Selon l’IRD les brevets sont d’une importance primordiale pour permettre la recherche.
Sur son site internet, l’institut s’exprime en ces termes
Au vu des espoirs fondés sur la molécule SkE pour mettre au point un nouveau traitement contre le paludisme, et de l’importance d’un brevet pour faciliter la mise sur le marché de nouveaux médicaments, l’IRD a déposé deux demandes de brevet sur la molécule SkE.
L’IRD justifie également sa position en affirmant qu’elle a besoin de la « participations de collaborateurs extérieurs (collectivités locales, industriels) » susceptibles de lui apporter un soutien financier et que ce soutien financier n’est possible que dans la perspective d’un dépôt de brevet. En effet, les brevets permettent à l’institut d’obtenir un monopole d’exploitation sur le résultat de ses recherches scientifiques et c’est ce monopole qui intéresse les investisseurs. Cet outil juridique est donc, selon l’IRD, le seul moyen de rentabiliser les frais mis en oeuvre lors du processus de recherche.
Schéma sur la nécessité du dépôt de brevet dans le processus de recherche selon l’IRD, SOURCE : Groupe de controverses
Ces propos sont appuyés par ceux d’une chercheuse à l’IRD, économiste de l’environnement que nous avons interrogée. Selon elle, les brevets ont avant tout une valeur pratique pour l’IRD. En effet, ils sont le fruit d’un investissement tant financier qu’humain et sans eux, les chercheurs ne pourraient pas obtenir l’exclusivité de leur découverte. Sans exclusivité, pas de commercialisation d’un médicament et sans commercialisation, il est impossible de rembourser les frais mis en œuvre. D’après elle,
Attaquer un brevet comme celui sur le Quassia Amara, c’est nuire à la recherche sur la molécule et assurer la mort du brevet. En effet, les industriels ne sont pas intéressés par un brevet qui fait l’objet d’accusations de biopiraterie.
Les oppositions aux brevets seraient donc de nature à freiner les avancées scientifiques et à empêcher la commercialisation de médicaments pourtant destinés à sauver des vies.
Schéma des conséquences de l’opposition au brevet/accusation de biopiraterie selon l’IRD, SOURCE : Groupe de controverses
Mais certains détracteurs de la « biopiraterie » affirment au contraire que les brevets ne sont guère indispensables à la poursuite du bien commun et que l’IRD, ainsi que ses chercheurs, ne sont en fait pas si désintéressés que cela.
Selon Thomas Burelli, le professeur de droit membre de l’association France Libertés et cosignataire de l’opposition au brevet que nous avons interrogé, si l’IRD avait vraiment voulu le bien commun et sauver des personnes du paludisme, il aurait développé des filières de phytothérapie. En effet les populations autochtones utilisent les feuilles du Quassia Amara en tisane et cela s’avère déjà très efficace. Les chercheurs n’ont donc pas à réaliser une hiérarchie entre les savoirs et considérer qu’il vaut mieux utiliser des comprimés.
Les populations qui sont habituées à utiliser la tisane depuis des années n’ont peut-être pas envie d’utiliser des pilules à la place. D’ailleurs, pourquoi le ferait-elle si le remède traditionnel fonctionne (comme les recherches scientifiques prétendent l’avoir « vérifié ») ?
Voilà ce qu’a affirmé le professeur que nous avons interrogé. De surcroît, d’après lui, les personnes atteintes du paludisme correspondent souvent à des populations très pauvres vivant dans les régions du Sud. Or un médicament coûte cher et il n’est pas toujours évident de se le procurer. Si l’objectif était vraiment de sauver des vies, la commercialisation de tisanes, beaucoup plus accessibles aux plus démunis, aurait donc été un moyen nettement plus satisfaisant pour lutter contre le paludisme dans les régions les plus pauvres du globe.
Tisane à base de Quassia Amara, SOURCE : L’herboristerie du Palais Royal
Selon lui, le véritable but poursuivi par l’IRD n’est pas la lutte contre le paludisme. En effet, la molécule a aussi des vertus anticancéreuses et c’est cela qui pourrait rapporter beaucoup d’argent. C’est donc pour cette raison que le brevet est si important aux yeux de l’IRD. L’institut a d’ailleurs pris le soin de déposer deux demandes de brevets sur la molécule SkE : un sur ses propriétés antipaludiques et un sur ses propriétés anticancéreuses. Pour le chercheur interrogé, l’IRD serait donc mue par des considérations économiques (financements externes, revente de brevets et de médicaments) qui le pousseraient à s’accaparer le monopole de la molécule en déposant des brevets (notamment relatifs aux propriétés anticancéreuses de la SkE).
Selon Thomas Burelli, une autre chose importante à garder en tète est que:
Il faut distinguer entre le chercheur et son institut. Depuis plusieurs années, les instituts de recherche valorisent beaucoup les dépôts de brevet. Déposer un brevet peut être ainsi très positif pour la carrière d’un chercheur. Un brevet est dans certains cas plus important et plus valorisé que des publications scientifiques pour l’évaluation d’un chercheur. Ceux-ci ont donc à priori intérêt à déposer des brevets, d’autant plus qu’ils y sont même parfois fortement incités par leurs instituts. Dans certains cas, ils n’ont même pas vraiment le choix, les instituts identifient les dépôts éventuels et s’en chargent sans nécessairement demander l’avis des chercheurs. Ces derniers sont alors inévitablement associés à la demande, au moins comme inventeur, sinon comme cotitulaires.
Contrairement à ce que l’on croit souvent, les chercheurs ne sont pas forcément désintéressés et mal payés. Ils ont une carrière et faire figurer leur nom sous le dépôt d’un brevet est particulièrement bénéfique pour eux.
De ce point de vue, il semblerait que les dépôts de brevets obéissent à d’autres enjeux que ceux des avancées scientifiques et de la recherche de la santé publique et du bien commun.
S’il semble difficile d’interdire tout dépôt de brevet sur une molécule de plante dès lors que les propriétés de cette dernière ont déjà été utilisés par des populations autochtones, il existe néanmoins un consensus au sein des détracteurs de la biopiraterie selon lequel un dépôt de brevet doit néanmoins aboutir à un partage équitable des ressources. Ce consensus s’illustre dans le protocole de Nagoya qui prône
un partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation [des ressources naturelles].
Pour plus d’informations sur le cadre juridique entourant les dénonciations d’actes de « biopiraterie » voir l’« Historique de l’affaire » ainsi que « Faut-il légiférer ? ».
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