peuvent très bien prendre la parole publiquement et défendre leurs propres intérêts. Dans la situation que le chercheur décrit, les Kraho, un peuple autochtone brésilien, ont publié une lettre ouverte pour dénoncer cette biopiraterie réaliser par les chercheurs de l’université fédérale de Sao Paulo. Dans cette lettre, les autochtones demandaient une indemnisation du fait de l’exploitation de leurs savoirs ancestraux.
Le problème avec cette lettre écrite par les autochtones brésiliens est que leur parole n’est pas toujours visible parmi les médias et sans porte-parole, elle est alors invisible. Mais Fernando Schiavini est le porte-parole de cette dernière association Kapey qui s’exprime au nom des Kraho. Il est souvent accusé par Hapyhi, le représentant d’une autre association Kraho (Vity-Cati), d’être “le blanc qui n’a rien à voir avec cela”, étant donné qu’il est n’est pas un Kraho. On voit donc que plus qu’un problème d’instrumentalisation, il s’agit aussi d’un problème plus profond à cause de l’absence de cohésion entre les différentes tribus autochtones. Celles-ci peuvent pourtant exploiter la même plante avec les mêmes connaissances. Une tribu peut très bien donner son accord, alors que les autres tribus partageant les mêmes savoirs ne souhaitaient pas les voir diffusées et exploitées.
On voit donc que la question de l’instrumentalisation de la parole des peuples autochtones est cruciale dans notre controverse.